Comment j’ai interprété Zátopek à l’écran
Après la publication d’une bande dessinée et de plusieurs biographies, Emil Zátopek renaîtra de ses cendres prochainement aussi à l’écran. Prévue l’été dernier parallèlement à la tenue des Jeux olympiques de Tokyo, la sortie très attendue du film retraçant la carrière du légendaire coureur à pied tchèque a finalement été repoussée, coronavirus oblige, à août 2021. Avant cela, nous avons rencontré Václav Neužil, l’acteur tchèque qui joue le rôle de Zátopek. Une interprétation tout sauf simple.
Souriant et sympathique, notre Zátopek de cinéma est un homme heureux. Bien connu du grand public tchèque, Václav Neužil est, depuis quelques années déjà, un comédien et acteur à succès. Mais surtout, à aujourd’hui 41 ans, il a les plus beaux mollets de sa vie, dignes de ceux de l’ancien quadruple champion olympique. Un détail que Václav Neužil évoque pour donner une idée de toute la préparation que l’interprétation du rôle a exigée et qui a eu toute son importance dans la réalisation du biopic :
« C’est vrai, il fallait que mes mollets plaisent à Dana Zátopková. Vous savez, elle était convaincue que seul un athlète pourrait interpréter le rôle d’Emil, qu’un acteur ne serait jamais suffisamment convaincant. Sauf qu’il n’y a pas que des scènes de course à pied dans le film. Il a donc fallu lui expliquer que ce n’était pas possible, qu’il fallait un vrai acteur. Elle a accepté en posant une condition : elle voulait que l’acteur ait des mollets comme ceux d’Emil. Cela m’a demandé énormément de travail ! Des kilomètres et des kilomètres d’entraînement… J’ai perdu 8 kilos pour ressembler à un vrai coureur à pied. J’ai toujours fait du sport dans ma vie, mais jamais de course à pied. Je n’aimais pas ça. Mais une fois, Martha Issová, qui joue le rôle de Dana, lui a montré sur son téléphone une photo de mes mollets et Dana lui a répondu que ça pouvait aller. »
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Comme en témoigne l’affaire de la traduction en tchèque de la biographie romancée « Courir » de l’écrivain Jean Echenoz, dont elle avait voulu empêcher la publication, Dana Zátopková a, jusqu’à sa mort en mars dernier, toujours été très sensible à l’interprétation qui était faite de la carrière et de la vie d’Emil. Du coup, le projet de film, qu’a longtemps porté son réalisateur David Ondříček, ne l’a pas d’abord pas spécialement emballée, comme le concède Václav Neužil :
« Dana n’était pas convaincue par l’idée. J’ai le sentiment qu’elle se méfiait des cinéastes et des journalistes. Elle devait avoir ses raisons, puisqu’elle a eu affaire à eux toute sa vie. David Ondráček a néanmoins su la convaincre, car son idée n’était pas de pas de leur ériger une statue, mais de montrer Emil et Dana tels qu’ils étaient vraiment. Avant d’être des sportifs célèbres, tous les deux étaient de jeunes gens qui aimaient la vie. Emil a grandi dans une famille très pauvre, il était le septième de huit enfants, et leur histoire commune a tous les traits du rêve américain. Mais ce que nous voulions, c’est gagner le cœur des spectateurs en leur montrant deux héros qui sont d’abord un homme et une femme avec leurs qualités et leurs défauts. Ce n’est pas facile de montrer Emil et Dana sous cet angle, mais c’était l’objectif. »
Aux yeux de beaucoup d’amateurs de sport, Emil Zátopek, bien que mort il y a vingt ans, reste aujourd’hui encore à la course à pied ce qu’un Fangio représente pour la course automobile, un Pelé pour le football, un Mohamed Ali pour la boxe ou un Eddy Merckx pour le cyclisme. L’incarnation de son sport. Sauf que les exploits du champion, et notamment son triplé olympique doré d’Helsinki en 1952, resté inégalé depuis, remontent désormais à près de 70 ans. Et comme le concédait le comédien français Eric Cénat lorsque nous l’avions rencontré à Prague il y a quelques années lors d’une lecture théâtralisée du livre de Jean Echenoz, cela commence à sérieusement dater :
« Pour les gens de moins de trente ans aujourd’hui, le nom de Zátopek ne leur parle sans doute plus beaucoup. Moi, j’ai une quarantaine d’années et je suis peut-être la dernière génération à avoir conscience de qui était Zátopek. En France, pendant qu’on courrait, qu’on faisait son jogging, il y avait toujours quelqu’un sur le bord de la route qui criait ‘Vas-y Zátopek !’. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. »
Mais quid des jeunes générations de Tchèques ? Si le nom de Zátopek ne leur est pas inconnu, tant celui-ci reste encore présent dans l’inconscient collectif national, qu’en savent-ils concrètement ? La légende n’est-elle pas désormais recouverte d’une épaisse couche de poussière ? Autant de questions que Václav Neužil a lui aussi dû se poser avant d’accepter le rôle et d’enfiler short et baskets :
« Je dois avouer que quand le rôle m’a été proposé en 2013, le réalisateur était le seul à voir en moi un potentiel Zátopek. Je n’avais qu’une vague idée du personnage. Mais cela reste un grand nom de l’histoire de notre pays, même pour les gens qui ne s’intéressent pas au sport. Ma mère ne s’est jamais intéressée au football, mais elle avait déjà entendu parler de Maradona. Zátopek, c’est la même chose. Alors, peut-être plus tout à fait à l’étranger, mais pour les Tchèques, je pense que oui. Personnellement, je me suis énormément investi dans le rôle. J’ai lu tout ce qui a été écrit à son sujet pour m’en imprégner le plus possible. Vous pouvez aller sur n’importe quel stade d’athlétisme du pays et demander aux gamins qui était Zátopek, la majorité vous répondra. Mais c’est aussi pour les autres jeunes, pour qui c’est beaucoup moins évident, que le film a été tourné. »
Pour son réalisateur David Ondříček, le film est aussi l’occasion, à travers la carrière de Zátopek, de plonger le public dans une période sombre de l’histoire de la Tchécoslovaquie. Depuis le début des années 1940, quand le jeune Emil était encore apprenti à Zlín dans les usines de fabrication de chaussures Baťa, jusqu’à 1968, en passant par les terribles années 1950, quand le champion, au fil de ses succès, grimpe dans la hiérarchie de l’armée communiste. L’engagement politique du colonel Zátopek est d’ailleurs problématique pour plusieurs historiens tchèques, qui estiment que les défaillances de l’homme ont été trop nombreuses pour pouvoir aujourd’hui le mettre sur un piédestal. Une vision des choses que Václav Neužil ne partage que partiellement :
« Il existe d’autres figures qui, d’un point de vue moral, son des modèles. Dans le domaine du sport, on peut citer par exemple la gymnaste Věra Čáslavská. Zátopek n’est clairement pas un héros de ce type. Son cas est plus complexe. Mais si rien n’est tout blanc, rien n’est tout noir non plus. Mon avis est que Zátopek était un homme joyeux et ouvert, original, mais il a fait des choses que l’on condamnerait immédiatement aujourd’hui. C’est pourquoi il ne faut pas oublier de les remettre dans leur contexte historique. Il faut essayer de se mettre à sa place. Comment nous aurions-nous réagi dans telle ou telle situation ? Personne ne peut répondre, et c’est pourquoi le film ne porte pas de jugements. Nous montrons Zátopek dans diverses situations, tel que nous supposons qu’il était. Et c’est tout. »
Un Emil Zátopek imparfait que l’on découvrira donc l’année prochaine, peut-être même avant l’été, et ce dès le Festival de Cannes…