Une pelleteuse dans un chapiteau, l’idée folle du Cirque Inextremiste à Letní Letná

Cirque Inextremiste, 'Extension', photo: Nikola Milatovic / Letní Letná

Le festival du cirque nouveau Letní Letná, qui se tient jusqu'au 2 septembre prochain à Prague, accueille pour la deuxième fois les artistes de la compagnie française Cirque Inextremiste. Tandis que dans le spectacle présenté en 2014, le personnage de Rémi Lecocq, sans défense en raison de sa tétraplégie, se faisait malmener par ses coéquipiers acrobates, cette fois il se venge en s’armant d’une pelleteuse pour les déséquilibrer. Directeur artistique de la compagnie, Yann Ecauvre a raconté à Radio Prague comment il a mis au point ce spectacle périlleux intitulé Extension.

Cirque Inextremiste,  'Extension',  photo: Nikola Milatovic / Letní Letná
« Rémi est tétraplégique ‘de luxe’ parce qu’il peut encore un peu utiliser ses bras. C’est lui qui a commencé le cirque en premier dans l’équipe : il a commencé enfant et a eu son accident à vingt ans en école de cirque. Quand je l’ai rencontré, il avait quasiment arrêté le cirque, mais il rêvait de continuer à en faire sous d’autres formes. Mais dans notre société, un acrobate tétraplégique, ça n’existe pas et on lui a fait comprendre que c’était fini pour lui. Dans le premier spectacle nous avons donc voulu parler du rapport humain face à certains équilibres extrêmes et du handicap. Nous voulions montrer que les personnes handicapées sont comme nous, sauf qu’elles sont un peu plus faibles. On peut donc plus facilement profiter d’elles. Mais dans la réalité, ces personnes peuvent être tout à fait aussi méchantes et revanchardes que n’importe qui. »

Pour sa revanche, Rémi dispose d’une extension, d’où le titre du spectacle. Cette extension est une pelleteuse. Comment avez-vous eu l’idée d’utiliser cet engin et comment l’avez-vous trouvé ? Il faut tout de même qu’il puisse être utilisé sous un chapiteau…

« Cela faisait longtemps que j’avais envie de monter un spectacle avec une sorte de combat ‘humain contre pelleteuse’ avec des propositions un peu extrêmes et des idées techniques, notamment de la bascule. Je voulais emmener la pelleteuse dans les théâtres, de façon à ce que les gens se disent en la voyant : ‘non, ce n’est pas possible’. J’ai donc cherché une minipelle à biénergie, c’est-à-dire qu’elle dispose d’une double motorisation, électrique et thermique. Elle est relativement petite, donc même s’il faut que l’accès soit un peu dégagé, ses chenilles se rétractent, ce qui fait qu’elle peut passer dans un espace d’un mètre de largeur. Elle passe donc presque partout. »

Le spectacle joue avec l’équilibre des acrobates qui sont sur des planches en bois, disposées sur des bouteilles de gaz. Comment faites-vous pour maîtriser le mouvement de la machine alors que vous devez déjà faire attention à votre équilibre ?

Cirque Inextremiste,  'Extension',  photo: Jean Pierre Estournet / Letní Letná
« Dans ce spectacle, les bouteilles de gaz sont moins présentes que dans le premier, il s’agissait seulement d’un moyen de lier entre les deux spectacles. Et puis les bouteilles de gaz sont aussi devenues l’emblème de la compagnie. En vérité, la minipelle prend rapidement le pas sur ce type de figures. Les deux acrobates, Rémi Bezacier et moi, gèrent l’équilibre entre eux. Le troisième artiste, Rémi Lecocq, qui est dans la pelleteuse, travaille comme un porteur avec ses voltigeurs. C’est exactement ce rapport que nous avons, donc nous avons une confiance en lui que nous ne pourrions pas avoir en quelqu’un d’autre. Il a la précision et la connaissance des portés nécessaires pour transposer cela de façon mécanique. »

On peut voir sur votre site une vidéo de vos entraînements, dans laquelle vous tombez à plusieurs reprises. Comment gérez-vous les risques dans ce spectacle très périlleux ? Comment faites-vous pour ne pas tomber lors des représentations et surtout pour ne pas vous blesser ?

« Pour ne pas nous blesser, notre entraînement est assez proche de celui des cascadeurs, mais pour ne pas tomber, il n’y a rien à faire : parfois on tombe. Je mets toujours en ligne les vidéos de notre travail en cours, et comme nous cherchons de nouvelles figures en bricolant un peu, on se casse forcément la figure. Néanmoins, on s’y attend dans ces situations. La chute est dangereuse quand elle prend par surprise, pas vraiment quand on s’y attend. Je suis toujours en train de réfléchir à des choses qui n’existent pas vraiment, parce que je pars du principe que l’innovation est la manière la plus efficace de bien nous en sortir dans nos vies. Quand on copie quelque chose, il faut être meilleur que la première version, donc plus on copie, plus on a de la concurrence et du travail à fournir. Tandis que quand on arrive avec une proposition que personne n’a jamais vue, on est forcément le meilleur. »

Letní Letná cherche justement à mettre en avant de nouveaux spectacles originaux. Que pensez-vous, de manière générale, du cirque en République tchèque par rapport à la France ?

« En France, nous avons l’intermittence du spectacle. C’est un système qui s’apparente à une subvention à l’innovation, et c’est ce qui fait qu’il y a autant d’artistes en France. En Tchéquie, quelques écoles de cirque se développent, donc on commence à voir arriver de nouveaux artistes. Pourtant, ils choisissent souvent de travailler dans des cirques traditionnels un peu partout ou bien de venir jouer en France. Par exemple, j’ai vu pour la première fois la compagnie La Putyka à Marseille, pas en Tchéquie. C’est tout simplement parce que, selon moi, la France a vingt ans d’avance sur tous les autres pays à ce niveau, sauf peut-être sur la Belgique, mais comme c’est un petit pays on en a vite fait le tour. Quand on vient en Tchéquie voir du cirque tchèque, on ne voit finalement pas grand-chose. On peut l’observer, la preuve ici à Letní Letná, il suffit de regarder le nombre de compagnies françaises présentes. Il y en a beaucoup. »