Cinéma : le « nouveau visage » de Martina, rare victime tchèque d’une attaque à l’acide

'Is There Any Place For Me, Please?'

En novembre 2013, Martina Izingová a été aspergée d’acide par son ex-compagnon, devant chez elle à Plzeň, en Bohême de l’Ouest. Aveuglée et défigurée, elle raconte sa reconstruction et sa nouvelle vie après l’attaque dans un film documentaire « Moje nová tvář » (Is There Any Place For Me, Please?) qui sort en salles en Tchéquie ce jeudi.

Ce matin d’automne, Martina, jeune femme de 25 ans, s’apprêtait à se rendre au travail. Lorsqu’elle s’est assise dans sa voiture, un homme masqué a ouvert la portière et lui a versé de l’acide sur le visage. Aveuglée et brûlée sur 30 % du corps, Martina a alors passé quinze jours entre la vie et la mort. Rescapée, elle a subi, dans les mois et les années qui ont suivi, une multitude d’interventions chirurgicales. Une reconstruction plastique et esthétique notamment, mais pas seulement, comme elle en témoigne :

'Is There Any Place For Me,  Please?' | Photo: Barletta Productions

« Pendant dix ans, j’ai suivi un traitement psychothérapeutique. Cela m’a énormément aidée à la fois à surmonter le traumatisme et à prendre du recul vis-à-vis de mon agresseur. Aujourd’hui, c’est un homme qui n’existe plus pour moi. Le traitement a abouti au fait qu’il n’occupe plus aucune place dans mes pensées. »

Attaques à l’acide en Inde... et en Tchéquie 

Deux ans après l’agression perpétrée par son ex-compagnon, condamné à 23 ans de réclusion criminelle, Martina rencontre à la clinique Jarmila Štuková, reporter-photographe de guerre et cinéaste. C’est de cette rencontre qu’est né le documentaire « Moje nová tvář » (« Mon nouveau visage », en français). Un film dans lequel Martina se livre à cœur ouvert, racontant tout à la fois les hauts et les bas de son combat et son engagement auprès d’autres victimes de brûlures et en faveur de la prévention ; un engagement pour lequel elle a reçu, en 2020, le Prix Olga Havlová. La réalisatrice Jarmila Štuková explique :

Jarmila Štuková | Photo: Aleš Král

« Depuis 2004, je voyage dans les pays frappés par la guerre et la pauvreté. J’essaie de documenter la réalité de ces pays que l’on a parfois tendance à oublier, comme par exemple la pratique du repassage des seins au Cameroun ou, justement, des attaques à l’acide en Inde. J’y ai rencontré des filles brûlées qui luttent contre cette violence inouïe et malheureusement très courante dans ce pays, où la plupart des victimes se suicident ou vivent à l’écart de la société. Tandis que leurs agresseurs restent impunis, ces filles, malgré leurs blessures, continuent de vivre. Elles ont fondé un café, Heroes Gate, et militent pour une meilleure assistance médicale et un soutien juridique aux victimes. »

« C’est comme ça que j’en suis venue à me demander si, en Tchéquie aussi, des femmes avaient vécu cette horreur, et, si oui, comment elles étaient soignées et comment elles vivaient avec un tel handicap. C’est à la clinique pragoise qui prend en charge les grands brûlés que j’ai rencontré Martina, qui est l’une des rares victimes tchèques d’une attaque à l’acide. Elle m’a raconté son histoire et j’ai eu envie de partager son témoignage bouleversant avec le public. Je n’ai d’abord pas su sous quelle forme, j’ai pensé à un reportage ou à une collection de photos. De fil en aiguille, j’ai commencé à la filmer, d’abord par curiosité, car je me demandais comment cette fille allait s’en sortir... J’ai donné une caméra à Martina pour qu’elle puisse filmer elle-même certains moments de sa vie quand nous n’étions pas ensemble, un peu comme si elle tenait un journal intime. »

'Is There Any Place For Me,  Please?' | Photo: Barletta Productions

Sa métamorphose est fascinante et inspirante

Dans le film, Martina confie aux spectateurs ses doutes, ses peurs, sa souffrance. Aveugle, elle réapprend à vivre chez elle, dans son appartement et dans sa ville. Défigurée, elle se construit aussi une nouvelle identité. À Prague, elle suit une formation pour devenir masseuse, apprend à travailler à l’ordinateur et à devenir autonome, sans pour autant échapper à des épisodes de profonde dépression, aux crises d’angoisse et de panique. Jarmila Štuková se souvient :

'Is There Any Place For Me,  Please?'

« Quand j’ai fait sa connaissance il y a huit ans, Martina était une femme traumatisée et silencieuse, une victime. Sa métamorphose est profondément fascinante et inspirante, pour moi aussi. Sa genèse remonte à un moment précis. Avec un ami, nous avons recueilli des fonds pour qu’elle puisse être examinée dans une clinique de pointe à Boston, aux États-Unis. Nous l’avons accompagnée durant ce voyage dont elle rêvait. Elle était remplie de l’espoir d’être opérée, de retrouver la vue et avait plein de projets en tête. Or, les spécialistes lui ont dit qu’une opération était impossible. Je crois que cela a été un moment charnière pour elle. Ce n’est qu’à partir de ce moment qu’elle a vraiment commencé à se détacher de son enveloppe physique, à reconstruire sa vie et surtout à lui donner un autre sens. »

Burn Fighters

Martina Izingová à la première du film 'Is There Any Place For Me,  Please?' | Photo: Aleš Král

Avec Jarmila Štuková, Martina a créé la plateforme Burn Fighters. Composée de spécialistes et d’autres femmes gravement brûlées, son équipe redonne espoir aux victimes, organise des campagnes de prévention ou des colonies de vacances. Avec la sortie de son portrait cinématographique, la vie ne s’arrête pas pour Martina Izingová. Mariée depuis peu, elle est, au moment où sort le documentaire qui retrace son histoire, la mère d’un petit garçon de quatre mois :

« Je ne pense même pas au fait que je ne puisse pas voir le film de mes propres yeux. Cela ne me gêne pas. Le film retrace dix ans de ma vie, je sais parfaitement ce que j’ai vécu et je suis même très curieuse de découvrir la réaction des spectateurs. Bien sûr que la sortie du film m’oblige à me retourner sur mon passé. Mais ce que je ressens est très positif. C’est une grande satisfaction. Je ne me considère pas comme quelqu’un d’exceptionnel, mais je suis quand même fière de moi, des progrès assez incroyables que j’ai accomplis, surtout quand je repense à la situation et à l’état d’esprit qui était les miens à l’époque. Alors, oui, c’est un moment assez intime et plein d’émotions que je vis en ce moment. »

Le film « Moje nová tvář » sort en salles en Tchéquie le jeudi 26 octobre. Jusqu’à dimanche 29 octobre, il est également présenté en compétition au Festival international du film documentaire de Jihlava.