Sandrine Bonnaire : « Le film sur Sabine m’a donné envie de continuer à être derrière la caméra »

Sandrine Bonnaire, photo: Vladimír Lacena, Febiofest

La comédienne française Sandrine Bonnaire était à Prague récemment dernière pour recevoir le prix Kristián dans le cadre du festival Febiobest. Le public praguois a ainsi la possibilité de voir ou de revoir certains des grands films qui ont marqué sa carrière. L’occasion de s’entretenir avec elle, notamment de son premier film en tant que réalisatrice, Elle s’appelle Sabine, documentaire consacré à sa sœur autiste, mais aussi sur son deuxième opus en tant que réalisatrice. Radio Prague a recueilli ses réactions après la remise du prix Kristián :

Sandrine Bonnaire,  photo: Vladimír Lacena,  Febiofest
« Cela fait plaisir bien sûr. Il y a une reconnaissance On ne peut pas dire qu’on ne fait pas ce métier aussi pour ces raisons-là. Un travail reconnu, c’est toujours touchant. Après, je me dis : est-ce que c’est l’âge ? Il y a bien sûr la reconnaissance, mais j’ai trente ans de carrière. Alors est-ce que fait partie des vieilles… (rires) ?! Evidemment que ça fait plaisir. On ne fait pas de ce travail pour rien, on le fait pour soi d’abord, et pour le public. Si en plus la profession a de la reconnaissance, c’est encore mieux. »

Plusieurs de vos films ont été projetés en République tchèque ces dernières années, dans le cadre de festivals, qu’il s’agisse de films dans lesquels vous avez joué, ou du film que vous avez tourné sur votre sœur, autiste. Ce film, Elle s’appelle Sabine, pourquoi avez-vous voulu le faire ?

« J’ai été la marraine des journées de l’autisme en France pendant plusieurs années. Je me suis dit que la meilleure manière de défendre l’autisme était de le faire à travers Sabine. J’entendais tellement de témoignages de familles tout aussi tragiques que l’histoire de Sabine que je me suis dit qu’il fallait dénoncer tout cela. Ce n’était pas tant pour parler de Sabine que pour dire que ça continuait. Ce film a été fait pour sensibiliser les pouvoirs publics, le public aussi à ce regard qui est souvent malveillant. Oui, c’était un acte politique. »

Avez-vous été surprise des réactions suite au film ? Qu’elles soient positives ou négatives…

« Je n’ai pas été surprise. Parce que c’était évident que l’histoire de Sabine était touchante et bouleversante. Personne ne peut être insensible au cas de Sabine. »

Il faut rappeler qu’elle a été diagnostiquée autiste très tard et très mal prise en charge surtout…

« Oui. A la limite le diagnostic à cet âge-là, c’est presque trop tard. On est diagnostiqué mais où oriente-t-on ces gens-là ? S’il n’y a pas de lieu de vie, de lieu de soins, que fait-on d’un simple diagnostic ? Ma démarche est surtout orientée vers cela : trouver des lieux de vie et de soins, où les parents peuvent souffler. Parce que les familles existent aussi. Et puis après tout, est-ce qu’il est bon ce diagnostic aujourd’hui. On n’en sait en fait pas plus parce qu’il y a tellement de formes d’autisme. Certains me disent qu’en fait elle est autiste Asperger. Est-ce cela ? Moi, je m’en fiche totalement. Ce qui compte pour moi, c’est que Sabine ait un toit, qu’elle soit considérée. Quand je dis, un toit, cela signifie une vraie maison, et non pas un hôpital où l’on est en permanence avec 50 personnes. Ce n’est pas parce qu’on est malade ou différent qu’on ne doit plus avoir d’intimité, de repères à soi. »

Ce qui est important aujourd’hui, c’est que Sabine est prise en charge en fonction de ses besoins…

'Elle s'appelle Sabine'
« Voilà, il y a une prise en charge individuelle, on est avec la personne et on ne réagit pas en nombre de lits et en traitement général. La vie en collectivité n’est pas facile. Et en hôpital, ça fait du bruit cinquante personnes, donc on donne des soins qui éteignent un peu les gens, pour qu’ils ne s’expriment pas trop et pas trop fort. »

Comment Sabine a-t-elle réagi au film ?

« Le film lui a fait beaucoup de bien, elle a été la première à le voir, avec les gens de l’association que j’avais filmés. Ensuite, elle me l’a demandé en DVD. Je lui ai passé. Elle le regardait tous les jours. Elle s’est presque dédoublée : à la fois cela lui a fait beaucoup de bien, car elle a vu comment elle était avant, elle s’est souvenue de ce qu’elle était avant, donc elle a eu besoin et envie de retrouver des forces pour y ressembler un peu. En même temps, il y avait un côté où elle était un peu comme une actrice – ce qui est vrai en sorte, mais plus tout-à-fait dans la réalité. Elle avait besoin de voir le film tous les jours ce qui était trop. Les gens qui s’occupent d’elle ont recadré tout cela. »

Comment va Sabine aujourd’hui ?

« Pas mal. Ce n’est pas encore cela, mais pas mal. Elle a énormément maigri, elle a eu envie de se laisser pousser les cheveux. Elle est plus comme avant, plus coquette. Et en même temps par moments, violente, mais c’est normal. C’est sa différence qui fait cela, Sabine s’exprime comme cela, de toute façon. »

Il s’agit de votre premier film. Vous venez juste d’achever le tournage de votre deuxième film, un film de fiction cette fois, qui doit sortir en septembre. De quoi s’agit-il ?

Sandrine Bonnaire,  photo: Febiofest
« C’est un film qui parle de l’absence de quelqu’un. Tout tourne autour de cela. Donc du vide, et en même temps une renaissance avec quelqu’un d’autre. C’est un film sur le secret, le transfert, la folie aussi. Et en même temps sur quelque chose qui rassemble. C’est un homme qui ne se remet pas de la mort d’un enfant. Chacun d’entre nous peut être en empathie avec ce personnage car chacun pourrait vivre cela, ou a déjà vécu cela. C’est un film à la fois très simple, un peu tordu, parce que c’est quelqu’un qui va se retrouver dans une cave. Jusqu’à présent les gens qui l’ont vu, les gens proches, je m’aperçois que c’est un film qui rassemble. C’est le cœur qui parle, les gens sont bousculés. C’est drôle parce que c’est un peu la même chose qu’avec Sabine, il y a quelque chose d’aussi fort qui se passe avec ce film. »

Comment avez-vous eu envie de passer derrière la caméra ?

« Je crois que c’est le film sur Sabine qui m’a donné envie de continuer à être derrière. Il y a une petite ressemblance entre les deux films, sur la vie qui fait basculer un destin. Que ce soit Sabine avec l’hôpital qui a été une tragédie, où sa vie a basculé et est devenue autre qu’elle n’aurait dû être, ou ce personnage, Jacques, qui devient différent après la perte de son enfant. »

Parmi vos films que les Tchèques ont pu voir en République tchèque ces dernières années, il y a Joueuse, de Caroline Bottaro. Elle dit avoir écrit ce rôle pour vous. Comment avez-vous réagi à la lecture du scénario ?

« Oui, tout de suite. »

Saviez-vous jouer aux échecs avant ?

'Joueuse'
« Pas du tout. Je ne sais toujours pas jouer d’ailleurs. J’ai évidemment appris les règles, mais entre connaître les règles et savoir jouer, c’est compliqué. J’avais très envie de faire ce film à cause d’une phrase qui me motivait et qui résume tout le film : quand on prend des risques on peut perdre, quand on n’en prend pas on perd toujours. Le destin de cette femme, c’est cela : elle prend des risques. »

A part cela, elle a une vie rangée à l’origine…

« Elle a une vie très rangée, mais se passionne pour les échecs et décide d’avoir une passion, d’être passionnée. Rien que cela c’est courageux. Et les échecs ce n’est pas rien. Socialement, ce n’est pas pour les petites femmes de ménage, ce qu’elle est à la base. Il y a un défi qui se fait avec elle-même. Je trouve formidable de se donner des défis et de se dire : j’y arriverai. »

Vous avez tourné un film à Prague à la fin des années 1980. Il s’appelle Prague. De quoi s’agissait-il ? J’avoue ne pas le connaître du tout…

'Prague'
« Eh bien moi je ne le connais plus (rires) ! Ce que je peux vous dire, c’est que c’était avec Bruno Ganz. Et un acteur qui s’appelle Ian Flemming. Et moi, j’étais censée être tchèque… »

Avec l’accent ?

« Normalement avec l’accent, mais c’était un film en anglais. Donc gérer l’anglais et l’accent tchèque, j’avoue que ce n’était pas possible ! Je ne me souviens plus de ce film. Je sais qu’elle était archiviste, qu’il y avait ce jeune garçon Ian Flemming qui revenait chercher des choses sur le passé de ses parents. C’est tout. »

Vous souvenez-vous de l’ambiance à Prague, avant 1989 ?

« C’était très différent. Très austère, très fermé, très tragédie du communisme… »