Patinage artistique : à Lyon, un couple franco-tchèque rêve des prochains JO

Lucie Myslivečková et Neil Brown, photo: Michal Jurman, ČRo

Neil Brown est patineur artistique français. Pourtant, c’est sous les couleurs de la République tchèque qu’il a participé au concours de danse des championnats d’Europe de Sheffield en janvier dernier. Une grande première que Neil Brown doit à Lucie Myslivečková, patineuse tchèque qui s’était retrouvée sans partenaire dans son pays. Depuis un an environ, le couple franco-tchèque s’entraîne à Lyon. C’est là, à la sortie de l’entraînement, que Radio Prague les a rencontrés il y a quelques semaines. Nous vous proposons aujourd’hui l’entretien avec Neil Brown, qui a d’abord expliqué comment un patineur français en était arrivé à représenter la République tchèque.

Lucie Myslivečková et Neil Brown,  photo: Michal Jurman,  ČRo
« Ca s’est fait tout simplement. Il y a un an et demi cela, j’étais blessé et ma partenaire de l’époque avait arrêté après les championnats de France. Du coup, j’ai cherché une nouvelle partenaire, mais il n’y avait personne en France. C’est alors que j’ai été contacté par Lucie, et nous avons décidé de faire des essais. Ce n’est que par la suite que nous avons décidé de représenter la République tchèque. En fait, il y a un système de règlement international par rapport à l’ISU (International Skating Union – en français Union internationale de patinage) qui stipule qu’il faut attendre un an avant de pouvoir représenter un autre pays. Or, comme j’avais participé à ma dernière compétition internationale avant Lucie, qui avait fait les championnats du monde en mars, il aurait fallu attendre encore un an avant de pouvoir représenter la France. C’était donc plus intéressant pour nous de représenter la République tchèque. »

Et aujourd’hui, qu’est que cela représente pour vous de concourir sous les couleurs tchèques ?

« Euh… bah, au final, les couleurs sont les mêmes que celles de la France, donc cela ne me gêne pas du tout ! Je n’étais pas particulièrement attaché à la France dans le sens où ça ne me gêne pas de patiner pour un autre pays. Ce que j’aime, c’est patiner. Ce n’est pas le pays en question qui me pousse à patiner. Ce n’était pas un réel problème. Ce qui était aussi intéressant pour moi, c’est qu’il y avait beaucoup moins de couples en République tchèque. Du coup, cela nous permet de participer plus facilement aux grandes compétitions internationales comme les championnats d’Europe ou du monde. C’est donc aussi un choix stratégique. Il y a moins de concurrence, c’est donc un peu plus simple au niveau de la loterie. »

Comment Lucie vous a-t-elle trouvé ?

Lucie Myslivečková,  photo: deerstop,  Wikimedia Commons
« Elle m’a envoyé un message au début à travers Facebook. Je la connais depuis bientôt huit ans. En 2005, nous avons participé ensemble à notre première compétition internationale. Ensuite nous nous sommes plusieurs fois recroisés sur d’autres compétitions. Elle m’a donc envoyé un message en juin 2011 quand elle s’était séparée de Matěj (Matěj Novák, son partenaire tchèque jusqu’alors). Mais de mon côté, je n’étais pas du tout sûr de pouvoir continuer à cause d’une blessure à un genou. Je venais de subir une lourde intervention. Je n’ai donc pas donné suite dans un premier temps, car je ne savais pas si mon état physique me permettrait de pouvoir repatiner. Et puis Lucie a recontacté mon entraîneur Romain Haguenauer. Nous en avons donc discuté, et en l’espace d’une semaine ou deux, elle est venue à Lyon. Nous avons fait quelques essais qui ont été concluants, et de là nous nous sommes lancés dans l’aventure. »

Est-ce difficile de changer de partenaire ?

« Oui, enfin… Il y a certaines choses qui sont plus dures. C’est sûr qu’il faut s’habituer à la personne d’abord d’un point de vue physique. Ma partenaire précédente n’avait pas la même morphologie, la même intensité dans le patinage, le même engagement. Tout ça, ce sont des choses qu’il faut apprendre à gérer. Mais globalement, c’est l’histoire de quelques semaines. Il a simplement que je m’adapte au style de patinage de Lucie et elle au mien. Ce n’est pas forcément facile, d’ailleurs, aujourd’hui encore, nous sommes toujours en phase d’adaptation, car cela prend des années pour créer une osmose parfaite. Mais globalement, en l’espace de quelques semaines, on arrive quand même à trouver un certain ensemble. »

Oui, parce que les choses se sont mises en place plutôt rapidement, puisque vous avez participé aux championnats d’Europe en début d’année. Combien de travail a-t-il été nécessaire pour trouver des automatismes et bien vous comprendre sur la glace ?

« La chose qui a été très particulière pour moi est que lorsque nous avons décidé de patiner ensemble, c’est-à-dire courant octobre l’année dernière, nous avons très vite commencé à monter les programmes, car nous avions une première compétition à Zagreb dès début décembre. Nous avons donc eu littéralement un mois pour apprendre à nous connaître, monter les programmes et faire notre première présentation à Zagreb. Ce n’était quand même pas évident, sachant que, en général, on a les deux mois d’été pour préparer le montage des programmes. Il a donc vraiment fallu monter un programme en une semaine pour pouvoir être à la hauteur trois semaines plus tard. Nous avons été forcés et poussés très vite dans le bain de la compétition. Mais en même temps, c’est ce qui a fait que nous nous sommes adaptés si vite. »

Comment se sont passés les championnats d’Europe ? Et, aujourd’hui, quelques mois plus tard, quels sont vos objectifs pour la nouvelle saison qui arrive ?

« Pour ce qui est des championnats d’Europe, d’abord c’était ma première expérience de grande compétition internationale. Lucie, elle, avait déjà participé aux championnats d’Europe et du monde. C’était donc complètement nouveau et une expérience fantastique. Au niveau des performances, j’ai été très content du programme court, qui s’est très bien passé, mais plus déçu au niveau du libre avec une erreur qui nous a coûté très cher. Mais dans l’ensemble, cela a été une belle satisfaction. Revenir d’une telle blessure et participer à mes premiers championnats d’Europe avec une nouvelle partenaire a été une victoire personnelle… »

Quel a été votre classement final ?

Lucie Myslivečková et Neil Brown,  photo: Jan Kaliba,  ČRo
« 19es. C’était plutôt une bonne performance pour un couple comme le nôtre qui venait de débuter et arrivait en compétition. Maintenant, pour ce qui est de cette saison, on a bossé énormément cet été entre Lyon et Prague. Le but est de repartir aux championnats d’Europe et du monde. Mais pour ça, il va falloir que nous soyons le couple tchèque numéro un. Et puis après de nous améliorer de compétition en compétition. Mais le premier objectif, ce sont d’abord les championnats nationaux en décembre, et surtout en sortir vainqueurs. »

Comment envisagez-vous votre collaboration à plus long terme ? En 2014, il y aura les Jeux olympiques de Sotchi…

« Oui, c’est sûr, les JO, c’est le rêve de tout sportif. Mais en ce qui me concerne, pour pouvoir y participer, il va falloir que j’aie le passeport tchèque, chose que je n’ai pas pour l’instant. Nous sommes actuellement en pleines démarches. Normalement, il ne devrait pas y avoir de soucis, mais ça n’en reste pas moins une démarche qui prend du temps… Mais sinon, oui, le grand objectif la saison prochaine, ce sera la qualification pour les JO. Et si on n’a pas le passeport, on se concentrera sur les championnats d’Europe et les championnats du monde. Mais les JO restent quand même le but : on travaille dans ce sens-là tous les jours. »

Vous avez évoqué vos allers-retours entre Lyon et Prague cet été, mais l’essentiel de votre préparation s’effectue ici à Lyon…

« Oui, nous sommes basés à Lyon et nous y entraînons à l’année. Mais Lucie est restée en très bons termes avec son ancien entraîneur Rotislav Sinicyn. Cela nous amène donc à faire quelques voyages en République tchèque et à travailler avec lui de temps en temps. Nous y étions dernièrement fin août parce qu’il y avait une sélection et nous en avons donc profité pour passer une semaine là-bas. L’année dernière, nous étions déjà partis dans le même cadre avant les championnats nationaux, ce qui nous avait permis de travailler et de nous poser un peu avant la compétition. Nous nous efforçons de fonctionner comme ça de manière régulière lorsque cela est possible. Cela représente donc environ quatre à cinq semaines en République tchèque éparpillées dans la saison pendant lesquelles nous travaillons avec Rotislav et sa femme Nalalia Karamysheva. »

Peut-on parler d’école différente entre la France et la République tchèque, ou plus généralement les pays d’Europe centrale et de l’Est ? Quelles sont les différences dans l’appréhension du travail, des chorégraphies ou des programmes ?

« Tout à fait. Lucie sort d’une école russe avec son entraîneur Rotislav, tandis que moi, je sors de l’école française. Et ce sont deux écoles très différentes. Il y a certaines choses qui sont complètement identiques au niveau de la technique. Après, il y a en d’autres où il faut s’accorder, voir avec les entraîneurs pour trouver la solution idéale. Concernant notre couple, quand on patine ensemble, il y a peut-être certaines choses qui passeront mieux par rapport à nos corps et d’autres moins bien. Du coup, c’est à la fois un choix personnel et un choix qu’on effectue avec les entraîneurs. Au niveau chorégraphique et artistique, on n’a pas encore eu énormément l’occasion de travailler avec Sinicyn en Russie. On a essentiellement travaillé avec des chorégraphes français et nos entraîneurs ici en France. Mais je serais très intéressé de travailler avec Sinicyn sur un plan chorégraphique. Pour le reste, le milieu de l’école russe est très basé sur la performance et l’engagement, chose dont on n’a pas forcément conscience en France. Vu qu’il y a tellement plus de concurrence chez eux qu’en France, les Russes ont tendance à avoir une plus grande rage de vaincre. C’est quelque chose que je ressens particulièrement chez Lucie. C’est une chose dont on m’a dit que je l’avais aussi, donc nous sommes très bien associés sur ce point. Mais par rapport à ma partenaire précédente, c’est quelque chose que je ressens très fort chez Lucie. Je dirais que c’est une des plus grandes différences. »

Pour vous, c’est donc également un apport sur le plan personnel et dans la manière de vivre votre passion.

« Oui, c’est indéniablement un apport, même si parfois il y a des petites choses techniques qui coincent parce que nous avons deux écoles. Ceci dit, ça nous permet aussi de nous poser des questions qui sont plus intellectuelles par rapport au sport, à savoir pourquoi telle ou telle école serait mieux que l’autre. Du coup, ça nous permet de travailler notre sport au niveau intellectuel, ce qui est quand même très intéressant et nous fait évoluer. Moi, par rapport à mon école française, ça me permet d’envisager pourquoi l’école russe envisage tel ou tel pas de telle ou telle manière et d’essayer de comprendre son système. Mais cela vaut aussi dans le sens inverse. Cela nous arrive régulièrement avec Lucie en plein milieu d’un entraînement de nous arrêter pendant cinq minutes et d’essayer de comprendre ce qui est le mieux et pourquoi. C’est un vrai enrichissement. »

Ce type de collaboration qui est la vôtre est-il fréquent dans le patinage ? C’est quand même quelque chose de particulier que deux sportifs de nationalités différentes puissent représenter le même pays…

« En général, ça arrive assez souvent pour les petits pays. Quand on regarde les couples des Etats-Unis, du Canada ou de Russie, les deux membres sont de la même nationalité. Mais c’est surtout pour les pays où il y a tout simplement moins de monde qu’on trouve des partenariats comme le nôtre. C’est le cas par exemple d’un couple qui représente la Lituanie, avec lui qui est lituanien et elle qui est américaine. Dans mon cas, si je suis parti, c’est parce qu’il y avait pas mal de monde en France, et comme je revenais d’une blessure qui m’a tenu éloigné des patinoires pendant un an, j’étais un peu tombé aux oubliettes. Pour moi, c’était donc plus intéressant de représenter la République tchèque. Aux Etats-Unis, comme il y a des centaines de patineurs, cela arrive fréquemment qu’un patineur représente un pays moins grand justement pour avoir accès aux grandes compétitions internationales. »