Comment le mythe devient réalité

0:00
/
0:00

L’histoire tchèque commence vers la fin du premier millénaire. Avant il y a une période sur laquelle nous ne possédons pas de documents historiques et pourtant cette période noyée dans le brouillard mythique est profondément enracinée dans l’imagination des Tchèques grâce aux vieilles légendes. Le recueil de ces vieux mythes racontés par le romancier Alois Jirásek est un livre très populaire parmi les lecteurs tchèques. L’ouvrage est sorti aussi en traduction française avec de belles illustrations de Jiří Trnka sous le titre « Légendes de l’ancienne Bohême » aux éditions Gründ. C’est à ces vieux récits qui ont pourtant joué un rôle important dans la vie du peuple tchèque qu’est consacrée l’exposition « Légendes de l’ancienne Bohême » que le public peut voir actuellement au Musée national de Prague.

"Légendes de l'ancienne Bohême" d'Alois Jirásek et de Jiří Trnka
En Tchéquie chaque enfant sait qui était le patriarche Čech (Tchèque), la princesse Libuše, le prince Přemysl et le héros Horymír et pourtant nous ne disposons pas de preuves sur l’existence de ses personnages mythiques. S’ils font quand même partie de notre imagination et de notre conscience collective, c’est qu’ils nous offrent une vision romantique, poétique et haute en couleurs des origines du peuple tchèque.

C'est à Vyšehrad, un rocher qui se dresse au-dessus de la Vltava que les Tchèques auraient bâti une de leurs premières forteresses après leur arrivée en Bohême. La légende raconte que la tribu tchèque est venue du pays croate et s'est installée, avec son chef, le patriarche Čech (Tchèque), dans la vallée de la Vltava. Le successeur de Čech au trône princier, Krok, a fait construire un château fort sur le rocher de Vyšehrad et, c'est du haut de ce rocher, que lui et ses descendants régnaient sur le pays.

Libuše prophétise la gloire de Prague
La fille de Krok, Libuše, est devenue, elle aussi, pour un temps, souveraine du peuple tchèque. C'était une princesse sage et belle, douée d'un don prophétique. On l'adorait, on la vénérait, mais il était difficile pour une femme de gouverner tout un peuple dans lequel il y avait aussi quelques individus récalcitrants qui refusaient de se plier à son pouvoir. Elle a donc décidé d'épouser Přemysl, un jeune laboureur du village de Stadice, un homme de taille élevé et noble, qui a donné le pouvoir et l'autorité nécessaire au trône princier. C'est avec lui que Libuše a fondé la dynastie des Přemyslides qui allait régner jusqu'au XIIIe siècle et hisser le pays au niveau d'un royaume ... L’image de Libuše, une princesse sage, bienveillante et mystérieuse accompagne les Tchèques depuis plus d’un millénaire. C’est elle qui, selon la légende, a fondé Prague, c’est elle qui a prédit dans un délire prophétique que la gloire de Prague toucherait les étoiles. C’est elle, une femme idéale, une épouse, une mère, une magicienne, qui se penche depuis toujours sur le berceau du peuple tchèque.


Photo: www.nm.cz
Tableaux, statues, livres, illustrations, estampes, costumes et décors de théâtre, pièces de monnaie, médailles, panneaux de publicité et même des caricatures –tout cela a été réuni pour l’exposition « Légendes de l’Ancienne Bohême » au Musée national de Prague. Tous ces objets composent une mosaïque qui illustre la naissance de ces légendes et leur rôle dans l’histoire, dans la vie du peuple et dans les arts tchèques. Le commissaire de l’exposition Petr Mašek rappelle que le visiteur peut voir aussi des objets qui datent du premier millénaire :

« Les objets historiques de l’époque du VIe au Xe siècles sont relativement nombreux. Ce ne sont cependant que des documents de la culture matérielle. Par contre nous manquons quasi absolument de documents écrits sur cette période. Toutes les informations que nous possédons sur cette époque relèvent du domaine des légendes. Ce sont cependant les légendes qui vivent aujourd’hui indépendamment de ce qui a été à leur origine. Au cours des siècles elles sont devenues réalité. »

Photo: www.nm.cz
En écrivant « Légendes de l’ancienne Bohême » Alois Jirásek s’est inspiré de « La Chronique tchèque » œuvre de Václav Hájek de Libočany, prêtre utraquiste converti au catholicisme ayant vécu dans la première moitié du XVIe siècle. Bien que sa chronique ne soit pas considérée par les historiographes modernes comme une source d’informations très sérieuse toujours est-il qu’elle a été, pendant des siècles, le livre le plus populaire sur l’histoire tchèque. D’innombrables artistes se sont inspirés par les récits de ce chroniqueur un peu fantaisiste. Ecrivains, poètes, musiciens, peintres, sculpteurs ont trouvé dans la mythologie tchèque une inspiration pour de véritables chefs d’œuvres et c’est probablement dans la musique que ces inspirations se sont montrées les plus fortes et les plus fructueuses. Bedřich Smetana, Leoš Janáček, Zdeněk Fibich Otakar Ostrčil et autres ont tous subi le charme des vielles légendes tchèques et les ont magnifiées par leur musique.


Les auteurs de l’exposition du Musée national présentent les légendes tchèques avec fantaisie et humour. Ils cherchent à attirer notamment le jeune public par les méthodes interactives et le jeu. Ils ne cachent pas aux visiteurs que ces légendes ont été parfois interprétées et modifiées pour qu’elles répondent à des intérêts particuliers et à de diverses tendances politiques. Ils montrent aussi que les patriotes tchèques ont parfois cherché avec trop de zèle les preuves sur l’existence réelle de personnages mythiques. D’après le commissaire Petr Mašek, une partie de l’exposition est consacrée justement à ces tendances :

« L’exposition présente aussi certaines erreurs commises dans le passé. Nous avons ici par exemple la cuvette de la princesse Libuše ou le marteau d’arme du patriarche Čech. Ce sont des objets trouvés lors de réelles fouilles archéologiques et les historiens des générations précédentes estimaient que ces objets auraient pu réellement provenir de la période des anciennes légendes tchèques. Plus tard, il s’est avéré cependant que c’était une erreur. »

Photo: www.nm.cz
Pour le visiteur adulte l’exposition « Légendes de l’ancienne Bohême » pourrait être un sujet de réflexion sur le mythe et la réalité, sur notre approche de l’histoire, sur les rôles positifs et négatifs des mythes dans la vie. Il y trouve de nombreux exemples de la transformation du mythe en réalité et vice versa. Il se rend compte combien il est parfois difficile de discerner le mythe de la réalité et que les vieilles légendes mais aussi les mythes et les croyances modernes font partie de toute notre existence. Petr Mašek souligne que les vielles légendes ont joué un rôle important surtout dans les périodes les plus difficiles du peuple tchèque :

« Par exemple les fortifications qui ont été édifiées dans l’entre-deux-guerres, sous la Première république tchécoslovaque, à l’image de la ligne Maginot, dans les régions frontalière du pays portaient les noms des héros mythiques tchèques comme Krok, Horymír etc. De même les Légions tchécoslovaques ayant combattu dans la Première Guerre mondiale et qui ont traversé la Sibérie ont donné le nom de Bivoj à un des véhicules blindés. Et finalement, et c’est le comble, le poste émetteur secret à cause duquel les nazis allemands ont rasé le village de Ležáky portait le nom de la princesse mythique Libuše. »

L’exposition « Légendes de l’ancienne Bohême » au Musée national de Prague sera ouverte jusqu’au 7 juillet 2011.