De Bandar Abbas à Prague via Paris (et pas seulement en taxi)
Deuxième partie de l’entretien réalisé avec le journaliste Armand Mostofi. Aujourd’hui directeur de la rédaction en persan de Radio Free Europe à Prague, Armand Mostofi est d’abord passé par l’Italie et la France après avoir quitté son Iran natal, après la révolution islamique de 1979.
« Du Nord, au bord de la Mer Caspienne, Shasavar était une petite ville à l’époque et maintenant c’est une ville moyenne. »
Est-ce de là dont vous êtes parti ?
« Non, je travaillais à la radio-télévision iranienne et quand la révolution a éclaté j’étais à Bandar Abbas, dans l’extrême sud du pays, une ville sur le détroit d’Hormuz. Je travaillais là-bas et y suis resté encore un peu plus de six mois après la révolution. »
Comment a-t-on vécu la révolution à la radio-télévision publique à Bandar Abbas ?
« Bandar Abbas était peut-être un peu à part car moins agité que dans les autres provinces. La plupart des employés était en grève trois ou quatre mois avant la révolution. Certains étaient contraints de faire grève sous menace d’être poignardé… »
Vous-même vous faisiez la grève ?
« Non, j’étais directeur ! Je ne pouvais pas et je ne voulais pas être gréviste. Et j’étais contre-révolutionnaire dès le départ. »
Etait-ce compliqué dès le départ d’être contre-révolutionnaire ? Cela a-t-il empiré rapidement ?
« Oui, il y avait tout le temps une campagne d’intimidation des contre-révolutionnaires. Les révolutionnaires étaient partout très agressifs, dans les rues, les entreprises. Ils n’hésitaient pas à utiliser la force pour fermer des usines, des commerces. J’en ai été témoin à plusieurs reprises. »
Pouvait-on encore en parler à la radio-télévision publique de ces choses-là quelques semaines après la prise du pouvoir par Khomeini ?
« Sûrement pas ! Même maintenant en Iran personne n’en parle ! La ligne officielle de la propagande est que la nation toute entière croyait en Khomeini et suivait la voie illuminée par le charisme du guide suprême de la révolution. C’est quelque chose de connu dans toutes les dictatures, de la Corée du Nord à la Chine de Mao en passant par la Russie de Lénine et Staline, c’est une histoire bien répétée partout… »
A quel moment votre liberté – ou votre vie – a-t-elle été mise en danger ?« Liberté… Est-ce qu’on avait la liberté en Iran même avant la révolution ? Le degré des limites était un peu différent. Pendant les manifestations avant la révolution, la vie n’était déjà pas facile. Après la révolution, beaucoup de mes connaissances et amis ont été arrêtés ; trois d’entre eux ont été exécutés. Moi, je n’ai pas été arrêté, mais dans ces conditions on ne peut se sentir en sécurité. Le jour où j’ai décidé de sortir de l’Iran, c’est un peu plus d’un an après la révolution quand j’ai été appelé à comparaître devant la ‘Commission d’épuration’. Ils m’ont accusé – à juste titre – d’être contre-révolutionnaire et m’ont dit qu’ils allaient envoyer mon dossier au tribunal contre-révolutionnaire. »
Est-ce qu’on posait des questions sur la pratique de la religion également ?
« A l’époque, franchement, la religion n’était pas autant au centre des interrogations. Maintenant c’est pire. A l’époque ils m’accusaient d’être contre l’imam Khomeini et contre la révolution, pas contre l’Islam. Pendant les deux ou trois heures de mon interrogatoire, aucune question n’a été posée sur la pratique religieuse. »
Après cet interrogatoire, vous étiez persuadé qu’il fallait quitter le pays ?
« Pas après l’interrogatoire, mais quand la personne m’a dit que mon dossier serait envoyé au tribunal révolutionnaire. Ça c’était un signe du danger qui me guettait, parce qu’à l’époque au tribunal révolutionnaire il y avait de forts risques d’être exécuté. »
Donc vous cherchez le premier avion ?
« Je n’étais même pas sûr qu’ils me laissent sortir libre. Mais bizarrement ils ne m’ont pas arrêté sur place. Je suis rentré à la maison et ma femme m’a dit de quitter le pays sans attendre. J’ai quitté l’Iran trois jours plus tard avec le premier avion que je pouvais prendre. »
Pour quelle destination ?
« Je suis allé dans une agence de voyage et j’ai dit :
- ’Où est-ce que je peux aller ?’
- ‘Où voulez-vous aller ?’
- ‘Je prends le premier avion que je peux prendre !’
- ‘Mardi matin 7h’
- ‘Où est-ce qu’il va ?’
- ‘A Rome’
- ‘Alors je veux aller à Rome !’
L'important pour moi était d'être hors de portée des gardiens de la révolution. »
Vous faisiez-vous du souci pour votre famille restée sur place ?
« Pas trop. Il faut être juste avec les révolutionnaires : à l’époque ils harcelaient les familles mais ne les arrêtaient pas ou ne punissaient pas les membres des familles. D’après les gens que je connaissais je savais qu’ils harcelaient psychologiquement la famille mais pas physiquement. »
Après un bref séjour à Rome vous allez à Paris…
« Oui, trois mois après mon arrivée ma famille m’a rejoint en Italie, qui n’acceptait pas les Iraniens comme réfugiés politiques – bizarre. Pour vivre il fallait travailler. Où ? Aller aux Etats-Unis était difficile, je ne voulais pas aller en Grande-Bretagne. Restaient la France et l’Allemagne. Je parlais un peu allemand et voulais aller en Allemagne, mais ma femme a dit qu’il nous fallait nous installer en France. Quand je lui ai rétorqué qu’aucun de nous ne parlait français elle a dit que c’était une bonne occasion d’apprendre la langue de Victor Hugo. »
Une langue que vous avez notamment apprise au volant de votre taxi…
« Oui j’ai dû immédiatement trouver un travail et conduire un taxi était une des possibilités. Mais les efforts que j’ai faits pour apprendre en moins de trois mois les rues de Paris, les sens uniques, les adresses et itinéraires ont été plus importants que les efforts fournis pendant toutes mes années universitaires, croyez-moi ! »Est-ce qu’obtenir le statut de réfugié politique en France a été simple ?
« Pour moi oui. A l’époque c’était en général moins difficile que maintenant. Pour moi cela a été facile car des personnalités importantes me connaissaient et m’ont recommandé. J’ai obtenu mes papiers de réfugié politique en moins de trois mois. Une douzaine d’années plus tard nous avons opté pour la nationalité française.»
En quelle année êtes-vous retourné au journalisme ?
« En fait je suis toujours resté en contact avec le journalisme et les médias. Même à l’époque où je conduisais mon taxi j’écrivais régulièrement pour des journaux persanophones, publiés hors de l’Iran bien sûr. Donc mon nom circulait dans le milieu des journalistes iraniens. Les radios persanophones m’interviewaient sur différents sujets. Un jour, le directeur du service persan de RFi m’a appelé. Je croyais que c’était encore pour une interview, mais il m’a proposé un poste libre que j’ai accepté et j’y suis resté sept ans environ, de 1999 à 2006, avant de venir à Prague. »