Le musée des civilisations d’Asie, d’Afrique et d’Amérique portant le nom de son fondateur, Vojta Náprstek, souffle ses 150 bougies. Un survol de l’histoire de cette institution abritant de riches collections artistiques et ethnographiques provenant du monde entier:
U Halánků, photo: Kristýna Maková
Caché dans les ruelles de la Vieille-Ville de Prague, à quelques pas de la place de Bethléem, le musée Náprstek occupe le complexe de la maison U Halánků qui est, depuis le XVe siècle, liée à la fabrication de la bière. Depuis 1862, date de fondation dans cette maison d’un musée, ses locaux retracent la passionnante histoire d’un tour du monde au goût exotique : ainsi, on peut y marcher sur les traces des Indiens, des populations polynésiennes autochtones des Maori, découvrir l’univers des geishas et des samouraïs ou encore admirer des momies rapportées d’Egypte et ayant trouvé le lieu de leur dernier repos dans ce bâtiment.
Photo: Kristýna Maková
Une nouvelle exposition permanente ouverte au mois d’avril pour fêter les 150 ans du musée est dédiée à la personnalité de son fondateur, Vojta Náprstek : explorateur, collectionneur, mécène, patriote, propagateur du progrès et l’un des premiers défenseurs de l’émancipation des femmes. Né le 17 avril 1826, Vojta Náprstek a passé toute sa vie dans la maison U Halánků, à l’exception de ses années d’études à Vienne et de son exil aux Etats-Unis. Des personnalités politiques et littéraires comme Tomáš Masaryk, Jan Neruda, Jan Evangelista Purkyně ou František Palacký se rencontraient régulièrement dans cette maison, raconte Milena Secká du musée Náprstek :
Photo: Kristýna Maková
« A son retour des Etats-Unis, Vojta Náprstek a créé dans la maison de sa mère un véritable salon littéraire où ses amis se rencontraient dans un milieu intellectuel. Deux femmes venaient aussi à ces réunions : Božena Němcová et Karolína Světlá, écrivaines connues qui pouvaient se permettre de fréquenter le salon sans être accompagnées d’un homme. Vojta Náprstek a d’ailleurs souvent attiré l’attention sur le fait que les femmes, en Amérique, pouvaient participer activement à la vie publique, en dirigeant des écoles, des fondations, des hôpitaux, etc. alors qu’en Autriche-Hongrie, la situation ne leur permettait pas de se libérer des conventions sociales. »
Ainsi, c’est paradoxalement un homme, Vojta Náprstek, qui a créé, en 1865, le Club américain des dames ayant son siège dans la maison U Halánků. Il a trouvé l’inspiration au cours de son exil aux Etats-Unis qui l’avait convaincu de la nécessité de consacrer aux femmes plus de temps libre à la culture et aux affaires publiques. Près de 900 femmes fréquenteront son club qui organisera des conférences, des excursions, des cours de langues et d’éducation physique, ainsi qu’une activité caritative importante.
Vojta Náprstek
En 1846, Vojta Náprstek part faire ses études de droit à Vienne. Dans la capitale de la monarchie austro-hongroise, il se retrouve, deux ans plus tard, parmi les participants actifs au mouvement révolutionnaire et est contraint à l’émigration, ainsi que le raconte Milena Secká :
« Il prend part à la révolution de 1848 à Vienne et aussi à Prague. En tant que leader du groupe d’étudiants slaves, il se retrouve sur les barricades. Après l’écrasement de la révolution, il est exposé aux persécutions policières. Un mandat d’arrêt est lancé contre lui et il risque même la peine de mort. Pour se sauver, il s’exile aux Etats-Unis. Son rêve, avant l’année révolutionnaire 1848, était de voyager en Orient. Plus tard, il a espéré pouvoir y aller via l’Amérique. La situation a toutefois changé. Il est resté aux Etats-Unis et ne s’est jamais rendu en Orient. »
Photo: Jan Mulač, Musée Náprstek
Vojta Náprstek passe dix ans aux Etats-Unis, pratiquant différents métiers avant d’ouvrir une librairie dans la ville de Milwaukee qui devient un centre d’exilés tchèques. Il prend part à des expéditions lointaines qui éveillent son intérêt pour les peuples indigènes et leur culture. Ainsi, dans le cadre d’une expédition dans le Minnesota, il assiste à des négociations avec les Indiens de la tribu Dakota. De très nombreux cadeaux qu’il y reçoit sont à l’origine de l’idée de collectionner les objets du folklore indien et de créer un musée qui présenterait au public tchèque le continent nord-américain. Durant son séjour, il organise aussi des réunions pour les exilés tchèques et aide à faire paraître un journal pour les compatriotes.
Photo: Kristýna Maková
En 1858, les autorités autrichiennes l’autorisent à revenir à Prague. A l’époque, la maison U Halánků est déjà bien connue de tous les Praguois, car la brasserie dirigée par sa mère prospère. Vojta Náprstek peut enfin réaliser ses projets. C’est en ce moment qu’il adopte, en signe de patriotisme, le nom Náprstek, traduction tchèque de l’allemand de son véritable nom de famille, Fingerhut. La maison U Halánků devient à nouveau un centre de rencontres d’intellectuels tchèques. Vojta Náprstek informe ses invités des nouveautés du progrès technique découvertes en Amérique. En 1862, il fonde dans cette maison un Musée tchèque de l’industrie. On écoute Karel Ksandr, directeur du Musée national des techniques de Prague :
« Vojta Náprstek peut être considéré comme un précurseur du Musée des techniques du fait aussi que dans les années 1940, l’ensemble de ses collections techniques déposées dans la maison U Halánků ont été déménagées dans les locaux du Musée des techniques. »
Photo: Kristýna Maková
Les collections artistiques et ethnographiques des peuples d’Amérique du nord ramenées soit par Vojta Náprstek lui-même de ses voyages, soit par d’autres explorateurs, dont Emil Holub, Alberto Vojtěch Frič, Enrique Stanko Vráz ou Bedřich Hrozný, n’ont cessé de se multiplier. Tous ces objets ont finalement modifié la conception d’origine de Vojta Náprstek dont l’idée était de créer un musée de l’industrie. En 1885, Vojta Náprstek fait construire à côté de la maison U Halánků un nouveau bâtiment qui accueille le musée ethnographique portant son nom. Vojta Náprstek défend le progrès jusqu’à sa mort, le 2 septembre 1894, et même après : sa volonté d’être incinéré - chose rare en pays tchèques à l’époque compte tenu de l’absence totale de crématoriums, n’a pu être accomplie que dans la ville de Gotha, en Allemagne.
Dès 1933, le musée fondé par Vojta Náprstek est orienté exclusivement sur les cultures hors de l’Europe. Une petite partie seulement de ses riches collections est exposée au public, alors que des centaines de milliers d’objets sont stockés dans des dépôts, souligne Milena Secká :
Photo: Štěpánka Budková
« Les objets réunis au XIXe siècle sont de vraies raretés. Le musée Náprstek est grandement apprécié à une échelle internationale car il possède des objets prestigieux et tout à fait uniques. Un phénomène qui est tout aussi rare, c’est qu’il existe dans le monde un groupe de personnes qui font vivre l’héritage de Náprstek, et ce groupe, ce sont nos compatriotes, les Tchèques de l’étranger. »
La maison U Halánků abrite non seulement le musée des civilisations d’Afrique, d’Amérique et d’Asie. Les visiteurs ont à leur disposition une bibliothèque qui offre, outre des livres et des journaux, différentes collections dont la plupart a été fondée par Vojta Náprstek : collections de photos historiques, d’images stéréoscopiques, d’art graphique et de disques. On y trouve par ailleurs aussi les archives de la famille Náprstek et celles d’autres explorateurs, ainsi que les archives des Tchèques de l’étranger.
