40 ans après, le sacre olympique oublié des footballeurs tchécoslovaques à Moscou

Tchécoslovaquie - RDA, JO à Moscou, 1980, photo: Derzsi Elekes Andor, CC BY-SA 4.0

Le samedi 2 août 1980, la Tchécoslovaquie remportait le tournoi olympique des Jeux de Moscou en battant en finale la RDA (1-0). Aujourd’hui encore, il s’agit de l’unique médaille d’or de l’histoire décrochée lors de JO d’été par la Tchécoslovaquie ou la République tchèque dans une discipline collective. A cette occasion, nous avons retrouvé Verner Lička. A 65 ans, l’ancien grand buteur du Baník Ostrava, qui a ensuite achevé sa carrière de joueur en France et en Belgique, occupe les fonctions de président de l’Union des entraîneurs tchèques de football. A la cool en short et en polo, Verner Lička nous a gentiment accueilli, jeudi, dans son bureau au siège de la Fédération tchèque situé sur les hauteurs de Prague, pour rembobiner le film et évoquer quelques souvenirs d’une époque « très différente », sous le régime communiste, « que vous ne pouvez pas comprendre », comme il nous l’a dit en souriant dans un français appris sur le tard mais toujours bien entretenu.

Verner Lička,  photo: Guillaume Narguet

« Ecoutez, c’est déjà de l’histoire ancienne. C’est une belle histoire, c’est vrai, mais ce sont essentiellement les journalistes qui la rappellent. Bien-sûr, nous sommes tous restés copains, nous nous retrouvons encore de temps en temps, même si nous sommes désormais trop vieux pour jouer au foot. Je pense que ça reste un très beau souvenir. Etre médaillé d’or est quelque chose d’exceptionnel, même si ce n’est pas quelque chose de très reconnu. »

Pensez-vous que c’est un des succès les moins reconnus de l’histoire du sport tchèque, que l’on a tendance à oublier ?

« C’est possible. Bien-sûr c’est une médaille d’or dans un sport collectif, seul le hockey sur glace a ensuite eu le même succès aux Jeux de Nagano en 1998. Mais d’autres sports d’été comme le handball ou le basketball, jamais. Le problème à mes yeux est que le football n’est pas vraiment un sport olympique. On ne peut pas comparer un tournoi olympique à une coupe du monde ou à un championnat d’Europe. »

Pour vous, 1980 a été une année exceptionnelle : vous avez été sacré champion de Tchécoslovaquie avec votre club, le Baník Ostrava, vous avez été médaillé de bronze avec l’équipe nationale de la phase finale du championnat d’Europe en Italie, puis vous êtes parti aux Jeux olympiques avec l’issue que l’on connaît. Est-ce là le sommet de votre carrière ?

Verner Lička,  photo: Archives de FC Baník Ostrava

« Oui, c’est un tournant dans ma vie, et surtout dans ma carrière de joueur. C’était une période exceptionnelle pour le foot tchécoslovaque. Nous avons été sacrés champions d’Europe en 1976, puis nous avons de nouveau fini à la troisième place quatre ans plus tard en Italie, avant de remporter le tournoi olympique à Moscou quelques semaines plus tard. C’était également une période exceptionnelle pour notre club, le Baník Ostrava, qui représente traditionnellement la Moravie et la Silésie dans la grande rivalité avec les grands clubs de Prague. Entre 1976 et 1986, je pense même que nous étions le meilleur club en Tchécoslovaquie. »

« Et c’est vrai, en 1980, j’ai participé à tout cela. J’ai également fini meilleur buteur du championnat de Tchécoslovaquie. J’ai connu ma première sélection en équipe nationale A et j’ai été retenu pour l’Euro en Italie. Nous étions dans le groupe de la mort avec l’Allemagne, les Pays-Bas et la Grèce, mais nous avons fini deuxièmes et avons disputé le match pour la troisième place contre l’Italie, que nous avons battue aux tirs au but. Trois semaines après, certains d’entre nous se sont retrouvés pour un stage dans les Tatras pour préparer les JO de Moscou. Il y a eu beaucoup de succès en l’espace de seulement trois mois. Vous savez, un sportif travaille dur pendant des années et, d’un coup, les récompenses arrivent. »

L’équipe de Baník Ostrava en 1980,  photo: Guillaume Narguet

On pourrait faire la comparaison avec l’équipe de France en 1984 qui a remporté le championnat d’Europe et ensuite la médaille d’or olympique à Los Angeles. Les Français avaient des équipes très différentes pour ces deux compétitions, qu’en était-il pour la Tchécoslovaquie ? Quels étaient les joueurs qui composaient cette équipe olympique ?

« C’était très différent entre les pays de l’Est et de l’Ouest. En France, c’était nettement séparé entre les joueurs amateurs et professionnels. Chez nous, nous étions officiellement des joueurs amateurs, mais en réalité nous étions bien sûr des professionnels. C’est pourquoi je pense qu’en France il y avait une très grande différence de niveau entre l’équipe A et l’équipe olympique. »

« Chez nous, même à cette époque, l’équipe olympique était au moins au même niveau que l’équipe A. D’ailleurs, après les JO, presque tous les joueurs qui avaient gagné ont évolué en équipe nationale. Nous étions cinq ou six joueurs comme moi à avoir fait à la fois le championnat d’Europe et les JO. Ce qui est amusant, c’est n’y avait que deux Slovaques dans l’équipe olympique, ce qui était très rare car à cette époque, sous le régime communiste, c’était toujours moitié Tchèques – moitié Slovaques. »

« En tant que footballeur, je ne me considère pas comme un véritable champion olympique »

Ces JO à Moscou ont été très particuliers en raison du contexte politique : l’URSS avait envahi l’Afghanistan, la plupart des pays occidentaux ont donc boycotté ces Jeux qui, au bout du compte, ont ressemblé essentiellement à une compétition entre pays de l’Est. Cela s’est ressenti sur le tournoi de foot puisque seule l’Espagne représentait l’Europe de l’Ouest. Aviez-vous conscience de tout cela en tant que sportif ?

« Durant les quinze premiers jours, nous sommes restés à Leningrad (rebaptisé Saint-Pétersbourg depuis), où nous avons disputé nos trois matchs de groupe (contre la Colombie, le Nigéria et le Koweït) et notre quart de finale (contre Cuba). C’était bizarre les quatre favoris étaient des pays de l’Est. L’URSS a bien sûr disputé tous ses matchs à Moscou, la Yougoslavie à Minsk, la RDA à KIev et nous donc à Leningrad. Nous étions vraiment à part, loin du centre des Jeux et pas avec les autres athlètes. »

La médaille d'or de Verner Lička des JO à Moscou en 1980,  photo: Guillaume Narguet

« Mais après le match contre Cuba, nous avons rejoint Moscou où nous avons joué notre demi-finale et la finale. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous avons vraiment commencé à ressentir l’ambiance des Jeux. Nous avons alors vécu quelques jours fantastiques : nous étions libres de nous déplacer et de manger ensemble, et on côtoyait des sportifs de très haut niveau. »

« Vous savez, les gens me rappellent parfois que je suis champion olympique. Mais, personnellement, même si j’ai effectivement bien gagné ces Jeux et que je possède une médaille d’or (qui est exposée au musée du siège de la Fédération tchèque de football), je ne me sens pas comme un vrai champion. Pourquoi ? Précisément parce que c’était le football et que ce sont d’autres sportifs qui font la légende des Jeux… »

« Quant à la finale, ce n’était peut-être pas un match de très haut-niveau mais nous l’avons gagné et je pense que c’était mérité. »

« Le retour en Tchécoslovaquie a été normal »

Comment s’est passé l’après-finale ? Aviez-vous quand même le sentiment d’avoir réalisé quelque chose d’unique, un exploit ?

« Je peux comparer la réussite de l’équipe nationale avant 1989 et après. En Italie en 1980, c’était vraiment très calme. Après le match victorieux pour la troisième place, nous avons mangé ensemble, bu une bière et les médailles nous ont été remises à table. On nous a dit ‘tenez, c’est à vous’. Après les JO, en principe il y a une fête, mais nous sommes rentrés à la maison, nous n’avons rien fait d’extraordinaire, car ça ne se faisait pas à l’époque. Je me souviens quand même très bien que quelques semaines après notre retour, le président de la République, Gustáv Husák, nous a invités au Château de Prague et nous a récompensés financièrement… »

« Inversement, je me souviens que lors de l’Euro 1996 en Angleterre (Verner Lička était alors entraîneur-adjoint de la Reprezentace), lors de la finale que nous avons disputée contre l’Allemagne, il y avait 90 000 spectateurs à Wembley avec au moins 30 000 Tchèques dans les tribunes. Nous avons fait une grande fête après le match et je ne vous parle même pas du retour à Prague… C’était de la folie ! Il y avait peut-être bien 100 000 supporters dans le centre-ville. Avant 1989, nous étions toujours récompensés par des médailles honorifiques, mais l’idée était qu’il ne fallait pas trop se vanter, il fallait être modeste car réussir était notre devoir et une obligation. »

Néanmoins, un des rêves de beaucoup de sportifs de haut niveau est de monter un jour sur un podium olympique. Quels souvenirs gardez-vous donc de cette remise des médailles ?

« C’est un moment que j’estime moi-même bizarre. J’avais achevé mes études supérieures, j’étais champion de Tchécoslovaquie, médaillé de bronze européen, et j’attendais toujours que les émotions viennent. Et je n’ai rien ressenti... J’ai eu la même impression après la finale olympique. J’attendais des moments exceptionnels. Peut-être que nous étions fatigués mais durant la soirée, moi qui n’étais pas un grand fêtard, je me souviens que je suis allé me promener dans le village olympique. Et le retour en Tchécoslovaquie a été normal, ordinaire même. A l’aéroport d’Ostrava, nous avons été accueilli par quelques dirigeants du club, il y avait également un fonctionnaire communiste, qui faisait comme partie de la famille, et nous avons pris une photo ensemble. Mais c’était tout. C’était une période très différente et pour vous, je pense, difficile à comprendre. »