Caya Makhélé : « Kafka raconte des histoires africaines »
Le coup d’envoi de la 17e édition du Festival de la culture et du théâtre africain sera donné lundi, à la Bibliothèque municipale de Prague, avec le vernissage des peintures de l’écrivain et poète congolais Caya Makhélé. L’occasion de découvrir une nouvelle facette de sa création, picturale cette fois. Radio Prague Int. est allé à sa rencontre sur son lieu de résidence pragoise, en plein cœur de la Vieille-Ville, place Franz Kafka, un auteur dont l’œuvre l’accompagne depuis sa jeunesse.
Caya Makhélé, bonjour. On se retrouve après notre dernière entrevue il y a trois ans. Vous êtes un invité régulier du festival de la culture et du théâtre africain, organisé par Lucie Němečková depuis plusieurs années déjà. Cette année, vous n’êtes pas venu à Prague en tant que romancier, mais plutôt en tant que peintre. Vous allez exposer vos œuvres à Prague. La peinture, c’est une nouveauté ?
« En tant que peintre à Prague, c’est une nouveauté. Mais en tant qu’activité ce n’est pas une nouveauté. Par contre, Prague m’a donné le courage de montrer mes peintures. La peinture pour moi est une sorte de refuge, une sorte d’intimité particulière avec moi-même. Parce que je me considère un peintre de la résilience. A travers plusieurs moments de difficulté, de chocs : j’ai eu une tumeur au cerveau, j’ai été opéré, j’ai failli devenir aveugle, j’ai eu le coronavirus, tout ce qui passe je le ramasse. Et tout ça me permet à travers la peinture, de me reconstituer, et de pouvoir avoir foi en la couleur. C’est la couleur qui me donne l’espoir de vivre. »
C’est vrai que c’est des peintures très colorées… La peinture comme thérapie donc ?
« Plus qu’une thérapie car la thérapie n’est qu’un processus. C’est plutôt le commencement et la fin, l’alpha et l’omega de ma résilience : comment je me permets de me retrouver avec moi-même, et mon environnement, comment je me permets de regarder le monde après chaque événement important qui m’arrive, comment je me permets et j’accepte les autres. Evidemment, à travers cela il y a mon itinéraire personnel, mon regard intime sur les gens et sur les choses et ce que je suis. Mais ce qui est évident, c’est une thérapie qui permet non pas seulement de me guérir mais de guérir l’avenir, c’est-à-dire que je me projette immédiatement dans l’avenir en me disant : que vais-je être demain ? C’est ça la peinture pour moi… »
Ces peintures sont exposées à la Bibliothèque municipale de Prague, qui vous accueille également ici en résidence tout un mois. Parmi celles qui sont exposées, il y a une peinture qui, je pense, parlera à tout le monde. Elle s’appelle Le Baiser, peut-on la décrire ?
« Le Baiser Covid, ce sont deux êtres humains qui s’embrassent en ayant leurs masques anti-Covid. On peut se poser la question de savoir qui sont ces personnes. Est-ce deux hommes, deux femmes, deux animaux, deux extraterrestres ? De quelles origines sont-elles, de quelle obédience religieuse ? Ce que j’ai voulu, c’est que les gens qui regardent ce tableau se posent des questions, se demandent qui sont ces deux personnes qui s’embrassent. Pour moi ce ne sont que deux êtres qui à un moment donné de leur existence ont pensé qu’un baiser suffisait à les rendre plus humains. »
Nous nous trouvons place Franz Kafka à Prague : Franz Kafka est un écrivain important pour vous. On en avait déjà un peu parlé lors de notre dernière rencontre. Que représente-t-il dans votre panthéon littéraire personnel ?
« Ce panthéon est constitué d’écrivains qui ont marqué ma jeunesse et qui continuent de me marquer aujourd’hui. Il y a des amis comme Sony Labou-Tansi qui m’accompagne tout le temps. D’ailleurs, je prépare un livre de nos conversations, de nos discussions, de nos rencontres intellectuelles et amicales. Et Kafka fait partie de ces personnes qui m’ont accompagné très jeune. Moi qui doutais de l’imaginaire africain sur le fantastique, sur la capacité d’introspection des personnages, de cette capacité de se transformer et de transformer la nature, moi qui pensais que ce n’était qu’un surréalisme désuet, c’est grâce à Kafka que j’ai compris cet imaginaire africain. Je me suis dit que cet auteur qui n’était pas africain raconte des histoires africaines. Comment peut-on devenir un monstre ?
En Afrique - quand je parle de l’Afrique, je parle de la culture sub-saharienne qui est celle que je connais la mieux – il n’est pas étonnant de voir qu’un être humain se transforme la nuit en animal féroce ou en monstre, et qu’il décide d’aller se balader dans le monde entier avant de revenir le lendemain et de redevenir un être humain. Dans La Métamorphose on a cet instant où un être humain ne peut plus sortir de son lit et se demande ce qu’il devient, pourquoi il devient ce qu’il est devenu. C’est peut-être ça aussi le destin du continent africain qui au, sortir des indépendances, se demande : que suis-je devenu ? Est-ce que je suis un monstre ? Suis-je encore un continent qui peut supposer être l’avenir ? Puisque je suis la naissance de l’humanité, suis-je l’avenir de l’humanité maintenant que je n’arrive pas à sortir de mon lit, que j’ai des tentacules et que je n’arrive pas à bouger ? Kafka m’a apporté cette capacité de comprendre l’imaginaire africain… »
Hors micro, vous me disiez que Le Procès de Kafka représentait pour vous l’œuvre-phare de Franz Kafka…
« Absolument parce que Le Procès pose la question de l’humanisme, de la reconnaissance de la responsabilité de chaque individu. Nous vivons des siècles traversés par des guerres, des crimes, des assassinats, par des révolutions, des désirs de liberté, d’acceptation et de rejet de l’autre. A chaque instant, l’être humain est confronté à une seule question : de quoi suis-je responsable ? Suis-je responsable de l’Holocauste ? Suis-je responsable des massacres au Rwanda ? Suis-je responsable du massacre des Arméniens ? Suis-je responsable de l’enlèvement de jeunes filles au Nigéria par des terroristes ? De quoi suis-je responsable ? Est-ce que je rejette la faute sur les autres ou est-ce que j’accepte cette responsabilité ?
Dans Le Procès, le personnage principal est accusé de tous les maux sans qu’ils ne soient cités et sans que l’on dise que c’est lui le coupable. Il insiste pour dire que c’est lui, pour qu’on reconnaisse qu’il existe. Notre existence passe par l’acceptation de notre responsabilité, de nos fautes et de nos bienfaits. »
Franz Kafka a également inspiré votre peinture…
« Je suis arrivé à Prague et je me suis dit : je vais peindre. Alors j’ai commencé à peindre : j’ai regardé les terrasses, les cafés, la Vltava et je me suis dit que tout ça me rappelait Kafka. J’en reviens toujours à Kafka. Et donc j’ai commencé à peindre un portrait de Kafka. Au fur et à mesure que j’avançais, je me suis dit qu’un portrait de Kafka n’avait aucun sens en fait, que ça n’a de sens que si celui qui regarde le tableau retrouve ce que Kafka a laissé en lui. Une trace. Donc, ce portrait de Kafka cache quelques petits bonbons, quelques fruits, quelques friandises et quelques monstruosités aussi pour montrer cette intimité que j’ai avec l’œuvre de Kafka. »
Dans le cadre de cette résidence pragois vous peignez, on l’a bien compris. Y a-t-il de la place pour l’écriture ?
« J’ai une particularité, c’est que chacun de mes tableaux est accompagné d’un texte. Et donc, j’écris en même temps. Je ne sais jamais à l’avance si ce sera un poème, un bout d’essai… Mais j’écris et j’ai certainement envie de porter ce témoignage par rapport aux questions que vous m’avez posées sur Kafka. Et le texte sur lequel je travaille est : Kafka est-il africain dans son imaginaire ? »
Peut-être la réponse au prochain festival ?
« Je l’espère ! Moi je dis oui. Maintenant, il faut que le prouve ! »