Best of de l’année culturelle 2015
Pour cette toute première émission culturelle de 2016, je vous donc propose de revenir sur l’année écoulée avec une petite sélection d’entretiens réalisés avec des réalisateurs, des artistes, des personnalités du monde culturel.
« J’ai fait mon premier film Marian, il y a longtemps de cela (1996, ndlr) sur un enfant qui grandit à l’assistance publique. C’est un film qui raconte l’histoire assez exemplaire d’un destin d’un Rom de l’époque communiste, donc d’un enfant qui est plus ou moins pris de force par l’assistance publique, qui est obligé de grandir dans des orphelinats et dans les maisons de correction, et qui finit par vivre en prison, parce que c’était un peu ça le chemin obligatoire. Maintenant, j’ai eu envie de raconter ce qui est arrivé aux Rom de nos jours, dans ce monde post-industriel, où ils ont perdu leur travail. Comme il n’y a plus de logements HLM en République tchèque, les Rom ont été progressivement forcés à partir dans de nouveaux ghettos en ce début du millénaire. J’ai donc trouvé tout cela révoltant. Je suis allé en République tchèque pour me documenter un peu et j’ai assez rapidement écrit le scénario. Je suis allé à la recherche d’acteurs, donc les non-acteurs, ce qui était plus difficile. J’ai fait sept mois de casting sauvage. Je crois que grâce à cette petite histoire, que j’ai avec les Rom depuis le lycée, j’ai pu arriver à vraiment bien les comprendre et parler d’eux ni sans romantisme, ni sans condescendance, ni sans haine qui accompagne souvent le regard de la société majoritaire. »
« Les Rom m’ont intéressé depuis toujours. Quand j’ai grandi en Tchécoslovaquie c’était un pays fermé, c’était encore le rideau de fer. On ne pouvait pas voyager, on ne voyait quasiment pas d’étrangers. Les gens de couleur, ça n’existait pas ici. Donc les Rom représentaient une altérité excellente, la seule altérité visible. Et en même temps une altérité avec laquelle on ne parlait pas, c’était comme une loi non dite. On ne parlait pas aux Rom. On les voyait, par exemple, travailler dans des excavations, dans la rue, souvent au sol, car ils réparaient les trottoirs ou creusaient des trous pour l’électricité, pour les lignes de téléphone. Ils étaient là, sans que l’on puisse les approcher. Donc, c’est pour cela, je crois que le destin de ces inconnus m’intéressait, m’intriguait. »
Au printemps dernier, l’historien français Serge Klarsfeld, célèbre chasseur de nazis, était présent à Prague, avec sa femme Beate, pour présenter une exposition consacrée à l’Album d’Auschwitz. Sur près de 200 clichés de cet album apparaissent les visages de milliers de Juifs de Hongrie et de Ruthénie subcarpathique (soit une région de l’ancienne Tchécoslovaquie), qui périront dans ce camp dont le nom est à jamais synonyme de la barbarie nazie. Il avait rappelé lors de son passage à Prague l’histoire incroyable de cet album :
« En 1979, j’avais envoyé à Prague un jeune étudiant avec pour mission de regarder ce qu’il en était des cimetières juifs et d’essayer d’entrer au Musée Juif d’Etat pour voir ce qu’il y avait d’intéressant. Il a bien réussi sa mission car il m’a envoyé 70 photos représentant les Juifs à l’arrivée à Auschwitz. Je connaissais toutes ces photos, mais je croyais qu’elles venaient d’Auschwitz. En fait, le Musée juif de Prague avait envoyé une copie des photos qu’ils avaient à Auschwitz et là-bas, au lieu de mettre ‘provenance : Musée juif de Prague’, on avait juste écrit ‘Auschwitz’. Comme ça représentait les Juifs à Auschwitz, tout le monde pensait que ça venait de là. En outre, à l’époque il n’y avait pas de relations entre les historiens de l’Ouest et de l’Est, on ne s’était pas rendus à Auschwitz et on n’avait pas pu se rendre compte de cela. Moi je me suis rendu compte de cela. L’étudiant m’a dit qu’il y avait environ 150 photos au Musée juif de Prague avec des négatifs en verre. J’ai compris que ça venait d’un seul album et j’ai commencé une enquête pour connaître l’histoire de cet album. Grâce aux ouvrages de Kraus et Kulka qui ont publié les premiers ces photos en 1956, j’ai compris que cela venait d’un album découvert par une déportée. Par la suite, elle avait fait faire ces duplicatas à Prague en se faisant payer pour partir aux Etats-Unis. Au procès d’Auschwitz à Francfort, en 1964, Lili Jacob était venue avec l’album, une photo avait servi à identifier Baretski, un des SS qui faisait la sélection. J’avais en main les résultats de l’enquête et le résultat, c’est que l’album original se trouvait probablement aux Etats-Unis chez Lili Jacob. »
« J’ai tout de suite prévenu le New York Times un article. J’ai dit que c’était le document le plus précieux de toute la Shoah. Et que c’était un document qui équivaut aux manuscrits de la Mer morte pour ce qui concerne Israël. Sans lui, on ne visualiserait pas ce qu’a été l’extermination des Juifs dans un camp. On y voit en effet l’arrivée de plusieurs convois qui vont en grande partie disparaître dans les chambres à gaz. »
Début juillet s’est déroulée la 50e édition du Festival du film de Karlovy Vary. C’est d’ailleurs un film franco-américain, Bob and the Trees, du Français Diego Ongaro, qui a remporté le Globe de cristal. Parmi les invités de cette année, la réalisatrice roumaine Anca Damian qui, avec son film d’animation La montagne magique, signe le deuxième opus d’une trilogie consacrée à l’héroïsme. Le film est sorti en salles en France en décembre.
« L’animation m’a tentée pour élargir les moyens et le langage cinématographiques. J’y trouve une vraie liberté d’expression. La mise en scène m’appartient toute entière et je la fait à partir de rien. Je ne suis liée qu’à mon histoire et je peux trouver mes acteurs idéaux, les lieux de tournage parfaits, parce que je peux créer une nouvelle réalité, raconter mon histoire de façon plus concentrée, plus proche du sens que je veux lui donner. Et ça, ça m’offre beaucoup de libertés. Mais ça ne peut pas se faire pour toutes les histoires. Quand je commence à imaginer un film, je ne le réalise pas automatiquement ainsi. Mais il y a des histoires qui doivent être dites comme cela. »
Rappelez-nous l’histoire de La montagne magique. Vous y suivez le parcours d’un homme dont vous allez nous en dire plus. Et en quoi l’animation vous a-t-elle aidée pour raconter l’histoire de cet homme ?
« Effectivement, j’ai choisi de raconter l’histoire d’Adam Jacek Winkler. Après avoir fini Crulic, j’avais envie de faire une trilogie sur l’héroïsme. Crulic, c’est le rapport de l’homme avec la mort. La première phase était un peu naïve, inconsciente : Crulic a donné sa vie pour sa vérité, mais il ne voulait pas mourir. Il a seulement perdu sa volonté de survivre. La deuxième phase dont j’ai eu envie de parler, c’est quelqu’un qui veut mourir pour changer le monde. »
Ce qui est le cas d’Adam Jacek Winkler…
« En effet. Adam était comme cela : il voulait donner sa vie pour changer le monde. Il était un peu comme Don Quichotte, il voulait y arriver seul. C’était un mélange de cynisme, d’aventure, d’humour… On pourrait dire qu’il est fou mais moi, j’aime ce genre de folie. »
Enfin, Plzeň a été ville européenne de la culture 2015. De nombreux événements ont été organisés tout au long de l’année, mais aussi des projets à long terme, comme des résidences artistiques. Le photographe français Guillaume Chauvin participait à l’une d’entre elles et a choisi de suivre ainsi le temps de son séjour, une trentaine d’habitants de cette ville de Bohême de l’Ouest, toutes origines, tous métiers confondus :
« A tout le monde, j’ai demandé pourquoi ils avaient choisi de m’accueillir, parce que pour moi c’est très étrange. Si on me proposait un tel projet, je ne sais pas si je dirais oui ou non. Même pour moi, c’est quelque chose d’étrange de prendre en photo des gens au quotidien, chez eux, avec leurs enfants, parfois au réveil. Ma motivation personnelle, c’était ça, c’était quelque chose que je n’avais jamais fait et qui donc, m’intéressait. Chez certaines personnes, c’était aussi cela la motivation, c’était de rencontrer un Français, parce qu’ils me disaient qu’ils n’en voient pas beaucoup. Je pense que ceux qui ont répondu à l’appel sont plutôt ouverts aux projets artistiques. Ils voulaient voir aussi projet artistique en réalisation, en direct. Certains étaient contents d’y participer pour montrer un aspect positif de leur culture, comme ça la place n’est pas prise par un autre qui pourrait être asocial ou négatif. Il y a aussi une forme de curiosité. Pour une femme manager qui était enceinte, c’était une manière d’avoir des souvenirs de cette période-là de sa vie. Chacun a des motivations différentes. Je pense que tous ceux qui ont accepté ce projet-là avaient un grand cœur, ça joue aussi. »