Le rappeur Passi au festival de Karlovy Vary : « J’étais enfin prêt pour ce rôle »
Parmi les films en compétition officielle au Festival du film de Karlovy Vary, Le Prince, premier long-métrage de la réalisatrice allemande Lisa Bierwirth. Inspiré d’une histoire vraie, le film raconte l’histoire d’amour entre Monika, une galeriste allemande de Francfort, et Joseph, un Congolais en attente de régularisation et qui cherche à se faire une place dans la nouvelle société où il évolue. Le récit aborde les questions complexes des préjugés qui surgissent des deux côtés de leurs communautés respectives et qui pèsent sur leur relation. Pour incarner Joseph, la réalisatrice a choisi le rappeur franco-congolais Passi Balende qui, au micro de Radio Prague Int. est revenu sur la genèse du scénario et son travail d’acteur.
« La réalisatrice s’est inspirée de la vie de sa mère qui a eu un mari originaire du Congo et qui a en partie vécu cette histoire. Elle a co-écrit le scénario du Prince avec Hannes Held. Quand je l’ai lu, j’ai aimé à cause de ces histoires de métissage, de rencontres, de continents différents. Moi-même je suis français, mais je suis né au Congo, donc je sais quelque chose de la double culture. J’ai vu que le film abordait ces thématiques d’avantages et inconvénients liés à la double culture, mais aussi la question des sans-papiers, très actuelle. C’est un sujet qui me touchait mais dont je savais qu’il toucherait tant d’autres personnes en Europe. Mais c’est un film qui peut avoir des échos en Afrique : non seulement au Congo, parce que Joseph, le personnage principal, est congolais, mais d’autres pays africains aussi. »
Comment s’est passé le travail avec Lisa Bierwirth, la réalisatrice ? Comment avez-vous été casté ?
« A force de petits films, je me suis dit qu’il allait falloir aller plus loin. J’avais eu deux propositions de rôles plus importants que j’avais refusé avant cela, et j’avais regretté. Mais je ne me sentais pas encore prêt. Là, j’étais enfin prêt. Je réalise par ailleurs beaucoup de vidéo-clips, j’adore le son et l’image et je suis très cinéphile. Après avoir refusé des plus grands rôles dans le passé, je me suis dit qu’il était temps de s’y mettre. On m’avait proposé une grande pièce sur le roi du Mali au théâtre du Châtelet. Je suis arrivé en tête du casting, mais il y avait un acteur malien qui maîtrisait mieux le bambara que moi. Finalement, c’était logique qu’il soit choisi pour ce rôle. Mais la personne du casting m’a dit qu’elle connaissait une réalisatrice allemande qui cherchait quelqu’un comme moi. J’ai donc rencontré Lisa, ça a tout de suite accroché. Je suis tombé amoureux du scénario, elle m’a dit d’où venait l’inspiration or j’ai toujours aimé les films tirés d’histoires réelles, même si forcément on brode autour. Je suis donc parti travailler à Francfort, j’y ai rencontré sa mère aussi, les Congolais de Francfort, j’ai découvert l’univers dans lequel évolue le personnage… »
C’était une véritable immersion…
« Tout à fait. J’ai fait quatre semaines sur une période entre mai et octobres, très intenses, à travailler du matin au soir. J’ai dû m’imprégner de l’atmosphère. En plus, je devais tourner en anglais qui n’est pas ma langue natale. Et puis, on a aussi beaucoup parlé avec Lisa : elle connaissait en moi le rappeur, elle l’avait vu, mais elle ne voulait pas le rappeur, elle voulait Joseph. »
C’est un vrai rôle de composition, puisque vous êtes même physiquement différent dans le film…
« Oui ! Ça a été très composé. J’ai aussi beaucoup parlé avec sa mère qui est une femme géniale. Ce que Monika (jouée par Ursula Strauss, ndlr) dégage dans le film, sa mère l’a aussi. Le film raconte un amour différent, compliqué, mais Monika y met du sien, elle veut se marier pour que Joseph obtienne des papiers et que les problèmes disparaissent. Elle veut vivre tranquillement. La mère de Lisa a aussi ce côté-là. Lisa, à la réalisation, est une passionnée. Elle a refait plusieurs scènes, même si elles étaient bonnes. Il y a un côté perfectionniste, mais aussi, quand on se retrouve au montage, c’est bien d’avoir le choix entre plusieurs versions et des émotions différentes. Même les acteurs allemands sur le plateau, qui sont des comédiens aguerris, disaient ne pas avoir souvent vu des réalisatrices comme cela ! »
Ce film n’est-il pas un récit à la fois sur la confiance et la méfiance ? D’un côté, la confiance qu’on offre à une personne dont on tombe amoureux, a fortiori quand celle-ci est d’une autre culture ce qui peut susciter des incompréhensions mutuelles, et d’un autre côté, cette méfiance issue de l’entourage de Monika, alors que ce sont des gens qui pensent être libéraux, ouverts, mais qui montrent qu’ils sont bourrés de préjugés…
« Oui, c’est aussi ce qui m’a intéressé dans l’histoire. L’amour est une question de confiance aussi. Entre Joseph et Monika, la confiance est toujours déstabilisée et ce, des deux côtés. »
Comment Lisa et son co-scénariste ont-ils travaillé pour donner une vraie authenticité au propos ? Y a-t-il eu des discussions avec la communauté congolaise pour qu’on ne puisse pas faire le reproche d’une vision blanche biaisée ? Ce qui est d’ailleurs aussi le fond du récit…
« Justement, ça a été fait. J’en ai beaucoup parlé avec Lisa qui a travaillé sur les traductions du lingala pour les sous-titres. Elle a collaboré avec des Congolais de Francfort ou de Berlin. Eux-mêmes étaient étonnés de voir combien son film était pointu… Elle connaît bien aussi les gens qui ont connu Joseph et sa mère dans la communauté congolaise et angolaise. Lisa a grandi en les connaissant, son appartement est même non loin d’un bar africain. Elle a donc beaucoup échangé. Ceux qui incarnent différents rôles dans le film et qui ne sont pas nécessairement des acteurs à la base avaient aussi un rôle d’assistance sur les habitudes, la langue etc. Je lui ai d’ailleurs dit qu’il faudrait montrer ce film au Congo pour voir les réactions, qui seront forcément différentes aussi. »
Parce que c’est une époque que les moins de vingt ans ne connaissent pas nécessairement, rappelons que vous avez été un des fondateurs de Ministère A.M.E.R., ce groupe de rap emblématique des années 1990 en France. Le cinéma vous suit depuis cette époque-là, parce qu’en-dehors des vidéo-clips, on peut entendre des morceaux de Ministère A.M.E.R. dans le film La Haine...
« Oui. Et j’aurais pu jouer avant, mais comme je le disais je n’étais pas prêt. Je l’ai d’ailleurs regretté par la suite. J’ai dû réaliser une vingtaine de clips jusqu’à aujourd’hui. J’ai joué quand même dans une série africaine, Inspecteur Sori. J’ai joué avec Nadège Beausson-Diagne et Eriq Ebouaney, deux acteurs noirs qui font énormément de films. Eriq Ebouaney joue dans des Ridley Scott, Nadège Beausson-Diagne a beaucoup joué aussi. J’ai donc beaucoup appris à leur contact. Je suis très critique sur moi-même donc avant d’accepter quoique ce soit, je voulais être capable de jouer. Lisa est donc arrivée au bon moment. Je me sentais prêt. Le fait d’aller jouer en Allemagne, de jouer en anglais, avec du lingala alors que normalement je parle le munukutuba, c’était un vrai défi ! »
Le film a sa première mondiale ici au Festival du film de Karlovy Vary et a été sélectionné dans la compétition principale. Un mot sur le festival ?
« C’est un super festival. C’est la première fois que j’y viens. Il y a vraiment des passionnés. J’ai fait des festivals de cinéma en France où c’est beaucoup plus protocolaire, alors qu’ici c’est beaucoup plus détendu, plus ouvert. C’est bien ! C’est intéressant de voir les réactions tchèques aussi, différentes, car les gens ne connaissent pas forcément ces histoires de couples mixtes. Je doute qu’il y ait beaucoup de Congolais en Tchéquie… Ce que j’ai aimé dans le film, c’est que ça a beau être un drame il y a quand même des passages drôles. J’attendais depuis un moment de le voir. Il devait sortir en février à la Berlinale, mais ça a été reporté. Donc je suis content de l’avoir vu, enfin, ici, à Karlovy Vary et je suis heureux du résultat. »