70 ans de Radio Prague - témoignages d'archives

Cette page d'histoire sera consacrée au 70e anniversaire de la naissance de Radio Prague que nous fêterons le 31 août prochain. Il y a quinze jours, je vous ai proposé des extraits d'enregistrements conservant les voix d'artistes français venus dans nos studios dans les années 1960. Aujourd'hui ce sera le retour sur les débuts mêmes.

Nous sommes au milieu des années 1930. Des pays tels que l'URSS, l'Allemagne et la Grande-Bretagne commencent à diffuser leurs émissions internationales en ondes courtes. La propagande en direction de l'étranger émise par l'Allemagne devient de plus en plus intense et la Tchécoslovaquie décide de réagir. En 1935 est approuvé le budget destiné à l'achat d'un émetteur qui sera installé à Podebrady et à l'aide duquel les émissions au niveau intercontinental seront lancées. La première émission régulière est diffusée le 31 août 1936. Prague diffuse vers l'Europe, l'Amérique et le Proche-Orient, en tchèque, slovaque, anglais, allemand, français et depuis 1937 en espagnol. Le programme est conçu spécialement pour l'auditoire étranger et sa partie intégrante sont des informations sur la politique étrangère tchécoslovaque.

Lors du réveillon de Noël de l'an 1937, la Radiodiffusion tchécoslovaque diffuse les salutations aux hommes de bonne volonté. Des messages de paix sont adressés par l'inventeur Frantisek Krizik à Albert Einstein et par l'écrivain Karel Capek à Rabindranath Tagore, poète bengali et premier prix Nobel de littérature en Asie de 1913: La voix de Karel Capek est parmi les rares fragments qui se sont conservés dans nos archives sonores. Ecoutons la:

« Maître Tagore, voix harmonieuse de l'Orient, nous vous saluons depuis la Tchécoslovaquie où la neige tombe, depuis l'Europe remplie de nostalgie, depuis notre civilisation occidentale où même les nations les plus évoluées ne peuvent toutefois pas se donner la main comme frères. Pour cela, malgré la distance de nos pays et de nos cultures, nous tendons la main de l'amitié à vous, grand poète de la sagesse, à votre Shantiniketan, vers votre Inde, votre immense Asie, dont celle qui est déchirée par les armes inventées par l'Occident. Au moment où à l'extrémité occidentale et orientale de notre continent, le grondement de canons résonne, une voix faible de la démocratie occidentale vous appelle, en ce jour où une année se termine et une nouvelle commence. Vive le monde, un monde de gens libres et égaux en droits. »

Edvard Benes
Une émotion se fait entendre dans le message de Karel Capek qui a pressenti le danger de guerre déjà dans son oeuvre. Les émissions d'avant -guerre sont presque toutes émotionnelles - reflet de la situation politique peu avant l'éclatement de la guerre. La voix du président tchécoslovaque de l'époque, Edvard Benes, vibre d'une gravité : son discours que j'ai trouvé dans les archives présente une véritable curiosité, car il est prononcé en français, en 1938, année de signature des accords de Munich :

« Mesdames et messieurs, nous célébrons comme chaque année la cérémonie de la paix et de la Croix rouge. Nous proclamons pour trois jours sur l'ensemble du territoire de la république la trêve de Dieu, c'est-à-dire l'arrêt de toutes les luttes politiques, sociales et nationales. Nous nous souvenons que nous sommes tous unis par les liens de l'amour et de la solidarité humaine. Cette action a pour devise la devise même des présidents de la République tchécoslovaque qui est inscrite dans les armes de l'Etat: la vérité l'emporte. La vérité et la paix, la paix et la vérité. Comme ces deux notions sont étroitement liées, l'une à l'autre. Il n'y a pas de paix sans vérité, il n'y a pas de vérité sans paix. Partout où naît la vie, la nécessité s'impose de la sauvegarder et de la développer. Oui, certes, la vie est remplie de conflits et de luttes que provoquent les intérêts et les besoins des individus, des partis, des classes, des nations et des Etats. Mais nous professons, et nous voulons appliquer dans la pratique le principe que ces conflits dans les nations qui ont une culture véritablement humaine ne doivent pas se régler par la violence et par les armes, mais bien par la discussion, les compromis et l'entente. »

Les moments dramatiques après la conclusion des accords de Munich et la déception énorme provoquée par la démobilisation sont décrits par le correspondant spécial français à Prague, Hubert Beuve-Méry, le 4 octobre 1938:

« Mes chers auditeurs, il est bien difficile, à un speaker occasionnel, d'évoquer pour vous en quelques minutes, le climat d'héroïsme et d'angoisse qui, pendant ces deux dernières semaines, a été celui de la Tchécoslovaquie. Après les évacuations nécessaires, une poignée de Français fidèles à leur pays d'adoption dans les mauvais comme dans les meilleurs jours restaient presque seuls témoins du spectacle. Officiers, professeurs, industriels, commerçants, tous souhaitaient la paix de toute leur âme, mais tous, aussi, groupés autour du chef de la mission militaire française en Tchécoslovaquie, le général Faucher, attendaient tranquillement, résolument, ses ordres. Ceux-ci, finalement, ne devaient pas venir et il n'appartient pas à des Français d'instituer, à l'étranger, une discussion politique à ce sujet. Du moins peuvent-ils s'associer de tout coeur au message émouvant dans lequel le général Fauchet remerciait publiquement, ce matin, le peuple tchécoslovaque, pour les innombrables témoignages de sympathie que sa noble attitude lui avait value. Le malheur immérité, disait ce message, qui a frappé la Tchécoslovaquie, a causé au chef de la mission militaire française une douleur égale à celle de tous les Tchécoslovaques. A cette souffrance s'ajoute, pour lui, une autre, peut-être plus cruelle encore, et qu'il est facile à chacun d'imaginer. Demeurons en toutes circonstances de bons ouvriers de la vérité et la vérité vaincra. »