Zuzana Růžičková, une femme sauvée par la musique

Zuzana Růžičková

La première dame du clavecin, c’est ce titre non officiel mais qui n’en est pas moins mérité, qu’on attribue à Zuzana Růžičková, artiste qui a fêté le 14 janvier dernier son 85e anniversaire. L’apparence fragile de cette femme est trompeuse. Sa vie et l’ensemble de son œuvre démontrent qu’elle possède outre son immense talent musical également une grande force intérieure qui lui a permis de surmonter les dures épreuves de sa jeunesse et s’est reflétée finalement aussi dans sa musique.

Zuzana Růžičková
C’est la ville de Plzeň en Bohême de l’Ouest qui est la patrie de Zuzana Růžičková. Elle est née dans cette ville en 1927. D’origine juive, elle est déportée à l’âge de 14 ans dans le camp de concentration de Terezín mais ce n’est que le début de son calvaire car elle passe ensuite encore dans les camps d’extermination d’Auschwitz et de Bergen-Belsen. Elle réussit à survivre à l’enfer de la haine raciale mais y perd presque toute sa famille et en sort mutilée intérieurement. Lorsqu’elle revient à Plzeň à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, elle ne parvient pas à retrouver le sens de la vie. C’est la musique de Johann Sebastian Bach qui l’aidera à vaincre sa dépression et Bach restera pour elle le pilier sur lequel elle construira sa vie et sa carrière musicale.


Zuzana Růžičková commence ses études de musique à Plzeň, mais dès 1947 elle étudie à l’Académie des Arts à Prague. Elle joue d’abord du piano mais bientôt elle commence à se rendre compte que c’est le clavecin qui est son moyen d’expression préféré, un instrument qui lui permettra d’assouvir son goût pour la musique ancienne. A l’instar de Wanda Landowska, elle fera revivre dans le milieu tchèque cet instrument discret qui a été éclipsé par le piano et contribuera d’une façon décisive à sa popularité dans la seconde moitié du XXe siècle, époque du regain d’intérêt pour la musique baroque.

En 1956, Zuzana Růžičková remporte le concours international de clavecin à Munich qui marque le début de sa brillante carrière internationale. Et c’est encore Johann Sebastian Bach et sa musique qui lui permettent de surmonter sa peur de l’Allemagne, pays qui l’a fait tellement souffrir. Elle finit par enregistrer sur 35 disques l’ensemble de l’œuvre de Bach pour clavecin mais cet exploit gigantesque ne lui suffit pas. Elle jouera Bach pendant toute sa vie et encore dans les années 1990, elle donnera son second enregistrement du célèbre cycle « Le clavier bien tempéré ». « Dans la musique de Bach il y a un ordre merveilleux et une grande étendue – de la plus grande souffrance humaine à la joie la plus éclatante, de la métaphysique au plaisir de la pipe et du bon vin », dira-t-elle.


Le répertoire de Zuzana Růžičková est vaste et couvre la musique européenne du XVIe au XVIIIe siècles, son domaine préféré, mais aussi la création moderne. Outre Bach elle joue Frescobaldi, Vivaldi, Couperin, des virginalistes anglais, Haendel, Haydn, Benda, Purcell. Elle ne néglige pas non plus les auteurs du XXe siècle et notamment Bartók, Martinů, Poulenc, Falla, Martin et devient une interprète privilégiée de la musique pour clavecin composée par son mari, Viktor Kalabis. C’est pourtant à la musique baroque qu’elle consacre la majeure partie de ses activités et de son talent. Dans son répertoire elle réserve aussi une place importante à l’œuvre d’un autre géant de la musique pour clavecin, Domenico Scarlatti.


La France jouera un grand rôle dans la carrière de Zuzana Růžičková. Ses rapports avec la France commencent au début des années 1950 lorsqu’elle étudie le clavecin à Paris. Elle entame ensuite une collaboration fructueuse avec le label Erato pour lequel elle réalisera d’innombrables enregistrements et qui publiera en 1975 son intégrale de l’œuvre de Johann Sebastian Bach pour clavecin seul. Ses disques lui vaudront entre autres quatre Grands Prix du Disque de l’Académie Charles Cross, le Disque de platine de la société tchèque Supraphon pour 300 000 albums vendus et toute une série d’autres distinctions. En 2003 elle reçoit de l’ambassadeur de France à Prague la distinction honorifique de « Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres ». A cette occasion elle évoque au micro de Radio Prague le rôle que la France a joué dans sa carrière musicale :

« Les souvenirs de mes concerts en France sont les meilleurs, parce que le public a été toujours tellement ouvert, tellement passionné. J’ai peut-être le mieux joué dans ma vie à Paris. J'aimais beaucoup l'église Saint-Séverin où j'ai joué presque toutes les œuvres de Bach. »

Vous avez enregistré aussi beaucoup de disques pour les maisons françaises...

« Oui, pour la maison discographique Erato, j'ai enregistré une intégrale de toutes les œuvres pour clavecin de Johann Sebastian Bach... »

Mais vous êtes aussi une grande interprète de compositeurs français.

« J'ai étudié avec Mme Marguerite Roesgen-Champion qui m'a transmis un grand amour pour la musique française du XVIIIème siècle, surtout pour la musique de Rameaux et de Couperin. »

Et puis vous avez continué. Vous avez joué non seulement des œuvres de Martinů mais aussi, par exemple, celles de Poulenc.

« Oui, naturellement j'aimais aussi la musique française du XXème siècle, je jouais Poulenc et aussi d'autres compositeurs contemporains français. »


A l’occasion du 85e anniversaire de Zuzana Růžičková Supraphon a lancé un double album qui comprend surtout les enregistrements de Bach mais aussi symboliquement des œuvres de son mari Viktor Kalabis. Aujourd'hui la première dame du clavecin ne joue plus parce que ses doigts ont perdu leur prodigieuse agilité. Elle reste pourtant présente dans la vie musicale tchèque grâce à ses enregistrements, à ses activités dans des associations musicales et aussi à ses élèves dont plusieurs sont devenus des clavecinistes renommés.