Cécile Da Costa : « Il est nécessaire qu’il y ait des échanges entre les disciplines »
Artiste française basée à Prague depuis onze ans, Cécile Da Costa se dédie à ce que l’on appelle le théâtre physique. Si nous l’avons rencontrée dans le cadre du festival « Nultý bod », dont l’objectif est de présenter aux spectateurs tchèques de nouveaux genres théâtraux jusque-là inexplorés ainsi que les nouvelles tendances du théâtre européen, et où elle avait dirigé trois workshops pour de jeunes artistes, c’est autour de la pièce « Vypravěč », « Le narrateur » en français, que nous nous sommes entretenues. Cécile Da Costa, qui collabore à Prague avec différentes compagnies, dont la Spitfire Company ou aussi l’école de cirque Cirqueon, est une artiste aux talents multiples, qui a jeté l’ancre à Prague. Nous avons rencontré Cécile Da Costa, accompagnée de sa fille, à l’Académie des Arts à Prague.
Le livre « Syngué sabour. Pierre de patience » comme source d’inspiration, la confession comme idée de départ
« C’est un travail que j’avais envie de faire déjà depuis un peu plus d’un an. C’est une idée que j’avais eue après avoir lu un livre d’Atiq Rahimi (romancier et réalisateur franco-afghan, ndlr), qui s’appelle « Syngué sabour. Pierre de patience », et qui met en scène une femme qui veille sur le sommeil de son mari, et qui est dans le coma après avoir reçu une balle dans la nuque. Cela se passe en Afghanistan au moment de la guerre. Cette femme et cet homme sont donc enfermés dans une chambre sans pouvoir sortir, parce qu’il est lui tombé dans le coma et parce qu’il y a la guerre à l’extérieur. Et elle, parce qu’elle le veille et prend soin de lui, sans savoir s’il va se réveiller un jour. Au fur et à mesure que le temps passe, elle perd espoir qu’il se réveille un jour. On la voit passer par différentes phases. Il y a d’abord la phase où elle attend avec de l’espoir. Puis il y a la phase, où elle attend avec de la colère, et puis du désespoir, etc. C’est un cheminement à travers ses émotions à elle. Au fur à mesure, elle va se mettre à lui raconter un tas de choses, qu’elle n’a jamais dites du temps où il n’était pas dans le coma. Puis, elle va se révéler. C’est comme une confession. Pour moi cette idée-là était vraiment fascinante comme point de départ. C’est-à-dire de faire une confession à quelqu’un, sans savoir si la personne entend, et sans savoir si la personne va se réveiller un jour. C’était donc le point de départ du travail, de ce qui moi m’intéressait. Et quand j’ai proposé cette idée-là à Petr Boháč, qui est le directeur artistique de la Spitfire Company avec Miřenka Čechová, il m’a dit « D’accord, mais je veux qu’on parle de toi ». Ce qui ne m’enthousiasmait pas au départ, parce que je n’avais pas envie de faire quelque chose forcément à propos de moi, mais il a réussi à me convaincre. « Vypravěč » c’est donc mon histoire personnelle, qui raconte la perte de mes enfants. J’ai perdu trois enfants. C’est donc ce que je mets en scène avec cette idée de confession. »Pour le scénographe Petr Boháč de la Spitfire Company, l’atout de Cécile Da Costa est sa large gamme vocale. En tant que chanteuse, elle fait notamment partie du duo artistique « La Mauvaise graine ». Connaissant Cécile depuis cinq ans déjà, Petr Boháč n’a pas hésité une seconde à se lancer dans l’aventure. Le livre de l’écrivain franco-afghan Atiq Rahimi, a servi de miroir, permettant à Cécile Da Costa de trouver et donc de raconter son propre récit.
« Vypravěč », fruit d’une coopération franco-tchèque
Car « Vypravěč », c’est un théâtre d’émotions, qui explore l’espace du silence à l’aide de mouvements et de sons. Cécile Da Costa a évoqué les contours de cette coopération :« Après le travail s’est fait très vite, parce qu’avec Petr on s’entend bien et on travaille bien ensemble. Donc Petr a tout de suite proposé une scénographique qui moi me convenait, c’est-à-dire de travailler avec différents matériaux, de travailler avec du verre, du liège, des pierres, des briques. Tout l’univers symbolique et esthétique vient de Petr. Il correspondait bien à l’univers que j’avais moi à l’intérieur, mais que je ne savais pas comment matérialiser sur scène. »
La pièce « Vypravěč », c’est aussi un mélange de chant expérimental, de danse nichée entre le combat et la fragilité, de confession personnelle et d’incantations de rythmes brûlants qui envoûtent le spectateur. Tous ces différents domaines d’activités caractérisent à merveille le travail de la performeuse Cécile Da Costa, comme elle l’explique elle-même :
« C’est du théâtre physique. Enfin, ce qui ne veut rien dire en fait, car tout théâtre est physique je pense. Disons qu’il y a un théâtre qui travaille beaucoup en partant de textes, mais ça c’est un travail qui travaille beaucoup à partir de l’expression du corps, des expressions du corps. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir aussi un travail à partir d’un texte, mais disons que le corps dans tout son ensemble – on parle aussi d’un travail avec la voix, on ne dissocie pas le travail avec le corps et le travail avec la voix – donc le corps dans tout son ensemble est comme un moyen d’expression. »Dans le cadre de cette performance solo, parlant à la fois de la solitude et de l’intimité, Cécile Da Costa a évoqué ses sources d’inspiration, qui l’ont aidée à construire ce spectacle, un spectacle également formé autour de trois langues :
« J’ai commencé à faire ce travail il y a une dizaine d’années avec une compagnie qui s’appelle « Farma v Jeskyni » (« La Ferme dans la caverne ») et maintenant je continue à faire ce travail avec la Spitfire Company. En fait pour chaque spectacle on essaie de trouver un entrainement spécifique, pour développer une expression spécifique dans le corps. Sur cette pièce, « Vypravěč », je me suis inspirée de différentes sources. L’une d’elles, c’est le flamenco, même si moi je ne suis absolument pas danseuse de flamenco, et je n’ai jamais vraiment suivi de cours de flamenco. Mais ce qui me fascine dans le flamenco c’est l’énergie et la posture des danseurs. C’est ce que j’ai essayé de travailler, seule d’abord, et après avec l’aide de Petr. »A cheval sur quatre langues
« Ma deuxième source d’inspiration c’est les katas, que l’on fait quand on fait du karaté. Les katas sont une série de mouvements qui simulent l’attaque et la défense. Parce que cette histoire que je raconte dans « Vypravěč », c’est vraiment comme un combat personnel et j’avais besoin de trouver une expression combative dans mon corps. Je me suis servie des katas, parce que quand j’étais plus jeune, j’ai fait quelques années de karaté et il m’en reste encore des souvenirs. Mon corps se souvient bien. J’ai utilisé comme base le kata, que j’ai transformé par la suite. Donc le flamenco, le kata et après on a aussi travaillé avec trois langues. C’est aussi important pour moi. Comme je vis en République tchèque, je suis Française, je travaille la plupart du temps en anglais et j’ai mon père qui vit au Portugal. Je navigue donc entre quatre langues. »Pourquoi avoir donc choisi de s’installer dans la ville de Prague ? Cécile Da Costa répond :
« Je suis arrivée ici pour faire du théâtre avec « Farma v jeskyni ». Je ne pensais pas rester, je pensais que c’était seulement une expérience, pour un certain temps et que j’allais passer à autre chose. Puis en fait je me suis enracinée. Et maintenant, je pense que je vais encore rester quelques années. »¨
« Ici, il y a vraiment une volonté de construire des ponts entre les disciplines »
Vous faites partie du projet Cirqueon…
« Oui, je donne des cours. Cirqueon, c’est une association qui donne des cours de cirque nouveau. Mais ils sont aussi à la recherche d’un travail plus spécifique en connexion avec le théâtre, et c’est dans ce cadre que j’interviens, que je donne des cours. »Selon vous, comment se porte le cirque nouveau ici en République tchèque ? Si vous pouvez faire une comparaison par rapport aux autres pays par exemple?
« Non, je ne peux pas comparer, parce que je ne sais pas vraiment comment ça se passe dans les autres pays. Je sais qu’ici, il y a vraiment une volonté de ne plus limiter d=les choses, de ne plus se dire : « ça c’est du cirque, ça c’est du théâtre, ça c’est de la danse, ça c’est du chant ». Il y a vraiment une volonté de faire des connexions, de construire des ponts entre les disciplines. Et je trouve cela d’abord très enrichissant pour tous les champs, tant pour le théâtre, que pour le cirque nouveau, que pour la danse. Et puis pour moi c’est intéressant aussi de travailler avec les gens du cirque, par exemple. J’apprends plein de choses aussi. Je pense qu’il est nécessaire qu’il y ait des échanges et qu’il y ait des connexions entre les disciplines. Sinon ça s’ankylose, on tourne en rond et on n’est plus créatif. »
Sachant que le festival du cirque nouveau Letní Letná se poursuit à l’heure actuelle dans le parc Letná à Prague, et ce jusqu’au 4 septembre prochain, Cécile Da Costa a précisé que si elle n’y prenait pas part, son compagnon y participait aux côtés de sa compagnie, laquelle propose des spectacles de clown pour enfants et pour adultes. Cécile Da Costa a conclu quant à ses projets à venir :« Pour les auditeurs que ça intéresse, le prochain spectacle de « Vypravěč » sera le 27 septembre à l’Akropolis à Prague. Pour le moment je n’ai pas de projets de créations, parce que cet hiver j’ai beaucoup travaillé, j’ai été beaucoup en création. Donc là j’ai plutôt envie de jouer. J’ai envie de jouer les spectacles que l’on a créés cet hiver, parce que ce sont encore des bébés spectacles. Ils ont besoin de grandir, de se développer, de se transformer, et pour ça, il faut les jouer. »