Un amour de Wilhelmine de Sagan
Elle s’appelait Wilhelmine. Elle était duchesse de Sagan et princesse de Courlande et l’une des plus grandes dames de l’Europe de la première moitié du XIXe siècle. La duchesse qui possédait de grands domaines en Bohême, a vécu entre 1781 et 1839 et sa vie reste une source inappréciable d’informations sur la société, la politique et la diplomatie européennes de son époque. Récemment les archives de la Bibliothèque britannique de Londres ont livré un de ses secrets : des documents sur un chapitre presque inconnu de sa vie qu’a été sa liaison passionnée avec le diplomate Frederik James Lamb.
C’est la duchesse Wilhelmine qui a servi de modèle pour le personnage de la princesse éclairée du roman Grand-mère de Božena Němcová, œuvre fondamentale de la littérature tchèque. Tous les Tchèques connaissent aujourd’hui le portrait idéalisé de Wilhelmine de Sagan que Božena Němcová a brossé dans son roman. La duchesse y apparaît sous les traits d’une grande dame un peu nostalgique qui est sensible aux soucis et aux besoins de ses sujets et qui sait apprécier la sagesse populaire. Et c’est le nom de la duchesse qui apparaîtra encore au XXe siècle dans le pseudonyme littéraire de Françoise Sagan, car la romancière française l’adoptera en signe de profonde admiration pour la femme qui l’avait porté.
Le livre de Děvana Pavlíková réunit les lettres de Wilhelmine mais aussi d’importants chapitres sur la vie des deux protagonistes de cette correspondance :
« Les lettres sont adressées au diplomate anglais James Lamb, membre de l’ambassade de Grande-Bretagne à Vienne lors du Congrès de Vienne qui a eu lieu de 1814 à 1815. La duchesse a fait sa connaissance à Prague. C’était probablement dans son salon qu’ils se sont rencontrés pour la première fois. Ils ont continué à se rencontrer plus tard aussi dans le salon de la duchesse à Vienne que James Lamb fréquentait comme d’ailleurs beaucoup d’autres personnes de l’Ambassade de Grande-Bretagne. »
La vie de Wilhelmine de Sagan, ce perpétuel voyage, ne cesse d’éveiller la curiosité des historiens et des biographes car elle est étroitement liée avec la politique et la diplomatie internationale des premières décennies du XIXe siècle, au moment où l’Europe sortait de l’épreuve des guerres napoléoniennes et s’organisait selon un nouvel ordre établi par le Congrès de Vienne. Parmi les hommes qui jouent un rôle important dans sa vie, il y a Metternich, Talleyrand, le tsar Alexandre, Windischgrätz. Elle fascine son entourage et cette fascination lui survivra. Son amour pour James Lamb se heurte cependant à des obstacles qui se sont révélés insurmontables :
« Malheureusement, la duchesse qui a divorcé deux fois, risquait de se heurter à des réticences au sein de la société aristocratique en Angleterre. Elle s’en rendait compte et elle s’est rendue dans ce pays en 1814 pour tester la réaction des Britanniques à sa personne et pour voir si la vie là-bas serait acceptable pour elle. Le résultat de cette épreuve n’a pas été satisfaisant. »
La duchesse désire pourtant épouser James Lamb. Ses lettres démontrent que les deux amants projettent de partir pour vivre dans un autre pays, en Italie ou en Espagne car Wilhelmine aime le climat doux de la Méditerranée, et James aussi :« Elle espérait que James pourrait renoncer à sa carrière diplomatique et que le couple pourrait se retirer pour vivre des revenus de la duchesse à l’écart de la société. Mais cela n’était probablement pas admissible pour James. Et je crois que c’était finalement la raison pour laquelle elle a finalement porté son choix sur Charles Stuart, ambassadeur britannique, qui, selon les termes de Wilhelmine, prenait la relation avec elle ‘au sérieux’. »
La correspondance de Wilhelmine avec James reste unilatérale. Děvana Pavlíková regrette que les réponses de James n’aient pas été retrouvées :
« Il est évident que James Lamb gardait soigneusement toutes les lettres reçues d’elle. Dans sa succession, il y a non seulement toutes les lettres mais aussi tous les petits mots qu’elle lui a adressés. On voit que c’est très méthodique et qu’il n’a rien jeté de ce qui était lié à la duchesse de Sagan et cela malgré le fait qu’il ait été obligé de déménager nombre de fois car il a été nommé ambassadeur dans divers pays. »
La duchesse a sans doute gardé, elle aussi, les lettres de son ami anglais. Elles faisaient probablement partie de sa correspondance privée conservée dans son château de Sagan. Malheureusement l’ensemble de sa correspondance et toutes les archives de Sagan ont disparus en 1945, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque l’armée russe a occupé cette région allemande qui aujourd’hui fait partie de la Pologne. Il y a deux versions de la disparition des archives de Sagan. Selon la première, les livres et les documents auraient été jetés sous les chenilles des chars russes qui s’embourbaient dans le terrain boueux autour du château. Selon la seconde version deux officiers des armées des Alliés, l’un dans l’uniforme britannique, l’autre dans l’uniforme français, auraient ordonné le transfert des archives à un endroit inconnu.Il est donc possible que des archives inconnues abritent ces documents disparus et qu’un jour elles permettront d’ajouter de nouveaux éléments à cette mosaïque passionnée et passionnante qu’est la vie de Wilhelmine de Sagan, femme qui avait tout pour être heureuse, qui n’a jamais cessé de rechercher le bonheur et qui, selon un de ses biographes, a « magnifiquement raté sa vie ».
Le livre « Mon cher amour, mon amour coupable » est sorti en 2010 aux éditions Arsci.