11 mai 1945, une dernière bataille à Slivice pour la route
Comme tout un chacun le sait, le second acte de capitulation du Troisième Reich, signé le 8 mai peu avant minuit, après un premier document signé la veille, marque la fin de la Seconde Guerre mondiale sur le continent européen. Enfin pas tout à fait, quelques escarmouches ont encore lieu les jours suivants et le dernier combat significatif sur le Vieux Continent se déroule au sud de la Bohême. Il s’agit de la bataille de Slivice, non loin du bourg de Milín, qui oppose, du 11 au 12 mai, des combattants tchécoslovaques et l’Armée rouge à une division de l’armée allemande tentant de se rendre aux Américains. Retour sur la fin de la Seconde Guerre mondiale en Tchécoslovaquie et sur cet ultime affrontement.
« Goebbels fait un communiqué à la veille de l’effondrement du Reich. On est à la mi-avril. Il fait un communiqué de presse disant que le Reich doit absolument garder Prague et Berlin. »
Cette région d’Europe centrale est aussi un enjeu politique entre les Alliés occidentaux et les Soviétiques. Aussi, en février 1945, lors de la conférence de Yalta, une station balnéaire située en Crimée, les dirigeants américains et anglais auraient décidé de laisser la Tchécoslovaquie dans la sphère d’influence de l’Union soviétique. En réalité, pour l’historien Vladimír Nálevka, cette répartition se serait opérée un peu plus tôt :
« La conférence de Téhéran, fin 1943, a été plus importante que celle Yalta, même si cette dernière a également été très marquante. C’est à Téhéran que s’est imposé le principe qu’allaient suivre les puissances de la coalition antihitlérienne. Ce principe stipulait que les territoires que leurs armées occuperaient ou libéreraient seraient ensuite du ressort de leur administration politique respective. »De surcroît, le Gouvernement provisoire tchécoslovaque, dirigé par Edvard Beneš s’est rapproché de l’URSS. En décembre 1943, un accord est conclu avec Staline, lequel fournit entre autres l’assurance que la Tchécoslovaquie sera reconstituée dans ses pleines frontières, celles précédant la signature des accords de Munich à l'automne 1938. D’un point de vue militaire, après les accords de Yalta, tout le monde s’attend à ce que le territoire tchécoslovaque soit libéré intégralement par l’Armée rouge, qui a lancé, en mars 1945, l’opération Ostrava, qui vise à occuper la Silésie et le nord de la Moravie.
Une ligne de démarcation est fixée, elle suit largement la frontière entre la Bavière et la Bohême. Seulement à l’Ouest, les Américains progressent plus rapidement et la 3e armée américaine, commandée par le général Patton, arrive sur le territoire tchèque dès la mi-avril. Désireux de sécuriser les déplacements de ses troupes au sud-est de l’Allemagne et vers l’Autriche, le général Eisenhower, commandant des forces alliées en Europe, demande aux Soviétiques de repousser la ligne de démarcation, requête qui est acceptée à la fin du mois.
« Plzen parle, Plzen libéré parle » annonce Karel Šindler à la radio le 6 mai 1945. La capitale de Bohême de l’Ouest est libérée par les troupes du général Patton, qui ne pourront pas progresser beaucoup plus vers l’Est et devront attendre que les Soviétiques parviennent jusqu’à Prague. Prague justement ne veut pas attendre, et la veille, le signal de son insurrection a été donné à midi et demi, également par voie radiophonique, un extrait entré dans la légende. « Nous appelons la police tchèque, les gendarmes, l'armée, à venir en aide à la radio. Venez tous à la radio, les Tchèques y sont massacrés, nous appelons tous les Tchèques. » La capitale tchèque et plusieurs autres villes se soulèvent. A Prague, les barricades sont dressées et ils sont 30 000 à prendre les armes. Près de 1700 combattants tchèques perdent la vie jusqu’au 9 mai, date de la libération effective de la ville par l’Armée rouge, qui avait lancé trois jours plus tôt "l’offensive Prague", la dernière opération d’envergure de la guerre sur le front Est. Dès le 8 mai cependant, la capitulation était signée par le général allemand Rudolf Toussaint. Côté allemand, c’est alors la déroute. Le commandant du Groupe d'armées Centre, Ferdinand Schörner, prend la fuite. Il souhaite rejoindre l’Autriche pour être capturé par les Américains plutôt que par les Soviétiques. Finalement les premiers le remettront aux seconds. Il n’est pas le seul à faire ce calcul, peut-être par crainte des représailles de l’Armée rouge après les exactions commises par les Allemands sur le front de l’Est et leur traitement inhumain des prisonniers de guerre soviétiques. L’Armée de libération russe, dirigée par un ancien général soviétique, Andreï Vlassov et composée de volontaires russes, qui a combattu pour la Wehrmacht avant de retourner sa veste en soutenant l’insurrection pragoise contre l’occupant allemand, est également dans une situation délicate et ses unités restantes préfèreraient assurément tomber dans les mains des Alliés occidentaux, qu’elles n’ont ni réellement combattus ni trahis. Ces mouvements de troupes sont la cause des escarmouches qui peuvent encore survenir, même après la reddition allemande. L’une de ces escarmouches sera même une bataille d’importance, celle de Slivice. L’officier SS Carl Friedrich von Pückler-Burghauss, qui avait pour tâche de coordonner les actions allemandes contre la résistance tchèque, ne veut pas que ses hommes tombent dans les mains des Soviétiques. Il fuit Prague en direction du sud-ouest. L’historien Josef Velfl, qui dirige le Musée des mineurs de Příbram, à quelques encablures de Slivice, raconte :« Des éléments des forces armées allemandes, comprenant une partie d’une division d’élite SS, essayaient, depuis Prague mais également depuis les zones d’entraînement de Sedlčany et Benešov, de se rendre aux Américains en empruntant l’actuelle route de Strakonice. »
Manque de chance pour von Pückler-Burghauss et ses troupes, leur aventure ne passe pas inaperçue sur cette route fréquentée par toutes sortes de fuyards, par exemple d’anciens employés du Protectorat de Bohême-Moravie. Non loin de la ligne de démarcation, sur la commune de Milín, l’officier allemand décide le 11 mai, trois jours après la capitulation qu’il a refusé de reconnaître, d’adopter une position défensive, avec des tanks et des mortiers, pour faire face aux partisans tchèques et aux soldats de l’Armée rouge qui se sont mis en tête de l’arrêter. Josef Velfl poursuit :« D’un point de vue historique et d’un point de vue militaire, cette bataille est importante. D’abord à cause de la date de son déroulement, du 11 au 12 mai, c’est la première raison. Ensuite d’un point de vue militaire, du fait des forces en présence. Du côté des ennemis, on trouvait des membres des forces armées hitlériennes de la Wehrmacht et une partie d’une division SS. Il y avait contre eux d’une part, des membres de la résistance locale, qui ont été confrontés les 9 et 10 mai avec l’Armée de libération russe, appelée également armée Vlassov, et d’autre part les soldats de trois fronts ukrainiens, des unités de l’Armée rouge. C’est en cela que cette bataille est importante. Les 1er, 2e et 4e fronts ukrainiens ont attaqué à Slivice, rejoints depuis le sud-ouest par la 4e division blindée de l’armée américaine. »
Le matin du 12 mai, les défenses allemandes cèdent. Carl Friedrich von Pückler-Burghauss décide de capituler et se suicide d’une balle dans la tête dans la foulée. Outre les victimes militaires de l’affrontement, plusieurs civils des villages alentours sont également tués, certains avaient été pris en otage. En 1970, un mémorial est élevé à Slivice pour leur rendre hommage et depuis 2002, une reconstitution de la bataille est organisée chaque année, non sans danger puisqu’en 2009, un malheureux participant a été sérieusement blessé dans une explosion. A noter qu’une exposition visible jusqu’à novembre prochain au Musée des mineurs de la ville de Příbram retrace le dernier affrontement d’importance de la Seconde Guerre mondiale en Europe.