Ulysse, un héros mythique qui ne cesse de renaître
Qui n’a pas rêvé en lisant ou en écoutant le récit des aventures d’Ulysse, ce héros proche des dieux et pourtant tellement humain ? Ces exploits et son courage nous fascinent depuis des millénaires, mais nous l’aimons plutôt pour ses fautes, parce que c’est par ses fautes qu’il nous ressemble. Et nous l’admirons aussi pour son esprit et ses ruses qui lui permettent de sauver sa peau même dans les situations désespérées. L’épopée d’Homère qui raconte ses aventures ne cesse d’inspirer écrivains et artistes, et chaque époque, chaque génération, ressent le besoin de raconter de nouveau le périple de cet homme astucieux et d’y ajouter ses propres élans, ses aspirations et ses espoirs. Car l’Odyssée est également une œuvre sur l’espoir qui finit par se réaliser. Récemment, la Compagnie Irina Brook a apporté à Prague et à Hradec Králové une nouvelle version de l’Odyssée. Cette adaptation pour la scène du chef-d’œuvre d’Homère est une tentative de dépoussiérer le vieux classique et de faire subir à Ulysse une cure de rajeunissement.
« C’est une pièce mise en scène par Irina Brook qui existe depuis dix ans et qui a beaucoup tourné. Il y a eu des pauses, et cela fait quatre ans qu’elle a recommencé à tourner. C’est une pièce pour quatre acteurs qui raconte le retour d’Ulysse vers Ithaque, pièce qui dure une heure cinq minutes et qui est donc assez courte, mais où il se passe beaucoup de choses et où les personnages sont nombreux et variés. Chacun de nous joue plusieurs personnages ; même l’acteur qui campe Ulysse joue le rôle de Télémaque. Donc, tout le monde joue plusieurs rôles. C’est vraiment Ithaque revisitée, version jeune, version classique…»
Pour Tony Mpoudja, cette production est aussi une tentative pour donner corps à un personnage hors du commun, un héros littéraire ressuscité grâce à la magie du théâtre :« C’est un personnage qui fait rêver parce qu’il endosse des sentiments humains complètement exagérés. Il n’est pas seulement courageux, il est très courageux, il n’est pas seulement vaillant, il est très vaillant, il n’est pas seulement rusé, il est très rusé. Il est donc tout à fait hors du commun. Je crois donc que c’est un personnage qui a toute sa place au théâtre. L’Odyssée n’est pas une pièce de théâtre, c’est un roman de mer. Nous, on en fait une pièce de théâtre, mais le personnage d’Ulysse n’était pas un personnage de théâtre à la base. Sur scène, il vit. On le voit, et la mise en scène d’Irina Brook fait aussi ce travail d’imagination. L’histoire d’Ulysse est aussi celle de la Grèce et de la mythologie grecque. Et c’est extraordinaire. »
C’est à Raphaël Leguillon qu’Irina Brook a confié le rôle d’Ulysse dans ce spectacle au rythme rapide qui raconte les choses graves avec un humour souvent irrésistible :« Mon rôle dans le spectacle est celui du personnage d’Ulysse qui s’embarque avec ses compagnons, Achille, Hercules et le professeur. Hercules est vraiment celui sur qui je peux compter. Et en ce qui concerne les deux autres, je peux compter sur eux aussi, mais ils font toujours des bêtises, ils veulent toujours manger… Je dirais que la difficulté de ce rôle, c’est que je dois être moteur au fil de ces aventures. Je dois être le moteur, ça doit aller vite. C’est une pièce qui dure une heure et il se passe plein de choses pendant une heure. Je dois retrouver Pénélope, ma femme qui m’attend. Il y a tous ces prétendants qui arrivent tous aussi beaux les uns que les autres, des jeunes, des vieux, ils sont tous autour d’elle. Et elle n’en peut plus et leur répète : ‘J’ai un mari. Il va venir, il va venir.’ Elle garde l’espoir. Et moi je garde l’espoir de finir par la retrouver … »
Raphaël Leguillon a apporté au rôle d’Ulysse son énergie, son tempérament et sa jeunesse et a essayé de greffer tout cela sur le personnage de héros classique dans un spectacle qui marie la mythologie et la modernité :
« Je suis toujours à cheval entre l’Ulysse de la mythologie, que je dois incarner comme un guerrier, et l’élève que je suis au départ. Je dois préciser qu’au début du spectacle nous sommes des élèves. Nous écoutons notre professeur qui arrive pour un cours sur l’Odyssée et la mythologie grecque, et nous, nous en avons assez. Nous, nous voulons raconter l’Odyssée ‘version jeune’ comme on dit dans le spectacle. Donc, il y a beaucoup d’allers et de retours entre la modernité et le passé, et je dirais que l’enjeu, c’est de trouver l’équilibre entre cela justement. Déjà, nos costumes sont très modernes, on est habillés comme dans la vie de tous les jours. Vous voyez comment je suis habillé : ce sont les baskets que j’ai dans mon spectacle, et pour mes compagnons, c’est pareil. Et tout en étant dans cette modernité, nous sommes des élèves qui rentrent vraiment dedans, on devient ces personnages. Nous sommes comme des enfants qui jouent à faire ça pour de vrai en fait. Et je dirais que c’est tout l’état d’esprit d’Irina Brook, qui travaille à la fois sur l’enfance, le jeu, l’amusement et le vrai. »Ysmahane Yaqini passe avec une facilité époustouflante d’un rôle à l’autre. Elle est tantôt une Circé sensuelle et perfide, tantôt une Pénélope fidèle et astucieuse, tantôt un Cyclope borné et anthropophage. Voici comment elle voit la méthode de mise en scène d’Irina Brook :
« Quand il y a un texte, on en parle mais après elle le réadapte. Enfin, ça dépend, parce que l’Odyssée, c’est une véritable création collective qui est arrivée à nous. Nous avons lu les vingt-quatre chants de cette épopée, et tous les jours Irina Brook nous disait : ‘On va travailler sur cet épisode – les Cyclopes. Donc, lisez-le et improvisez-le ! Ce sont des jeunes qui jouent à le raconter.’ Dernièrement, on a monté la Tempête de Shakespeare, et on avait donc vraiment le texte de Shakespeare dont on a retravaillé certains passages. On le faisait à cinq acteurs et elle a noué des liens entre les personnages. Donc, on a inventé l’intérieur, mais la trame et le texte de Shakespeare sont restés les mêmes. Sa méthode de travail, c’est donc beaucoup de liberté, beaucoup d’improvisation. On se réapproprie des choses. Elle fait qu’on invente autant qu’elle invente parce qu’elle nous laisse beaucoup d’espace et de liberté pour inventer. Donc, quand on parle de l’Odyssée, on improvise tous les jours. Après, il y a quelqu’un qui note tous les jours et puis on revient dessus. Ça fait des allers et retours entre le plateau et, un petit peu, la table. Irina ne travaille pas beaucoup autour de la table. »Il n’est pas facile de présenter un spectacle devant un public étranger, un public qui ne comprend pas la langue des acteurs et qui n’arrive pas toujours, malgré les surtitres, à apprécier l’humour des répliques. Ysmahane Yaqini constate pourtant que, lors de la représentation que la Compagnie Irina Brook a donnée au festival du Théâtre des régions européennes à Hradec Králové, cette barrière des langues et d’incompréhension est tombée :
« Pendant toute la durée de la représentation, c’était assez étrange, parce qu’on avait le sentiment que le public était à l’écoute, mais que tout était en décalage, parce que c’est un spectacle basé beaucoup sur le rythme. C’est donc une partition très rythmée avec beaucoup de gags et de jeux de mots, et les surtitres n’allaient pas aussi vite. Voilà, c’est la difficulté des surtitres. Et, du coup, il y avait quelques rires, mais moi je me disais : ‘Est-ce que ça leur plaît ou pas ?’ Et, de temps en temps, je sentais dans mon rythme intérieur que j’essayais de ralentir un peu pour laisser le temps de la compréhension et pour le va-et-vient entre là-haut (les surtitres) et nous, notre jeu sur scène. A la fin, on a eu une vague d’applaudissements d’une chaleur et d’une générosité incroyables pendant cinq minutes. On est venus pour huit ou neuf rappels et ils n’arrêtaient pas d’applaudir. Donc, ils ont aimé en fait. »