30 ans après le début de Tien'Anmen, la République tchèque rend hommage à l'opposant Liu Xiaobo

Liu Xiaobo, photo: Voice of America

Il y a trente ans de cela, le 15 avril 1989, commençaient les soulèvements de la place Tien’anmen. Parmi la foule de contestataires, Liu Xiaobo, professeur d’université et militant des droits humains. Emprisonné en décembre 2008 par le régime, prix Nobel de la paix en 2010, le dissident chinois est décédé en 2017. A partir de ce lundi, le Dox, le centre d’art contemporain de Prague, expose un buste à son effigie pour lui rendre hommage. Retour sur la vie d'un opposant inspiré par les dissidents tchèques.

Liu Xiaobo,  photo: Voice of America
Le 15 avril 1989, Hu Yaobang, figure réformatrice du parti communiste chinois, mis à l’écart deux ans plus tôt pour prétendue faiblesse face aux manifestations étudiantes dont il partageait les aspirations démocratiques, meurt des suites d’une crise cardiaque. C’est le début d’un soulèvement massif dont l’épicentre sera la place Tien’anmen, occupée par des étudiants.

Professeur dans des universités américaines et intellectuel respecté partout dans le monde, Liu Xiaobo est une des figures de proue de ce mouvement contestataire. Dès 1988, ce militant des droits humains se montre très favorable au modèle occidental, affichant de temps à autre des positions radicales. Dans une interview à un quotidien hong-kongais, il affirme ainsi que « la différence entre les modes de gouvernement occidental et chinois est la même que celle entre l'humain et le non humain, et qu’il n'y a pas de compromis ». En 2004, après l’entrée des États-Unis en Irak, Liu Xiaobo ira jusqu’à glorifier cette intervention, évoquant« le meilleur exemple de la façon dont les guerres doivent être menées dans une civilisation moderne ».

Sa participation aux manifestations de Tien’anmen et son implication dans des mouvements démocratiques le contraignent à quelques séjours en prison. En décembre 2008, il est l’un des principaux rédacteurs de la Charte 08, qui promeut la réforme politique de la République populaire de Chine. Une charte qui n’est pas sans rapport avec l’histoire tchécoslovaque, comme le raconte Bill Shipsey, fondateur d’Art for Amnesty :

Bill Shipsey,  photo: Pere Virgili,  CC BY-SA 4.0
« La dernière fois que Liu Xiaobo est allé en prison, c’était pour avoir participé à la rédaction de ce qui a été appelé la Charte 08. Sans en être une traduction, son texte était largement inspiré de la Charte 77 de Václav Havel et des autres dissidents. C’est cette charte qui lui a valu une peine de onze ans de prison dont il n’a malheureusement jamais été libéré… »

Quelques mois avant cette dernière condamnation, Liu Xiaobo continuait à clamer sa foi en l’économie de marché :

« La nouvelle prospérité économique de la Chine a également poussé les Chinois à surveiller leurs libertés. Il y a de cela encore une bonne dizaine d’années, si le gouvernement démolissait la maison de zquelqu’un, personne ne disait rien. Mais avec le développement économique, les Chinois commencent à prendre conscience de leur droit à la propriété privée. Désormais, lorsque le gouvernement chinois viole les droits politiques ou économiques de quelqu’un, plus personne ne reste les bras croisés, les gens protestent. »

En 2010, Liu Xiaobo reçoit le soutien de nombreuses personnalités pour être nommé prix Nobel de la paix. Parmi elles, Václav Havel, Dana Němcová ou Václav Maly, figures de la révolution de velours en 1989, qui publient une tribune ouverte dans le Herald Tribune. Dans son texte resté célèbre, « Je n’ai pas d’ennemis », qui sera lu lors de la remise de son prix Nobel, alors qu’il est en prison, il écrit : « Je suis vraiment optimiste quant à l’arrivée d’une Chine libre dans l’avenir, car aucune force n’est capable de stopper l’aspiration humaine à la liberté. »

Dans le même temps, son épouse Liu Xia est placée en résidence surveillée. Elle a été libérée l’année dernière et vit désormais en Allemagne.

Liu Xiaobo meurt en détention des suites d’une maladie en 2017. Mais son ombre continue d’effrayer le pouvoir communiste, selon Bill Shipsey.

Photo: © Liu Xia / Cetnrum DOX
« A sa mort, son corps a été brûlé et jeté à la mer, raconte l'activiste. Les autorités voulaient absolument éviter qu’il y ait un lieu de rassemblement en souvenir de Liu Xiaobo, comme une tombe. En Chine, il est même impossible de chercher son nom ou le nom de sa femme sur Internet. C’est bien la preuve que le gouvernement a peur : peur de l’héritage de Liu Xiaobo, peur de la liberté, peur de ceux qui mènent campagne et se battent pour les droits humains. »

A Prague, pour le trentième anniversaire des soulèvements de Tien’anmen, les associations Art for Amnesty et Humanitarian China ont décidé d’honorer la mémoire de Liu Xiaobo en commandant un buste à son effigie, installé au DOX. Celui-ci a été sculpté par Marie Šeborová, également à l’origine du buste de Václav Havel au Parlement européen. Le buste sera révélé par Liu Xia, la veuve de Liu Xiaobo.

Par ailleurs, le DOX accueillera également à nouveau l’exposition « The Silent Strength of Liu Xia », une série de photographies de Liu Xia que le DOX avait proposées en 2014. Ces photos ont été prises lorsque son mari était en camp de travail forcé entre 1996 et 1999. L’exposition restera ouverte jusqu’au 4 juin.