Révolution industrielle en Bohême

Liberec / Reichenberg
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Nous revenons aujourd'hui sur la Révolution industrielle en Bohême au XIXème siècle. Cet épisode au long cours a été particulièrement fondateur pour l'histoire du futur Etat tchécoslovaque, et elle permet d'expliquer la spécificité des terres tchèques dans le contexte centre-européen.

Si la Révolution industrielle évoque d'abord le XIXème siècle, c'est au XVIIIème siècle que tout se met en place. Après la perte de la Silésie par l'Autriche, il revient à la Bohême de prendre la relève pour devenir un centre d'artisanat actif. La proto-industrie qui se met en place présente des formes archaïques et se caractérise par un système de manufactures disséminées. L'entrepreneur donne aux tisserands et aux filandiers la matière première, qui est ensuite travaillée à domicile. L'ouvrier est payé à la pièce.

Dans quelques villes - Brno, Jihlava, Liberec- un phénomène de manufacture concentrée apparaît dès les années 1770. Et c'est la production drapière qui jette les bases du futur développement industriel. Celle-ci est fortement stimulée par les fournitures aux armées, mais aussi par l'abolition du monopole d'Etat. Au tournant des XVIIIème et XIXème siècles, on peut déjà mesurer le formidable développement des secteurs du coton, du lin et de la laine, qui emploient, en Bohême, 600 000 personnes, soit un cinquième de la population. Symbole annonciateur des évolutions ultérieures, la première raffinerie de sucre de canne est créée en 1787 à Zbraslav, près de Prague.

Le XIXème siècle voit - lentement mais sûrement - la Bohême rattraper son retard industriel sur les pays d'Europe occidentale. Le siècle est celui de la machine. Dès 1797, la première filature mécanique de coton voit le jour à Vernerice, suivi par le tissage mécanique à Brno. Dépendantes de la force motrice hydraulique, les premières grandes usines s'installent de préférence dans les régions frontalières, riches en cours d'eau. Elles dessinent ainsi une répartition des régions industrielles qui est restée à peu près identique jusqu'à nos jours. C'est en 1814 que la vapeur est utilisée pour la première fois à Brno.

A ce moment, on est vraiment passé de la manufacture à la grande production mécanique et celle-ci se généralise à partir des années 1840, touchant l'agro-alimentaire et surtout les transports. Les Pays tchèques seront d'ailleurs les premiers en Europe à construire, dès 1832, une ligne de chemin de fer. Les forges de charbon de Furstenberg, dans la région de Krivoklat, y jouent un rôle déterminant. Quatre ans plus tard, en 1836, une ligne de chemin de fer relie Vienne aux mines de fer de Moravie du Nord.

Tout au long du XIXème siècle, la figure de l'industriel prend une nouvelle forme : celle du self made man. Et les grandes réussites commerciales et technologiques se déclinent sur des noms : les frères Klein, dans le secteur ferroviaire, Johan Liebig ou encore le célèbre Skoda à Plzen.

Notons que la plupart des chefs d'entreprises sont à l'origine des meuniers ou des paysans riches. La montée de l'influence économique des non-nobles marque une nette rupture avec les représentations sociales. La révolution industrielle entraîne, sans révolution sanglante, la montée de la petite et de la moyenne bourgeoisie. Pour beaucoup d'historiens, cette évolution sur le long terme explique la solidité de la démocratie tchécoslovaque sous la 1ère République.

Revenons en arrière. Au XVIIIème siècle, on voit nobles et roturiers participer chacun aux débuts de l'industrialisation. Mais les bourgeois et certains paysans voient aussi dans l'entreprenariat une manière de se détacher du pouvoir seigneurial. Des manifestations de verriers, de 1765 à 1767, s'opposent aux divers freins que met la noblesse dans la bonne marche des manufactures. En France, en 1789, c'est la bourgeoisie qui fait la révolution politique. En Bohême, le phénomène est différent et c'est la Révolution industrielle qui créé une solide bourgeoisie qui s'affirme tout au long du XIXème siècle pour remplacer presque totalement la noblesse dans la gestion des affaires publiques. Une révolution silencieuse et naturelle en somme.

Mais comme ailleurs en Europe, la question sociale prend de plus en plus d'importance. Les conditions de travail des ouvriers n'ont jamais été aussi dures en Bohême qu'en France ou en Angleterre et le travail des enfants était réglementé par les autorités. Mais la famine des années 1846-47 exacerbe les revendications face à une vie somme toute pénible : en 1844, une grève s'accompagne de destructions de machines et la même année, une manifestation des ouvriers des chemins de fer est réprimée à coup de fusils.

La Révolution industrielle en Bohême aura préparé, tout au long du XIXème siècle, les bases de l'indépendance tchécoslovaque au siècle suivant. Sous la 1ère République, le pays se pose d'emblée comme une solide puissance économique en Europe.