Développement durable et responsabilité sociale des entreprises en Europe Centrale (2e partie)
Nous retrouvons Petia Koleva, enseignant-chercheur à l’université de Nantes. Sa participation au colloque intitulé : « L’Europe centrale dans la dynamique européenne », organisé récemment par le Cefres, le centre français de recherche en sciences sociales de Prague, a été l’occasion pour nous de revenir sur la perception et l’application des notions de développement durable et de responsabilité sociale des entreprises en République tchèque et en Europe centrale. Après avoir défini les notions et leur application en Europe centrale, la semaine dernière, nous revenons aujourd’hui sur la responsabilité sociale – qu’en est-il aujourd’hui dans la région ? Il sera question de paternalisme, de firmes multinationales, de modèles continental et anglo-saxon…
-Pour résumer, aujourd’hui, où en est-on en matière de responsabilité sociale des entreprises, est-ce qu’il y a des grandes différences entre les pays post-communistes et les pays qui n’ont pas vécu le communisme ?
« Il me semble que la différence est surtout dans les termes qu’on utilise pour désigner telle ou telle stratégie ou politique d’entreprise. Ce qui est désigné comme responsabilité sociale des entreprises, dans des pays comme la France ou la Grande-Bretagne, porte des noms différents dans les pays de l’Est. Par contre, là où il y a vraiment une différence, c’est dans le degré d’intégration de ces préoccupations. Dans les pays de l’Est, où nous avons observé une profusion de petites et moyennes entreprises au cours de la transition, la RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), même si elle est connue, n’est clairement pas une priorité. Ces entreprises préfèrent invertir leurs bénéfices dans l’agrandissement de leurs équipements, en premier lieu, de façon à assurer la pérennité économique de leur activité, et c’est seulement dans un deuxième temps qu’elles envisagent l’intégration de mesures sociales et environnementales. »
« Mais j’aimerais quand même nuancer, en disant qu’en fonction de la trajectoire personnelle du créateur de l’entreprise, nous pouvons observer des pratiques de responsabilité sociale qui sont assez proches de ce qu’on appelait, il y a un siècle, le paternalisme. Le patron de l’entreprise est comme une espèce de parent, ou de père, pour ses employés, et c’est lui qui met en place des politiques favorables au niveau social, aussi bien pour ses employés que pour leurs familles, sans pour autant qu’il appelle ceci RSE. Il appelle ceci philosophie d’entreprise ou éthique entreprenariale, et, en tant que tel, le concept de RSE n’apporte rien de nouveau dans les relations industrielles des pays de l’Est. »« Là où les firmes multinationales jouent un rôle assez important dans les pays de l’Est, c’est dans la formalisation de la RSE. L’exemple que j’ai cité des PME et du paternalisme est une forme tacite de responsabilité sociale, elle n’est pas matérialisée par des codes, par des chartes. En revanche, les firmes multinationales ont pris les devants en ce qui concerne la formalisation du concept de RSE. Le reporting d’entreprise, l’adoption de différentes certifications, est justement une politique privilégiée de ces entreprises, dans la mesure où elle est un élément de leur communication et de leur légitimation au sein de la société. »
« Il semblerait que les pays d’Europe centrale et orientale ne sont pas uniformément perméables aux influences du modèle anglo-saxon ou bien du modèle continental de la responsabilité sociale, dans la mesure où ces deux modèles interagissent aussi avec un certain héritage qui existe dans ces pays, et avec des rapports sociétaux qui se sont formés sur les territoires. Les enquêtes récentes, menées auprès de plusieurs centaines de firmes centre européennes, confirment ces différences entre pays. Par exemple, les firmes hongroises semblent plus favorables à un modèle décentralisé de la RSE, dans lequel les relations avec les autorités locales et les pressions des consommateurs inciteraient les entreprises à agir de façon responsable. Les firmes polonaises accordent au contraire une priorité à l’action au niveau national : par exemple, réforme de la réglementation, dialogue avec le gouvernement, ou mesures bancaires, toujours à l’échelle nationale. Pour ce qui est des entreprises slovaques, elles semblent hésiter entre ces deux modèles. Enfin, le cas de la République tchèque est assez spécifique, puisque l’influence en matière de RSE se partage entre les normes inspirées de la RSE anglo-saxonne, avec un fort poids accordé aux décisions des entreprises, et un certain héritage du paternalisme – on pense également à l’exemple de l’entreprise Bata –, mais qui va aussi dans le sens de la volonté autonome des entreprises d’agir de façon socialement responsable. »
« L’avenir montrera dans quelle mesure ces différences entre pays se développeront, ou bien au contraire, si une convergence peut être observée. Tout dépendra, à mon avis, du poids qu’auront les firmes multinationales de tel ou tel pays – soit Europe continentale, soit pays anglo-saxons – dans la structuration des relations industrielles et des rapports sociaux en Europe de l’Est. »