Dan Jedlička : « En Tchéquie il y a un public pour la poésie »
Avons-nous besoin de la poésie ? Les lecteurs de la poésie existent-ils encore ? La poésie est-elle encore nécessaire à l’âge technique que nous vivons ? Parmi ceux qui sont convaincus que la poésie joue et doit jouer un rôle considérable dans notre vie, il y a l’éditeur, poète et traducteur Dan Jedlička. Fondateur de la petite maison d’éditions Perplex qui publie de nouveaux recueils d’auteurs tchèques, il démontre par ses activités que les gens ont soif de poésie mais souvent ne s’en rendent pas compte. Les conditions dans lesquelles travaillent les petites maisons d’éditions sont très difficiles mais il y a toujours beaucoup d’éditeurs qui ne se laissent pas décourager. Dan Jedlička, qui est l’un deux, continue à rappeler aux gens que la poésie donne une dimension précieuse à la vie et que parmi les Tchèques, il y a toujours des poètes dont les vers méritent l’attention du public.
Cela créée donc un certain vide. Souvent les livres de petits éditeurs sont distribués seulement dans des e-shops, ne sont disponibles que dans des stocks virtuels et sont introuvables dans les librairies. Les conditions dans lesquelles travaillent les petits éditeurs sont donc dures mais ils sont obligés de les accepter s’ils ne veulent pas se charger eux-mêmes de la distribution de leurs livres. Dan Jedlička estime que les livres en République tchèque pourraient être distribués d’une meilleure façon et que l’Etat devrait jouer un rôle plus important :
« Je sais qu’il y a dans le monde des pays où la distribution de livres est soutenue par l’Etat qui, au lieu d’accorder des subventions à des sujets choisis, soutient le processus de la distribution qui devient finalement moins chère pour le libraire. Je pense que ce serait très intéressant pour les petits éditeurs tchèques. J’arrive à imaginer un système dans lequel on n’accorderait pas de subventions, ou on ne les accorderait que dans une mesure limitée, et une partie des moyens financiers ainsi épargnés serait accordés à la distribution. L’éditeur pourrait jouir donc de meilleures conditions, il payerait un pourcentage moins élevé de la marge. Cela pourrait également réduire le prix final des livres. »
Quoi qu’il en soit les petits éditeurs tchèques existent toujours malgré ces difficultés et sont relativement nombreux. Tous les ans, ils organisent sur le quai de la Vltava à Prague la foire Knihex qui présente la production de plusieurs dizaines de petites maisons d’éditions. Dans le cadre de la foire les visiteurs peuvent assister à des séances de présentation de livres et aux activités des ateliers de reliure et d’impression. La production de nombreuses de ces petites maisons, comme Apostrof, Baobab, Dauphin, Divus, Host, Labyrint, est connue déjà du grand public et respectée dans les milieux d’édition. L’éditeur Dan Jedlička lui-même constate que sa situation est relativement solide :« Notre maison va assez bien pour le moment. Nous venons de publier notre 22e livre. C’est plus que nous pouvions le penser au début. Nous vendons entre 75 % et 80 % de nos tirages ce qui est satisfaisant mais c’est parce que nous combinons plusieurs méthodes de vente. Nos livres parviennent à nos lecteurs grâce aussi à des lectures publiques que nous organisons annuellement des dizaines de fois. Je comprends cependant qu’il y a des éditeurs qui ne disposent pas d’une telle possibilité ou qui manquent de temps pour utiliser ce moyen. »
La maison d’édition Perplex a été fondée pour les auteurs débutants mais aujourd’hui elle abandonne peu à peu de ce projet initial et s’ouvre aussi aux poètes déjà connus. Dans le catalogue d’édition de 2013 figurent le troisième recueil de la poétesse Irena Štastná ainsi que le livre de poésies de Daniel Hradecký, également le troisième livre de cet auteur déjà connu dans les milieux littéraires. Le seul premier livre figurant dans le catalogue 2013 est le recueil du poète en herbe Tomáš Čada.L’éditeur Dan Jedlička est au courant des possibilités que donne au lecteur notre époque. Il n’ignore pas l’existence des livres électroniques, des smartphones et des liseuses mais il est assez sceptique quand à l’utilisation de ces supports pour la diffusion de la poésie :
« Nous sommes une petite maison d’édition régionale et je crois toujours qu’une des raisons qui nous a attiré l’attention des lecteurs a été le fait que nos livres sont différents des autres. Nous ne négligeons pas leur présentation graphique et la qualité de leur reliure. Nous n’envisageons pas pour le moment de passer aux moyens électroniques. Je n’ai pas beaucoup de confiance en ces supports et l’image de l’homme qui lit de la poésie sur un livre numérique ou un smartphone ne m’attire pas. Je ne pense pas que ce soient de vrais lecteurs de la poésie. Les vrais lecteurs de la poésie achètent leurs livres physiquement. »Mais si Dan Jedlička ne pense pas que les supports électroniques soient de bons moyens pour la diffusion de la poésie, il est d’autant plus favorable aux contacts entre l’auteur et son lecteur et aux lectures publiques :
« J’ai beaucoup de confiance en ce genre de présentations de la poésie. Lorsque le lecteur, ou dans ce cas précis l’auditeur, entre en contact direct non seulement avec la poésie mais aussi avec l’auteur en personne, il se produit comme une réaction chimique très spéciale qui est toujours différente. Cela favorise évidemment les ventes parce que l’homme qui a entendu les vers désire avoir le livre comme un rappel d’une sensation unique qu’il a vécue lors de la lecture en commun avec l’auteur. Je pense que cette présentation vivante donne à la poésie une nouvelle dimension, une nouvelle vie. En Tchéquie, il y a un public pour la poésie, les Tchèques aiment écouter les auteurs lisant leurs vers. La poésie en Tchéquie n’est pas en crise comme on pourrait penser. »