A Zákupy, la dernière manufacture de masques de carnaval en Europe
Les masques font partie intégrante de chaque carnaval, cette fête populaire organisée entre l’Epiphanie et le Mardi gras un peu partout dans le monde. Mais où sont-ils fabriqués ? Aujourd’hui notamment en Chine… La dernière manufacture de masques en papier en Europe se cache à Zákupy, une commune de 2 000 habitants située dans le nord de la Bohême. Radio Prague vous invite à découvrir son usine qui, depuis plus de 130 ans, conserve des techniques de fabrication traditionnelles.
« Je suis en train de restaurer la tête de l’empereur François-Joseph 1er. Quand je veux fabriquer un nouveau masque, je prépare tout d’abord sa forme dans un moule. Une fois que le masque est sec, je peux le sortir. Il est tout blanc, je commence à le peindre et à le parfaire selon mon imagination. Par exemple ici, j’ai ajouté des rouflaquettes qui n’étaient originairement pas dans le moule. »
Avant de commencer à peindre le visage, il faut encore découper les yeux et la bouche. Les types de masques fabriqués à Zákupy sont très nombreux : des demi-masques qui ne couvrent qu’une partie du visage et masques représentant un pirate, une sorcière, un chien ou une petite vieille, jusqu’aux grandes têtes en papier qui cachent entièrement l’identité des personnes qui les portent. Tous ces masques sont fabriqués à la main, à l’aide de moules vieux d’une centaine d’années qui peuvent peser jusqu’à 15 kilos. Actuel propriétaire de l’entreprise PVO, Zdeněk Rydygr poursuit :
« Les masques sont fabriqués de la même façon depuis plus de cent ans. Nous utilisons des moules négatifs dans lesquels nous tassons des morceaux de papier trempés dans de la colle d’amidon. Nous faisons deux couches pour les masques plus petits. Les grandes têtes sont fabriquées de la même manière, les moules ont toutefois de deux à six parties, et nous y mettons de trois à cinq couches de papier. La fabrication des masques plus complexes peut donc durer jusqu’à une semaine. »
« Les moules que nous utilisons sont en plâtre, car il était relativement bon marché à l’époque. Nous en possédons environ 2 500. La situation est plus difficile pour les grandes têtes. Seule une trentaine des quelque quatre-vingts moules qui existaient ont pu être conservés. Le reste a été détruit en 1979. La fabrication de tels moules est peu envisageable compte tenu des prix élevés. Nous utilisons donc uniquement les formes dont nous disposons. Ces grandes têtes sont ensuite parachevées par nos employées. Nous essayons de les ajuster à la demande de nos clients. »Chaque année, l’usine produit plusieurs milliers de masques. Les techniques de fabrication traditionnelles différencient les masques tchèques de ceux par exemple de Venise, qui sont le plus souvent en cuir, en porcelaine ou fabriqués à partir d’un mélange spécial composé de papier mâché, de tissus et de farine. Ce caractère unique est à l’origine de la demande d’inscription de l’usine sur la liste du patrimoine immatériel national, demande qui a été déposée en début d’année.
Eduard Held et son entreprise internationale
Ce qui est devenu une rareté aujourd’hui ne l’était pas encore au XIXe siècle. Des usines de masques de carnaval existaient par exemple en Allemagne voisine. Comment a donc commencé la longue histoire de la manufacture de Zákupy ? Zdeněk Rydygr :
« L’usine a été fondée en 1884 par Eduard Held, un Allemand des Sudètes. Eduard Held était un commis commercial et voulait ouvrir sa propre épicerie. Mais il n’avait pas d’argent. Il a donc commencé à faire le tour des maisons pour ramasser du papier et des chiffons qu’il transportait ensuite à la papeterie de Mimoň. En échange, il recevait du papier neuf. A Zákupy, Eduard Held employait plusieurs personnes qui fabriquaient des sachets et d’autres produits en papier. Plus tard, grâce à son expérience acquise lors de ses voyages en Allemagne, il s’est lancé dans la fabrication de décorations de Noël, mais aussi de lampions et de masques. En 1907, son entreprise était représentée dans cinq grandes villes européennes, dont Hambourg, Zurich ou Vienne. Il s’agissait alors d’une société renommée. »En 1910, Eduard Held construit le bâtiment principal de l’usine sur la place de Zákupy, pas très loin du château local. La société emploie alors quelque 360 personnes. Jusqu’en 1945, Eduard Held jouit d’une prospérité particulière ; son entreprise produit par exemple des effigies de l’empereur François-Joseph 1er ou, plus tard, des lampions avec le portrait du président Eduard Beneš.
Après la Deuxième Guerre mondiale, la famille Held est, comme tous les Allemands des Sudètes, contrainte de quitter la Tchécoslovaquie. La société est nationalisée. La fabrication de masques ne s’est toutefois jamais interrompue, pas même sous le régime communiste. Rachetée après la Révolution de velours, dans les années 1990, par l’entreprise familiale PVO de Zdeněk Rydygr, l’usine maintient toujours cette tradition centenaire, même si seules dix personnes y travaillent actuellement. Cette baisse d’intérêt pour les masques traditionnels s’explique notamment par la grande concurrence des masques en plastique chinois meilleur marché.
La renaissance des carnavals en République tchèque
Les masques ne représentent donc aujourd’hui qu’un tiers de la production de la manufacture qui fabrique toute une gamme d’articles en papier, tels que des guirlandes, couronnes, chapeaux, confettis ou serpentins. L’entreprise fournit ses produits à des papeteries, mais aussi à des écoles et différentes organisations. La demande de masques augmente régulièrement lors de la période de « masopust » (carnaval en tchèque), mais aussi en hiver autour de la Saint-Nicolas, une fête lors de laquelle les Tchèques se déguisent en Nicolas, mais aussi en ange et en diable.
Ces dernières années, les carnavals renaissent dans les pays tchèques, de nombreuses villes et communes renouvelant la tradition. Selon Zdeněk Rydygr, les masques et grandes têtes de Zákupy sont donc à voir dans les cortèges de tout le pays, par exemple à Roztoky, près de Prague (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/panorama/a-roztoky-un-carnaval-bien-dans-son-temps), ou à Milevsko, en Bohême du Sud :
« Les Tchèques sont de plus en plus intéressés par les carnavals et cette tradition s’élargit, même si ce n’est pas non plus de manière vertigineuse. Il y a quelques années de cela, nous avons fabriqué une trentaine de têtes pour la ville de Chomutov qui a renouvelé la tradition du carnaval. Mais nos clients les plus fréquents sont différentes associations, comme les associations de pompiers qui achètent chaque année deux grandes têtes et quelques petits masques. Mais nous vendons nos produits aussi à des villes et communes qui font leurs achats avant les carnavals locaux. Hier, c’était par exemple la ville voisine de Kamenický Šenov. »Outre les masques en papier, l’entreprise de Zákupy produit également des masques en organdi, un tissu proche de la mousseline. Créés à l’aide de moules en cire, ces masques sont ensuite exportées en Slovaquie, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Zdena Hájková :
« Le tissu est trempé dans de la colle d’amidon que je peux colorer pour faire par exemple un masque de couleur chair ou rose. Une fois le tissu mouillé, je peux le former selon le moule. Voici par exemple des nez en organdi. Nous avons plusieurs types de nez : le nez de sorcière et des nez humains de différents tailles, des nez enflés, grands, petits… Chaque nez est attaché à un élastique et peut être porté autour de la tête, sur le vrai nez. »
Un musée pour découvrir la fabrication de masques
Zdeněk Rydygr coopère parfois avec des théâtres, ainsi qu’avec les célèbres ateliers de film de Barrandov à Prague, pour lesquels sa manufacture prépare les décors :
« Il y a deux ans de cela, le film allemand ‘Die Himmelsleiter’ a été tourné en République tchèque. Son histoire se déroule en 1947 à Cologne et présente certaines scènes du carnaval de Cologne et les célébrations du Nouvel An. Nous avons donc fait des décors pour ce film. »En 2008, un petit musée a ouvert ses portes au public directement dans le bâtiment de l’usine à Zákupy. Visitée à plusieurs reprises par des descendants de la famille Held, qui vivent aujourd’hui en Allemagne, en Australie ou en Amérique, l’exposition, ouverte tout au long de l’année, présente plusieurs dizaines de masques et de moules historiques, ainsi que l’histoire de la manufacture et de ses fondateurs. Les plus intéressés peuvent également essayer de fabriquer leur propre masque.
Les masques de Zákupy sont aussi régulièrement exposés un peu partout en République tchèque. Actuellement, une exposition se tient, jusqu’au 12 mars prochain, au musée de Český ráj à Turnov, en Bohême du Nord.