Catherine Cusset et son parcours d’écrivain qui a commencé par un chagrin d’amour (2e partie)

Catherine Cusset

Culture sans frontières reçoit aujourd’hui la romancière française Catherine Cusset, venue récemment en République tchèque pour présenter son roman « Un brillant avenir » que nous avons déjà évoqué sur Radio Prague. Cette fois-ci, Catherine Cusset nous parlera, entre autres, de son entrée en littérature, de sa peur d’être un faux écrivain, de l’Amérique qui a influencé sa vie et son écriture, ou encore... du sourire des Tchèques.

Catherine Cusset
Catherine Cusset est installée à New York. Nous l'avons rencontrée à Prague, ville qu’elle connaît bien pour y avoir vécu pendant deux ans. Elle est auteur d’une dizaine de romans, dont « Un brillant avenir » qui vient de paraître en tchèque. C’est un roman sur la difficulté de l’émigration et aussi sur une relation délicate entre l’héroïne roumaine du livre, Helen, et sa belle-fille française, Marie. La relation belle-mère - belle-fille est finalement assez peu explorée en littérature…

« C’est un sujet comique. Moi, je ne l’ai pas traité de façon comique, j’en ai fait ce que j’estime être un sujet littéraire. Je crois que c’est typique de mon écriture : je m’intéresse à ce dont on ne parle pas. J’ai écrit par exemple un livre sur la sexualité, où je vais au fond des choses. ‘La haine de la famille’, c’est un livre drôle où je m’intéresse au rapport mère-fille sur trois générations. Mon livre ‘Confessions d’une radine’, c’est aussi un sujet parfaitement comique, comme la belle-mère : le radin, l’avare… Si j’ai écrit ce livre, c’est parce que déteste la radinerie, mais en même temps, je sens en moi, parfois, une difficulté à m’ouvrir à l’autre, à donner. »

Dans « Un brillant avenir », Helen dit que ce qu’elle a trouvé merveilleux après son arrivée aux Etats-Unis, c’était l’air conditionné partout. Vous-mêmes, pourquoi vous aimez vivre en Amérique ?

« Justement pas à cause de la climatisation ! C’est d’ailleurs le premier sujet de discorde entre Helen et Marie. Elles se rencontrent pour la première fois et Helen est très surprise par la différence. Pour elle, en effet, l’air climatisé, c’est le confort, le rêve américain, c’est le luxe. La Française, elle rentre dans le restaurant et elle dit : ‘Oh, quel horreur, encore un restaurant climatisé !’ »

« Heureusement que j’ai mon pull ! »

« Oui ! (rires). Helen ne comprend pas comment c’est possible de ne pas aimer la climatisation ! De même, Marie ne comprend pas pourquoi dans l’appartement de sa belle-mère, en hiver, le chauffage est toujours à fond… Alors qu’est-ce que moi, j’ai aimé en Amérique ? L’ouverture. La facilité de la rencontre avec l’autre. Quand je suis allée en Amérique, j’avais 23 ans, j’ai enseigné le français à l’Université de Yale. En France, j’étais à l’Ecole normale supérieure et j’avais le sentiment que ma vie était finie. Que j’allais me marier, faire des enfants, devenir professeur... Je pensais que tout était déjà joué, qu’il n’y avait plus aucune possibilité de rien de nouveau. Quand je suis arrivée en Amérique, j’ai découvert que 23 ans, c’était très jeune, qu’on n’avait pas du tout fini sa vie à cet âge-là, qu’il suffisait de tendre la main à quelqu’un et de dire : ‘Hi, I’m Catherine, who are you ?’, et que cette personne allait vous répondre. On pouvait juste comme ça rencontrer des gens. Cela m’a paru incroyable. Evidemment, j’ai aussi des ambivalences et des critiques de la civilisation américaine, mais j’ai quand même joui de cette facilité et cette ouverture américaine. »

Alors si la France est plus ouverte par rapport aux pays de l’Est, les Etats-Unis sont encore plus ouverts que la France...

« Attention, c’est compliqué. Chaque pays a ses valeurs. Il y a aussi tout un puritanisme et une hypocrisie américaines... En tout cas le sourire est là. Le sourire, c’est important. »

Ce n’est pas tellement le cas dans le milieu tchèque...

« Ah, je vais vous dire quelque chose. En effet, le sourire est peu présent en République tchèque. J’y ai vécu pendant deux ans et demie et pendant deux ans, je n’ai pas tellement vu le sourire des Tchèques, parce que j’étais étrangère, je ne parlais pas bien tchèque. Mes sept derniers mois en République tchèque, j’étais enceinte et du coup, tous les Tchèques se sont mis à me sourire ! C’était extraordinaire. J’ai découvert la gentillesse des Tchèques. Peut-être que le fait d’être enceinte a dépassé le fait d’être étrangère. »

Vous avez publié votre premier roman à l’âge de 27 ans. Depuis quand écrivez-vous ? Comment vous est venue cette envie d’écrire ?

« J’écris depuis toujours. Quand j’étais petite, j’écrivais. Je voulais âtre écrivain très tôt, tout simplement parce que j’étais une grande lectrice. Il y a des écrivains qui ne lisent pas, moi, je suis un écrivain qui lit. J’ai tellement besoin de ce monde parallèle ! J’ai fait des études littéraires très poussées en France, la préparation de l’Ecole normale supérieure, une agrégation de lettres classiques, j’ai fait deux thèses. Entre 18 et 25 ans, je n’ai eu aucune possibilité d’écrire. D’abord parce que je travaillais tous le temps et aussi parce que ces études poussées ont desséché mon imagination.

Il me paraissait impossible d’écrire quelque chose de personnel. Puis, à 25 ans, j’ai eu un très gros chagrin d’amour. Un homme m’a quittée. Pour faire face à ce chagrin qui m’a donné une envie de mourir, j’ai commencé à écrire un roman. Pas un journal, un roman, j’ai tout de suite transformé cette matière douloureuse en une matière romanesque, avec des personnages, avec une histoire un peu différente de la mienne. Cela m’a permis de reprendre le contrôle sur quelque chose sur lequel je n’avais aucun contrôle. Le cadeau que m’a fait la fiction, c’est qu’après avoir écrit ce premier roman (‘La blouse roumaine’ ndlr), j’ai retrouvé l’homme, le méchant qui m’avait abandonnée et je l’ai épousé. Donc il faut écrire ! (rires)»

On dit que publier un premier roman est très difficile, même le plus difficile. Il faut surmonter sa timidité...

Phillippe Sollers
« Il y a toute sorte d’étapes dans l’écriture et la publication. Il faut écrire, terminer l’écriture, être capable de se corriger, ensuite envoyer à des éditeurs, lorsque vous trouvez un éditeur, vous commencez une autre étape... Moi, j’ai eu de la chance dans les premières étapes. Après avoir fini mon premier livre, je l’ai envoyé à un écrivain et éditeur français très connu, Phillip Sollers. Je le connaissais parce que, dans mes études universitaires, j’étais spécialiste du XVIIIe siècle et lui, il publiait dans sa revue L’infini mes articles sur le marquis de Sade et sur Voltaire. Il m’a dit : ‘Si un jour, vous écrivez un roman, envoyez-le moi.’ Je lui ai donc envoyé mon premier roman sur le chagrin d’amour. Mais lui, c’était un auteur qui avait la réputation d’être très libertin, d’avoir une philosophie dans laquelle il y avait beaucoup de séduction et pas de dépression. J’ai pensé qu’il n’allait pas du tout aimer mon roman, mais en fait, il l’a adoré et il l’a publié dans sa collection L’infini, chez Gallimard. Le livre a paru en mai 1990, chez le plus grand éditeur français... et c’est à ce moment-là qu’a commencé ma souffrance. J’attends la sortie, le livre sort.... et personne n’en parle. Il est entièrement ignoré. Pas un seul article, pas une seule interview, rien. Comme si je n’existais pas. J’ai mis du temps à m’en remettre ! J’ai pensé que j’étais nulle, que Philippe Sollers a dû se tromper... »

Quand l’avez-vous surmonté ?

« J’ai mis plusieurs années. J’ai écrit ensuite deux livres, un qui a eu un effet thérapeutique, c’était un roman sur mon rapport avec Phillip Sollers. J’avais peur de sa vision du monde que je sentais très différente de la mienne. Ce roman s’appelle ‘A vous’. Il m’a libéré de lui et m’a permis d’être en contact avec moi même et de ne plus avoir peur. J’ai réussi à écrire ensuite un livre sans rapport avec lui et, d’une certaine manière, c’est mon premier roman. Il est sorti chez Gallimard en 1995 et il s’appelle ‘En toute innocence’. D’ailleurs, c’est toujours un de mes livres préférés, un livre où, je crois, j’ai été le plus libre. Tout le monde en a parlé à l’époque. Là, j’ai eu ma sortie, au deuxième livre. J’ai eu très peur avant sa sortie, la peur d’être un faux écrivain... Malheureusement, c’est ça écrire. On n’écrit pas juste pour soi. Si on n’est pas lu... »

Votre roman « Jouir » a suscité des réactions très controversées. Comment l’avez-vous vécu ?

« C’est un livre fondé sur un projet de vérité – le désir de tout dire sur ce qui, chez moi, avait rapport avec la sexualité, entre 6 ans et 32 ans, mais sans aucun commentaire. Je voulais qu’il n’y ait aucune introspection, que ce soit très sec. Donc, évidemment, ce petit livre a un effet choc. Les critiques s’en sont détournés, en particulier un journaliste du Nouvel Observateur qui s’appelle Jérôme Garcin et qui est aussi écrivain. Il l’a non seulement critiqué, mais démoli, en disant que c’était le contraire de la littérature. Cela m’a fait rire, parce qu’un livre qui provoque des réactions violentes, c’est toujours intéressant. C’est une bonne chose aussi. Aujourd’hui, Jérôme Garcin est devenu un de mes plus grands défenseurs. En plus, il termine chaque article en disant : ‘Surtout, ne manquer pas d’aller lire ‘Jouir’ ! (rires) Donc il faut un peu de distance par rapport à tout cela, je crois. »

La critique estime que vous avez une écriture « directe, incisive, minimaliste ». Pour moi, c’est une écriture qui se lit très bien. Cette « facilité », est-elle spontanée ou travaillée ?

« En effet, j’ai une écriture que l’on pourrait dire américaine. Ce qui m’emporte, c’est une certaine musique... j’entends ce que j’écris. Ensuite, il faut que ce que j’écris soit efficace, rapide, que le lecteur ait toujours envie de continuer, de tourner la page et aussi qu’il n’y ait pas de fausses notes. Par exemple, il est difficile dans l’écriture de nommer un sentiment. Il faut le faire sentir. Comment ? Par le dialogue, par la description d’un geste. Ce n’est pas en vous disant que mon personnage est triste que vous allez sentir sa tristesse. Pour les Français, surtout pour les membres des jurys littéraires, je n’ai pas une écriture littéraire. C’est en effet une écriture que l’on pourrait dire facile. Moi, cela m’est égal, c’est mon écriture, je la travaille. Je travaille énormément, surtout à effacer. Je fais attention à ce que la phrase soit lisse, à ce qu’il n’y ait pas de mots en trop. C’est assez difficile. J’ai peu d’introspection, peu de belles phrases et peu de métaphores. Elles ne me viennent pas spontanément. Parfois, je le regrette, car les métaphores et les analogies aident à comprendre ce dont on parle. »

Quel sera le sujet de votre prochain roman ?

« Il se passe en Inde. C’est un peu étrange, j’y suis allée seulement une fois. Ce qui m’intéresse, ce sont les Français en Inde. Ces Français pris dans leurs histoires très psychologiques et très intellectuelles, bref ces Français très français et cette Inde immense, avec ses conflits de religion et sa pauvreté. J’ai envie d’écrire sur ce contraste entre le géopolitique et l’individuel. »