335 ans depuis la naissance de Petr Brandl
On l'appelait le Rubens tchèque ou le premier bohème de Bohême... Il fut pour autant la plus grande personnalité de la peinture baroque tchèque dont le nom signifiait dans les pays tchèques du XVIIIe siècle la même chose que Titien à Venise, Dürer en Allemagne ou Rembrandt aux Pays-Bas. Il s'appelle Petr Brandl. A l'occasion du 335e anniversaire de sa naissance, le 24 octobre 1668, nous lui consacrons ces Chapitres de l'histoire.
Petr Brandl est né à Prague en 1668. Etudiant du collège jésuite, il manifeste un intérêt non habituel pour tout ce qui concerne la peinture. Mais n'étant qu'un élève médiocre, désobéissant et boudeur, le jeune Brandl est contraint de quitter l'école pour aller étudier la peinture chez le peintre de la cour et administrateur de la galerie impériale, Christian Schröder. Il est vrai que Schröder n'apprenait pas grande chose au jeune adepte de l'art pictural, mais ce qui était décisif pour la prochaine carrière artistique de Brandl, c'était la possibilité de connaître des peintres italiens et hollandais, dont l'art représentait à l'époque la pointe de la peinture mondiale. Le maître et son élève se sont séparés en mauvais terme ; Petr a montré au maître ses nus peints d'après un modèle vivant pour que le maître puritain les déchire et mette le pauvre élève à la porte. On écrivait l'année 1687 et Petr Brandl n'avait que 19 ans. Après ses études prématurément terminées, Brandl se met à flâner dans les rues pragoises, il boit, mène une vie de débauche, va d'une aventure amoureuse à l'autre. Mais la bourse de la mère Brandl qui finance les escapades de son fils est bientôt vide. C'est pourquoi il doit quitter la capitale pour s'installer dans la ville de Kolin, non loin de Prague.
Une histoire amusante est liée au séjour de Brandl dans cette ville: sur commande des échevins de la ville, il devait peindre un tableau pour l'église Saint-Barthélémy de Kolin. Le tableau devait représenter le saint patron de l'église et quatre bourreaux qui l'écorchent vif. Brandl réclamait 300 florins pour ce travail mais les échevins refusaient de lui payer une telle somme. Brandl n'a reçu que 30 florins mais il a exercé sa vengeance sur les échevins ingrats: quatre d'entre eux se sont reconnus sur le tableau dans les personnages de bourreaux...
Brandl est devenu l'un des plus grands peintres baroques tchèques et mondiaux. En quoi consiste en effet l'originalité et l'apport de son oeuvre à la peinture? Tout d'abord dans son caractère de rebelle. Soulignons que Brandl réalisa la majorité de ses tableaux dans la période de contre-Réforme, dans la société impregnée de dogmes et de querelles religieuses, qui l'étouffait. Il n'avait que deux possibilités : ignorance ou révolte. La révolte, l'indocilité, la lutte contre les conventions, le conflit perpétuel avec la loi, les dettes et le vagabondage faisant une partie inséparable de sa vie, Brandl a choisi la seconde alternative - la révolte. On peut dire même que Brandl signifiait pour la peinture ce que représentait Voltaire pour la littérature des lumières. Il a entamé le processus d'émancipation de l'artiste. Comment cette liberté d'expression se reflétait-elle dans l'oeuvre de Brandl constituée en grande partie par les tableaux de caractère religieux ? L'art n'était pas pour lui un simple moyen de l'éducation religieuse mais surtout une occasion de montrer les passions, les profondeurs et les ténèbres de l'âme humaine, ainsi que les besoins du coeur dépourvus de mysticisme et de surnaturel. Il a voulu libérer l'art qui jusqu'alors respectait aveuglement les revendications de celui qui le commandait et transformer le processus de création en processus lors duquel l'auteur peut librement exprimer ses sentiments, opinions, passions, tristesses... Ainsi il a réussi à libérer l'art religieux de l'affectation, de l'hypocrisie, de gestes conventionnels pour remplacer tout artificiel par les compréhensions et impressions profondes.
Regardons un peu de près l'oeuvre de Brandl. On peut voir beaucoup de ses tableaux à Prague : Saint Joseph avec l'Enfant Jésus et la Sainte Vierge datant de 1702 se trouvent à l'église Saint-Joseph, dans le quartier de Mala Strana, ou la Vision de sainte Luitgarde, tableau selon lequel Matyas Braun, un autre artiste important du baroque tchèque, a sculpté cette sainte pour le pont Charles. Tous les tableaux de Brandl ont un dénominatif commun : une composition inhabituelle et un contenu dramatique. Ils sont souvent peuplés de beaucoup de personnes et ont la lumière jusque là non utilisée par les peintres. Ce jeu de l'ombre et de la lumière maîtrisé à la perfection et les couleurs claires devenues peu à peu les moyens d'expression principaux constituent en effet l'originalité de l'oeuvre de Petr Brandl.
Un chapitre à part de la création artistique de Brandl sont ses portraits de saints, de nobles, de menu peuple, y compris les autoportraits peints en grande partie dans les trois premières décennies du XVIIIe siècle. A cette époque, Brandl fut souvent hôte de nobles tchèques éclairés, dont les comtes Cernin ou Spork, ce dernier propriétaire du château de Kuks, en Bohême orientale, dont le portrait par Brandl représente la pointe de l'art de portrait baroque. Brandl a su traduire l'état de l'âme de son modèle ainsi que faire son analyse psychique.
Petr Brandl est l'un des représentants les plus illustres du baroque tchèque et aussi mondial, en dépit du fait qu'il n'a jamais quitté le territoire de son pays natal. Par sa grandeur créatrice et son caractère personnel rebelle, son oeuvre dépasse largement son temps, surtout prace qu'elle n'était jamais un instrument de réconciliation mais plutôt le moyen de compréhension et le point de départ d'un développement plus libre de la culture nationale tchèque. Sa vie fut pleine de conflits et de troubles et comme il vivait, il est mort aussi. Abandonné de tous, il est mort dans une auberge de Kutna Hora le 24 septembre 1735. Les habitants de cette ville située à l'est de Prague l'ont enterré dignement. Dans son cercueil, ils ont déposé sa palette et ses couleurs en tube, tout en comprenant que l'héritage qu'il a laissé après son départ est au-dessus de tous les biens de ce monde...