Běla Kolářová, une vie d’artiste accomplie dans l’ombre de Jiří Kolář

'Le sol tant doux', 1961

Empreinte, trace, ligne (en tchèque, Otisk, stopa, linie), tel est le titre d’une exposition présentée jusqu’au 17 février à la galerie Fotograf à Prague. Elle présente les œuvres photographiques et expérimentations de Běla Kolářová, une artiste dont le talent a été reconnu sur le tard. Anna Kubišta s’est entretenue avec la commissaire de l’exposition Marie Klimešová, qui a bien connu la photographe.

Běla Kolářová
Marie Klimešová, vous êtes la commissaire d’une exposition consacrée à Běla Kolářová, qui se déroule jusqu’au 17 février, dans la galerie Fotograf, au numéro 28 de la rue Školská, à Prague. Quand on entend le nom Kolářová, on pense assez vite à Jiří Kolář. Elle était en effet l’épouse de Jiří Kolář, poète, collagiste, artiste tchèque connu. Běla Kolářová semble avoir été dans l’ombre de son mari pendant assez longtemps, mais elle a commencé à être plus connue, depuis quelques années, en République tchèque…

« Běla Kolářová n’a pas été connue pendant des années parce qu’avant son départ en France, elle n’a eu qu’une seule exposition personnelle, en 1966. Dans les années 1970, c’était impossible d’exposer. Elle a commencé à exposer plus régulièrement, après son retour en Tchécoslovaquie dans les années 1990. Běla Kolářová était une femme discrète qui laissait l’espace à son mari, vraiment célèbre. Elle a probablement bien compris que deux personnalités dans la même famille ne pouvaient faire une carrière en même temps. Ce n’est qu’après la mort de Jiří Kolář que le grand public a découvert son art. On peut même dire qu’à un moment, l’intérêt s’est renversé et s’est plus concentré sur l’œuvre de Běla que sur celle de Jiří Kolář. »

Nous nous trouvons dans la galerie Fotograf. Y sont présentées une trentaine d’œuvres photographiques de Běla Kolářová. J’aimerais parler de sa technique de travail assez particulière… Pouvez-vous nous en dire plus sur son parcours ?

« Dans les années 1950, Běla Kolářová a commencé à faire de la photographie documentaire assez classique. Mais très tôt, elle a découvert, grâce à une phrase de Cartier-Bresson, que tout avait déjà été photographié. Elle a donc mis un terme à cette carrière de photographe classique. Au début des années 1960, elle a commencé à faire des expérimentations. Elle a créé ses propres négatifs artificiels dont elle tirait des photos. Elle a vite continué d’autres expériences, avec le mouvement de la lumière qu’elle fixait sur papier photographique dans la chambre noire. »

'Radiogramme d'un cercle',  1963
Cette exposition s’appelle Empreinte, trace, ligne. Pourriez-vous décrypter ce titre par rapport à l’œuvre de Běla Kolářová ?

« Dans ses négatifs artificiels, elle travaillait avec ces empreintes et ces traces. Elle utilisait de petits carrés de plastique qu’elle couvrait de paraffine. Elle posait des objets ordinaires sur cette surface et laissait souvent des traces, des empreintes. Quant aux lignes, cela touche plutôt au mouvement, qu’elle fixait dans les photos en travaillant dans la tradition des ‘rotoreliefs’ de Marcel Duchamp, avec la forme ronde et des cercles. Tandis que pour Duchamp le mouvement était le but de son travail, pour Kolářová, le mouvement était fixé dans la photo. »

'Pensées sur Kandinsky',  1961
Quels étaient ses maîtres en peinture ? Car en voyant ses photographies, on pense immédiatement aux peintres abstraits…

« Elle était autodidacte. Pour elle, comme pour Kolář, le mouvement Dada a été essentiel. On pourrait citer Duchamp, Man Ray ou Picabia. Ce sont les maîtres de Kolářová en art. Il faut aussi nommer des personnalités de la littérature et de la poésie modernes françaises comme Baudelaire, Mallarmé, Verlaine… »

Vous évoquez la France. Quelle vie a-t-elle eu en France ? Il faut rappeler qu’à la fin des années 1970, suite à la signature de la Charte 77 par Jiří Kolář, le couple émigre. Běla Kolářová est rentrée un jour en Tchécoslovaquie pour des raisons personnelles, au début des années 1980, et elle a été empêchée de repartir à Paris avant quatre ans…

« Běla Kolářová a dû revenir à Prague pour des raisons administratives. Tous leurs biens et leur collection était à Prague… Cette séparation d’avec son mari lui a ouvert un espace pour sa création personnelle. Pendant la première moitié des années 1980, elle a beaucoup travaillé sur des assemblages qui sont très autobiographiques. Elle était en relation quotidienne avec Kolář grâce à des cartes postales. Après son retour en France, elle a collaboré avec Kolář. Il existe une série d’œuvres qui a été faite en commun : Kolář avait fait des collages, des surfaces et Bela des assemblages avec de la bijouterie. Elle a un peu exposé mais est tout de même restée dans l’ombre de Kolář. »

Et lui-même, comment considérait-il l’œuvre de sa femme ?

« Běla Kolářová disait qu’il acceptait son travail. Mais je dirais qu’il était tellement concentré sur ses propres œuvres qu’il ne faisait pas grand-chose pour l’encourager… »

Běla Kolářová est décédée en 2010. Entre le décès de son mari et le sien, vous disiez que c’est à ce moment-là que son œuvre a été redécouverte et appréciée à sa juste valeur. Comment vivait-elle cette gloire, cette reconnaissance tardive ?

'Plume de faisan',  1961
« Elle était heureuse bien sûr. Mais elle restait très modeste. A chaque fois, elle était étonnée de cet intérêt venu de l’étranger notamment. Elle n’avait pas cette nécessité de faire une carrière artistique. Mais bien sûr, elle était très heureuse de cet intérêt. Mais elle était déjà trop vieille et ne pouvait pas venir ses œuvres à Kassel, Munich ou dans les galeries prestigieuses qui l’ont exposée. »

A-t-elle créé jusqu’à la fin de sa vie ?

« Oui. Je crois que son dernier assemblage a été réalisé dans la dernière année de sa vie. »