Deux footballeurs français ont fait de leur vie en Tchéquie un rêve

Noël Alexandre Mendy et Jean Arnaud Loseille

"Le fabuleux destin de Jean Arnaud Loseille. C'est vrai que c'est un petit peu fou. Ca arrive rarement des histoires comme celle-là. On va dire que j'ai réalisé mon rêve, mais maintenant, cette année, j'ai fini de rêver. J'ai bien réalisé où j'étais et je ne vais pas faire que rêver. Je vais passer aux choses sérieuses ! " Malgré les excès passionnels de toutes sortes qu'il traîne trop souvent derrière lui comme un boulet, le football, de par son universalité et sa simplicité, reste une formidable boîte à rêves, vecteur privilégié, unique même, d'échanges humains et culturels. A ce titre, l'histoire et le fabuleux destin de Noël Alexandre Mendy et Jean Arnaud Loseille, deux jeunes Français qui ont tenté l'aventure du football professionnel en République tchèque, relèveraient presque du conte de fées.

Si Gérard de Nerval a, un jour, écrit que « le rêve est une seconde vie », Noël Alexandre Mendy et Jean Arnaud Loseille ont, eux, préféré interpréter cette maxime à leur manière. En quittant, l'été dernier, la grisaille de leur banlieue parisienne pour la paisible petite ville de Pribram, en Bohême de l'ouest, et son équipe de première division, le Marila, les deux hommes s'embarquaient, certes, pour un grand voyage dans l'inconnu. Mais dix mois plus tard, récompensés de leur audacieux pari, ils ont fait, à leur manière, de leur deuxième vie un rêve en devenant footballeurs professionnels. Avant qu'ils ne rentrent en France pour se ressourcer le temps de quelques semaines de vacances, nous sommes donc allés à la rencontre de Noël Alexandre Mendy et Jean Arnaud Loseille. Après un dernier match amical pour clore la saison, ils nous ont tracé la courbe d'une trajectoire qui ne suit décidément pas les sentiers battus. Noël Alexandre Mendy nous raconte comment s'est passée leur arrivée en Tchéquie :

« Avec Jean Arnaud, nous ne nous connaissions pas du tout. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois le jour de l'essai. En fait, moi, j'avais fait un essai à Strasbourg au cours duquel j'ai participé à un match avec la CFA (Championnat de France Amateur) avant de m'entraîner une semaine avec l'équipe professionelle. A l'époque, Ivan Hasek, qui est Tchèque, était l'entraîneur. C'est lui qui m'a dit qu'il y avait des possibilités pour jouer en première division en République tchèque. J'ai rencontré Jean Arnaud et nous sommes partis. Nous avons été une semaine à l'essai. Ensuite, nous sommes rentrés en France, puis ils nous ont rappelés. Nous avons alors fait la préparation d'avant-saison avec eux en Suisse, et puis voilà... Après, la saison a débuté et nous sommes restés. »

Après avoir convaincu les entraîneurs et dirigeants du Marila Pribram, une autre mission, tout aussi ardue, attendait les deux "Francouzi" : s'adapter à un nouvel environnement et à un groupe de joueurs dans lequel, en début de saison, la concurrence bat son plein. Jean Arnaud Loseille :

« Nous étions un peu plongés dans l'inconnu. Je sais qu'avant nous, il y avait un autre étranger, aussi « de couleur ». Au début, ce n'était pas facile, parce que c'est un ex-pays communiste et il n'y a pas beaucoup de monde qui parle anglais. Mais nous avons trouvé deux-trois joueurs qui nous ont bien accueillis et un peu aiguillés. Au début, ils nous montraient où il fallait manger, où nous allions dormir, ils venaient nous chercher pour aller à l'entraînement, nous ramener, etc. C'était sympa. Après, avec les autres joueurs, ça s'est fait un peu plus doucement, ils ont dû apprendre à nous connaître. C'est vrai que les liens se créent avec le terrain : on se voit tous les jours, on part en stage ensemble, on apprend à vivre en groupe et ils se sont habitués à nous. »

-Justement, comment s'est passée cette saison sur le terrain ?

« Personnellement, je suis plutôt satisfait. Je suis arrivé avec un passé qui était plutôt positif, puisque, plus jeune, en formation, j'avais passé trois années à Clairefontaine et une autre à Lyon. Mais bon, après, je me suis retrouvé en DHR (Division Honneur Régionale)... Du coup, je me suis dit qu'il ne fallait pas que je brûle les étapes, parce que passer de la DHR à la première division tchèque, c'est quand même un tout autre niveau. Même si certaines mauvaises langues vont dire que la République tchèque, ce n'est pas le niveau de l'Espagne, de l'Italie ou de la France, c'est quand même un niveau professionnel, donc je n'ai pas été trop exigeant avec moi-même. Au final, je me retrouve avec dix-sept matchs. J'ai un peu plus joué en première partie de saison. Durant la seconde, c'était un petit peu plus dur, parce que j'avais des problèmes avec mon genou. Du coup, j'ai dû un peu « zapper » la préparation. Mais dans l'ensemble, pour cette année, je n'ai que des bons souvenirs. »

Si Noël Alexandre et Jean Arnaud se sont donc plutôt bien intégrés, les 35 000 habitants de Pribram devaient également s'habituer à des nouveaux venus tous deux noirs de peau. Un cap à franchir pas toujours évident dans un pays aux frontières longtemps fermées et pour un peuple par nature un peu renfermé sur lui-même. Cette triste réalité, Noël Alexandre a surtout été amené à la rencontrer sur certains stades :

« On va dire que le problème s'est plus posé lorsque je jouais en déplacement avec l'équipe B. En première division, les clubs ont souvent leur joueur étranger ou « de couleur », donc le public s'y fait. Sinon, c'est vraiment avec l'équipe B que ça posait souvent problème, il y avait des insultes racistes. Mais bon... »

En revanche, à Pribram même, à entendre Jean Arnaud, le quotidien ne ressemble en rien à un quelconque purgatoire, bien au contraire :

« Le quotidien? Eh bien, ce sont les enfants qui viennent vous demander des autographes, le fait qu'on vous reconnaisse dans la rue, les matchs qui sont parfois retransmis à la télévision... Nous avons une certaine notoriété. Nous sommes les deux seuls Français de Pribram, tout le monde nous connaît. Quand je rentre à Paris, je prends le métro, je marche dans la rue, je vais faire mes courses, personne ne me reconnaît, je passe inaperçu. Ici, si je vais faire des course tout à l'heure, il y a peut-être un petit garçon qui va me demander des photos (il rigole à cette idée avant de poursuivre très enthousiaste). Ca fait plaisir, c'est vraiment un monde différent. Je savais que c'était assez spécial, mais, maintenant, en ayant approché tout ça de plus près, je n'ai pas à me plaindre. »

-Comment passez-vous votre temps-libre en dehors du terrain ?

« J'essaie de progresser en tchèque. Au début, avec mon collègue, nous avons essayé de regarder la télévision, d'écouter à droite, à gauche. Nous nous sommes dit que ça allait être dur. Mais depuis, nous avons quand même bien progressé. Nous ne comprenions rien des discours d'avant-match, de ce que disaient les joueurs. Peut-être parlaient-ils sur notre dos ?... Bref, nous ne savions rien. Aujourd'hui, nous commençons à « choper » deux-trois mots. Au début de la saison, il y avait une dame qui nous donnait des cours de tchèque, ça nous a énormément aidés. Donc, il y a les cours de tchèque, je regarde la télévision, j'aime bien aussi surfer sur Internet et écouter de la musique. Bref, je m'occupe. »

-Vous devez passer l'essentiel de votre temps entre vous, Français, non ?

« Oui, nous nous serrons les coudes, nous sortons ensemble. Mais nous nous efforçons aussi de garder des contacts avec d'autres joueurs de l'équipe pour ne pas que nous donnions l'impression de former un clan. Si nous restons tout le temps ensemble, ils vont vite le remarquer. Surtout qu'il y en a pas mal parmi eux qui ne parlent pas anglais. C'est donc plutôt à nous de faire le premier pas et de faire des efforts. Par exemple, là récemment, la saison terminée, il y avait des nouveaux joueurs un peu renfermés sur eux-mêmes, ne sachant pas trop comment réagir par rapport à nous, puisqu'ils ne parlaient pas notre langue. Mais ils ont vu que nous n'étions pas timides, nous avons fait un pas vers eux et ils en ont fait deux. Ça fait plaisir. »

Retrouvez Noël Alexandre Mendy et Jean Arnaud Loseille pour la suite de leur portrait lundi prochain, de nouveau dans la rubrique sportive.