Korzo Národní : 22 kilomètres de ruban tricolore pour les célébrations de la révolution de Velours
Ils sont une cinquantaine d’étudiants et d’anciens étudiants des facultés pragoises qui ont tous grandi dans une Tchéquie libre et démocratique. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sont ces jeunes épaulés par 350 bénévoles issus de cette même génération n’ayant pas connu le communisme, qui organisent à Prague les principales célébrations de la liberté retrouvée il y a 35 ans par leurs parents et grands-parents. En pleins préparatifs du « Korzo Národní » (que l’on pourrait traduire comme « Promenade sur l’Avenue Nationale »), Bára, Viktorie, Ester et Klára nous parlent de ce festival très prisé des Tchèques et des touristes. Chaque année, le 17 novembre, il anime la Národní třída, cette avenue du centre de Prague où la répression brutale d’une manifestation étudiante a déclenché la révolution de Velours en 1989.
« On coupe le ruban tricolore tous les 15 centimètres. Ensuite, il faut le plier correctement pour que le blanc soit en haut, et y mettre l’épingle. C’est en fait un travail très thérapeutique ! »
Klára et ses collègues préparent 15 000 rubans tricolores qui seront distribués sur l’un des stands de l’Avenue Nationale.
La longueur totale du ruban découpé ainsi est de 22 kilomètres, soit la distance qui sépare les extrémités est et ouest de Prague, remarquent les filles dans leur bureau situé, lui aussi, dans l’un des vieux immeubles qui surplombent l’Avenue Nationale.
Le 17 novembre, les Pragois sont tout aussi nombreux à attacher le ruban à leurs manteaux que pendant la révolution de Velours, dont la « trikolóra » est devenu l’un des symboles, tout comme l’emblématique « Prière pour Marta » chantée en 1968 et 1989 par Marta Kubišová et qui sera interprétée le 17 novembre à 17h11 très précisément par la chanteuse et actrice Anna Fialová.
« Le programme du ‘Korzo Národní’ est très varié et touche à plein de sujets d’actualité, mais la Prière pour Marta, chantée chaque année, y a toujours sa place », explique Bára Stárek. « C’est un repère pour les jeunes aussi. Ils ont besoin de symboles », ajoute encore la directrice de l’association « Díky, že můžem » (littéralement « Merci de nous avoir permis ») qui organise le festival depuis plusieurs années.
« Avant-hier, j’ai eu une conversation assez animée au sujet du festival sur l’Avenue Nationale avec ma mère. Elle ne pouvait pas comprendre qu’il pouvait être organisé par nous, qui n’avons pas connu le régime communiste. Je lui ai expliqué que c’était justement la bonne raison : nous sommes tellement contents de ne pas avoir vécu sous ce régime que nous ferions tout pour continuer à vivre dans un pays libre. J’ai ensuite montré à ma mère des vidéos des précédentes éditions du ‘Korzo Národní’. Elle était très émue et pleurait presque, mais malgré cela, elle n’arrive toujours pas à comprendre notre attitude », confie Viktorie de l’équipe organisatrice.
« Le Korzo Národní se distingue des autres festivités organisées à Prague »
Membre elle aussi de l’association « Díky, že můžem » et étudiante à la FAMU de Prague, Ester Valtrová explique que le projet du festival est né en 2014. À l’occasion du 25e anniversaire de la chute du régime communiste, une équipe d’étudiants de České Budějovice s’est vue demander de créer un nouveau concept des célébrations de la révolution de Velours au centre de Prague. Bára Stárek se souvient :
« Le 17 novembre 2014, nous sommes allés, avec mon ami, allumer une bougie sur l’Avenue Nationale. Les festivités étaient très différentes de ce à quoi je m’attendais. Cela m’a plu et dans les années qui ont suivi, je m’étais engagée comme bénévole, jusqu’en 2020 ou j’ai été désignée directrice de l’association. Il y a dix ans, le ‘Korzo Národní’ avait surtout un programme culturel et par cette approche artistique et, en même temps, éducative, on se distingue toujours de deux autres grands événements désormais traditionnels organisés à Prague, à savoir du Concert pour l’avenir (Koncert pro budoucnost) et des commémorations qui ont lieu dans le quartier d’Albertov et sont organisées par le milieu académique. »
« Il y a dix ans, les célébrations sur la Národní třída étaient très festives. Je crois qu’à l’époque, on en avait besoin. Il fallait mettre en avant tous les changements positifs que la révolution avait apportés. Parmi toutes les opinions exprimées dans l’espace public, et qui étaient parfois très critiques, la voix des forces démocratiques qui voulaient fêter le 17 novembre comme il se doit, était très faible. Le festival leur a donné la possibilité de s’exprimer également. Vers 2019, c’est un autre questionnement qui s’est imposé : dès lors, le festival reflète plus la réalité de nos vies. (…) Le 17 novembre est l’occasion de m’arrêter et de réfléchir sur ce que représentent la liberté et la démocratie pour moi personnellement. Paradoxalement, c’est la journée la plus chargée dans mon calendrier ! C’est aussi ce jour-là que je réalise combien de personnes enthousiastes, et toujours plus jeunes d’une année à l’autre, travaillent pour le festival et combien ils sont doués. C’est fantastique. »
Velvet Brunch, Salon de Václav Havel, concerts et débats
Chargée de programmation, Ester Valtrová souligne, elle aussi, que le concept du ‘Korzo Národní’ a changé au fil des années :
« Une part du programme évoque, certes, le passé communiste et la révolution de Velours, mais nous nous tournons également de plus en plus vers l’avenir et nous consacrons à l’actualité brûlante. Cette année, le festival s’intéresse par exemple à la situation en Slovaquie et en Ukraine ou à l’impact de l’élection présidentielle américaine sur les relations avec l’Europe. Nous reflétons aussi les inégalités sociales en Tchéquie, en organisant, entre autres, le traditionnel ‘Velvet Brunch’, soit un repas pour 350 personnes. Le bénéfice est reversé aux mères célibataires. Le brunch a lieu le 17 novembre à 10h00, sur l’Avenue Nationale, mais il n’y a plus de place : les billets ont été vendus en seulement deux heures ! »
Transformé en zone piétonne, l’Avenue Nationale n’est pas le seul endroit où se déroule le festival ‘Korzo Národní’. Le programme qui s’adresse à toutes les générations est proposé un peu partout dans le quartier du Théâtre national : dans la rue, mais également dans les cafés, scènes de théâtre, galeries et autres espaces encore. On trouve parmi eux des tramways spécialement aménagés appelés ‘Vzdělávací tramvaj’ où des historiens animeront, dimanche, des débats autour du tramping et du mouvement scout sous le communisme, ou encore autour des concerts des stars de la pop et du rock dans la Tchécoslovaquie post-communiste.
Une installation sonore dans l’église baroque Sainte-Ursule sur l’Avenue nationale sera consacrée à la vie religieuse sous l’ancien régime. Les sœur ursulines y raconteront aussi comment leur église, où la police communiste n’a pas osé entrer, est devenu le refuge des étudiants tabassés lors de la manifestation du 17 novembre 1989. Spectacles, concerts, expositions, ateliers artistiques et pédagogiques, débats, podcasts et émissions diffusées en direct : tout cela est au menu du ‘Korzo Národní’. Ester Valtrová nous parle du « Salon de Václav Havel », un événement incontournable organisé près du Théâtre national, où sont également exposées en plein air des images inédites de la vie de l’ancien dissident et président tchèque :
« ‘Le Salon de Václav Havel’ ressemble à un vrai salon, avec un canapé, une table et une lampe. On y invite des écrivains et comédiens qui se succèdent et lisent, pendant une demi-heure chacun, des textes de Václav Havel mais aussi d’autres auteurs contemporains. C’est une occasion unique pour le public de rencontrer des écrivains et de discuter avec eux dans le cadre de cette lecture scénique. »
« Cette année, le slogan du festival est : ‘La liberté nous unit’ (Svoboda nás spojuje). Nous l’avons choisi spécialement pour le 35e anniversaire de la révolution de Velours », explique encore Ester Valtrová. Elle a réalisé un court-métrage éponyme qui sera projeté le 17 novembre sur trois écrans géants installés dans l’Avenue Národní :
« Dans ce film qui combine le documentaire et l’animation et qui est d’ailleurs sous-titré en anglais, sept Tchèques qui vivent dans différentes régions du pays nous donnent leur vision de la liberté. L’un de nos interlocuteurs dit par exemple que la liberté nous permet de distinguer le bien et le mal et de nous concentrer sur le bien. Il remarque enfin que c’est un gros travail ! Cela me semble assez pertinent. »
Les activités de l’association « Díky, že můžem » ne se limitent pas à l’organisation des célébrations du 17 novembre : dans le cadre du projet « Samet na školách », elle aide les lycéens à organiser leurs propres festivals dans leurs établissements scolaires. Toujours à l’occasion du 35e anniversaire de la révolution de Velours, le collectif a lancé une vaste campagne médiatique intitulée, elle aussi, « La liberté nous unit » qui réunit des entreprises, des organisations à but non lucratif, des influenceurs et le grand public.