Arnaud Desplechin : « J’ai tourné à Prague, parce que c’est une ville d’ambiguïtés »

'Les fantômes d’Ismaël', photo: Jean-Claude Lother / Why Not Productions

Cette année, l’ouverture du Festival de Cannes était réservée au réalisateur français Arnaud Desplechin et à son film « Les fantômes d’Ismaël », dont certaines parties ont été tournées à Prague. Une ville qu’Arnaud Desplechin connaissait déjà pour y avoir présenté, en 2015, son précédent film « Trois souvenirs de ma jeunesse » au Festival du film français (cf. http://www.radio.cz/fr/rubrique/panorama/festival-du-film-francais-arnaud-desplechin-et-son-paul-dedalus-a-prague). A Cannes, le cinéaste s’est confié au micro de Radio Prague. Il explique pourquoi il a choisi la capitale tchèque comme décor pour son nouveau film.

Arnaud Desplechin,  photo: Eva Kořínková / Festival du film français
« Une des intrigues de ce film est inventée par mon héro Ismaël Vuillard qui est réalisateur de film, il invente la vie de son frère qui s’appelle Ivan et qui est diplomate. Ivan voyage dans le monde entier, on le voit au Tadjikistan, à Paris et voilà qu’on le voit à Prague. A ce moment, il se passe à Prague une histoire d’espionnage. Il y a des souvenirs de John le Carrez que j’ai aimé. Je suis d’une génération qui a connu le mur de Berlin lorsque le monde était coupé en deux. Et voilà qu’il arrive dans cette Europe de l’Est en tant que ‘westerner’. Pour moi, Prague est une ville mythique, car c’est la ville de Kafka. Comme ce personnage est un peu kafkaïen, il rappelle ‘Le Procès’ ou des personnages indécis et incertains dont on ne sait s’ils sont espions ou naïfs. Il a un côté kafkaïen. J’avais visité Prague lors de la sortie de ‘Trois souvenirs de ma jeunesse’, j’avais été reçu par la presse et les exploitants. C’était une ville qui m’avait marqué, j’avais envie d’y retourner, car c’est pour moi une ville de fiction. »

Cette visite de Prague vous a donc inspiré cette histoire ?

« Bien sûr, c’est une ville de fiction avec ces passages couverts… Dans mon film, le réalisateur a une phobie, il n’a pas de téléphone portable et son personnage n’a pas de téléphone portable non plus. Mais que le mal, la mort arrive à travers un téléphone portable, et cela rappelle certains événements, comme la mort des opposants tchétchènes qui se faisaient tuer en Russie ou à Vienne. Ou alors ce genre d’histoire bizarre où un type avait été tué lors d’un congrès à Strasbourg près du Parlement européen, un type des droits de l’homme… On ne sait pas ce qui se passe, si c’est de la fiction ou si cela est basé sur des faits réels, mais il y a une ambiguïté. et Prague c’est la ville des ambiguïtés. »

Combien de temps avez-vous tourné à Prague ?

« Assez peu de temps, nous avons tourné trois jours. Mais à chaque fois, nous arrivions avant pour préparer le tournage, donc cela fait six jours au total pour tout préparer. Nous avons tourné à l’aéroport. C’étaient trois jours très intenses, mais les Tchèques sont habitués à cela. Ce sont des gens assez travailleurs, j’ai pu m’en rendre compte avec les électriciens, les assistants… Ce sont des gens qui savent travailler, ils aiment la quantité de travail, nous faisions des journées interminables et nous avons réussi à tout terminer. »

Y-a-t-il des personnalités du cinéma tchèque avec lesquelles vous aimeriez travailler ?

'Les fantômes d’Ismaël',  photo: Jean-Claude Lother / Why Not Productions
« Forman par exemple. Le cinéma tchèque a énormément compté pour moi, j’ai peur de vous répondre à la radio et de me tromper dans des noms, mais la nouvelle vague tchèque m’a stupéfait par sa maturité, c’est-à-dire que c’étaient de jeunes réalisateurs qui faisaient des films dans un système très opprimant. Ils avaient une maturité car ils se disputaient avec la censure. Il y avait un art de filmer comme ‘Les amours d’une blonde’ qui est un film que j’ai dû voir dix-sept fois, tout comme ‘L’as de pique’. Ce sont des films qui m’ont nourri. Quand je compare la nouvelle vague tchèque à la nouvelle vague française, je trouve qu’il y avait une maturité en Tchécoslovaquie qu’il n’y avait pas encore en France. Les films tchèques étaient beaucoup plus malins. »

Est-il vrai que vous ne regardez pas vos films et que vous ne lisez pas les critiques ?

« Je lis beaucoup les critiques sur les films des autres, mais jamais sur les miens. J’ai parfois des amis critiques qui se vexent en me disant qu’ils écrivent des articles magnifiques sur mes films. Je leurs réponds que cela ne m’intéresse pas, je ne les lirai pas car cela me concerne. Je me sentirais trop flatté ou trop blessé, je veux croire que j’existe alors que je n’existe pas, je n’ai pas besoin de le lire dans le journal, car je sais ce que j’ai fait. Le film, je le regarde tant que je peux changer quelque chose et que je peux l’améliorer. Donc, au mixage, je le regarde avec attention, pendant l’étalonnage également, mais quand je mélange l’image et le son, c’est à moi de disparaître pour que le spectateur puisse enfin venir. »

'Les fantômes d’Ismaël',  photo: Jean-Claude Lother / Why Not Productions
« Les fantômes d’Ismaël », vous les avez quand mêmes vus à l’ouverture du Festival à Cannes ?

« Bien sûr que non ! J’ai menti… Je me suis assis dans mon siège, j’ai laissé les lumières s’éteindre et dès qu’elles se sont éteintes, je me suis enfui. J’ai écouté le son pendant une heure cinquante pour savoir si le film plaisait, puis je suis revenu m’asseoir avant la fin du film. Les lumières se sont alors rallumées et vous avez cru que j’avais vu le film alors que je m’étais échappé. »