Un scandale à l'opéra

La première de l'opéra Dalibor au Théâtre national de Prague a provoqué des réactions contradictoires frôlant un scandale. Vaclav Richter.

Bedrich Smetana a composé Dalibor en 1867 et la première mondiale de ce grand opéra national a eu lieu en 1868. L'auteur du livret, Josef Wenzig, s'est inspiré d'un fait historique à la mi-chemin entre la réalité et la légende. Le chevalier Dalibor a provoqué, vers la fin du 15ème siècle, un soulèvement populaire. Il a été capturé, mis en prison au château de Prague et finalement exécuté. Selon une légende, il a appris dans sa prison pragoise à jouer du violon et son jeu émouvant attirait des gens qui venaient l'écouter en foule sous la fenêtre de sa cellule. L'auteur du livret y a ajouté encore une histoire d'amour, proche de celle de Fidelio de Beethoven. Une femme déguisée en garçon, Milada, pénètre dans la cellule de Dalibor et lui propose de préparer son évasion. Dalibor tombe amoureux de cette femme courageuse et décide de fuir avec elle, mais leur projet d'évasion échoue et les deux amants sont tués. Jusqu'à cette dernière production, on respectait le caractère historique de l'opéra qui était présenté dans les décors et les costumes évoquant le 15ème siècle. Le metteur en scène, Jan Antonin Pitinsky, a osé rompre avec cette tradition et a conçu Dalibor comme un spectacle moderne, plus précisément post-moderne. Les décors et les costumes des deux premiers actes situent l'action dans notre temps, tandis que les crinolines et les hauts-de-forme du 3ème acte évoquent le 19ème siècle. La mise en scène ne raconte pas une histoire, elle se contente de suggérer les rapports entre les personnages et mélange les éléments réels et le rêve. Jan Antonin Pitinsky a donc privé l'opéra de ses bases historiques ou pseudo-historiques sans réussir cependant à lui donner une base nouvelle. Le spectateur se perd dans l'action scénique qui devient confuse et qui manque de logique. La première de l'opéra a été donc huée malgré la participation de chanteurs de qualité, que la direction du Théâtre national a réussi à réunir - Jan Vacik dans le rôle de Dalibor et Eva Urbanova qui a incarné Milada. Eva Urbanova, qui chante entre autres au Metropolitan Opera de New York, a décidé à la suite du scandale de renoncer au rôle de Milada. A noter qu'une telle réaction du public est tout à fait exceptionnelle dans les théâtres tchèques. Elle a attiré, bien sûr, l'attention de la presse et Dalibor est devenu tout à coup l'opéra le plus discuté dans les médias. Cela pourrait être une consolation pour ceux qui ont réalisé ce spectacle. Ils peuvent constater que le scandale qu'ils ont provoqué, a attiré l'attention du public tchèque sur l'art lyrique.