Décès du grand sociologue de la famille Ivo Možný
« La sociologie de la famille est un thème absolument fascinant. D’une certaine façon, c’est un thème crucial et pour la société moderne et pour la science », disait l’éminent sociologue tchèque Ivo Možný, décédé samedi dernier à l’âge de 84 ans. Dans une République tchèque, où, selon des récentes données, la moitié des enfants naissent de mères célibataires et où de plus en plus de jeunes préfèrent une vie en solo à celle en couple, Ivo Možný était un défenseur de l’institution du mariage. Personnalité recherchée par les journalistes, il savait brillamment analyser et populariser, non sans humour, les grands changements dans le comportement familial des Tchèques au XXe et XXIe siècles.
« A présent, la publicité nous communique une seule chose : ‘consomme maintenant et vite, ne remet rien au lendemain ; achète, profite, montre que c’est toi, le plus fort’. C’est le principe de la publicité, car la production ne s’arrête jamais. Mais à partir du moment où vous vivez uniquement au présent, où vous ne pensez pas à l’avenir, cela influence toute votre vie. Si votre partenaire vous enrichit, tout va bien, vous aimez être en sa compagnie, vous l’aimez. Et vice-versa. Mais ce qui manque, c’est la dimension du futur. Lorsque la société perd la notion du temps, les relations humaines changent aussi. Si votre vie de couple est basée sur le moment présent, s’il n’y a pas de projet, il est problématique d’avoir des enfants. »
Co-fondateur, après Révolution de velours en 1989, et premier doyen de la Faculté des sciences sociales de Brno, où il a enseigné jusqu’à sa mort, Ivo Možný était venu à l’étude du phénomène de la famille un peu par hasard, à l’époque où la sociologie était une discipline mal vue par les autorités communistes.
« Après 1968, lorsqu’il m’a été interdit d’enseigner à l’Université, mes collègues psychologues m’ont aidé à trouver du travail dans un cabinet de consultation pour des couples en difficulté. Du coup, j’ai commencé à m’intéresser au phénomène de la famille, alors qu’auparavant, je m’étais occupé de la communauté et de la communication. Dans le domaine de la famille, on pouvait faire des choses intéressantes même en Tchécoslovaquie communiste des années 1970. »Dans les médias, Ivo Možný commentait régulièrement, de façon pertinente et compréhensible pour le grand public, l’évolution de la société tchèque, sans pourtant jamais envisager une carrière politique. Dans un entretien pour le quotidien MF Dnes, il a formulé les trois principaux problèmes que les Tchèques affrontent depuis la chute du régime communiste : « Nous n’avons pas appris à faire de la politique et à prendre en main les affaires publiques, nous faisons peu d’enfants et nous avons toujours l’impression que quelqu’un d’autre doit s’occuper de nous. »
Si vous avez confiance en vous, vous commencerez aussi à croire en l’avenir. Et si vous croyez en l’avenir, forcément, vous voulez avoir des enfants, car il n’y a rien de plus durable dans la vie que les enfants.
« Jamais auparavant, la société tchèque ne s’est portée aussi bien que ces vingt dernières années. Nous vivons en sécurité, nous sommes saturés et… nous avons du mal à nous y faire. Des conditions un peu plus difficiles pourraient nous apprendre que, comme le disent les Britanniques, ‘Family is the best survival kit’, c’est-à-dire que ‘la famille est le meilleur kit de sécurité’. »
Optimiste qu’il était, Ivo Možný refusait de parler plus généralement d’une crise de la famille. Il aimait à répéter que, d’après son expérience, huit Tchèques sur dix étaient prêts à tout faire pour avoir une vie familiale heureuse. On l’écoute :
« Si vous avez confiance en vous, vous commencerez aussi à croire en l’avenir. Et si vous croyez en l’avenir, forcément, vous voulez avoir des enfants, car il n’y a rien de plus durable dans la vie que les enfants. C’est la clef de la vie. Le remède est très ancien. J’ai presque honte de le dire, tellement c’est simple : il ne faut pas avoir peur d’aimer quelqu’un. »