Didier Daeninckx, à Prague en février 1989: « Nous voulions porter une pétition au Château demandant la libération de Havel »

Didier Daeninckx

Dans le cadre du festival français Bonjour Brno qui se déroule dans la capitale morave jusqu’au 27 avril, l’écrivain français Didier Daeninckx était de passage en République tchèque. Grande figure du roman policier français, écrivain d’engagement, il a publié en 1994 un roman intitulé Un château en Bohême. Ce livre met en scène un journaliste, François Nováček, qui découvre le pays de son père après la révolution de velours lors d’une enquête. C’est lors d’un voyage surréaliste en Tchécoslovaquie, en février 1989, que Didier Daeninckx est allé puiser la matière de son polar :

Didier Daeninckx
« J’avais été invité pour une rencontre d’écrivains autour du roman policier. Il y avait des écrivains, la moitié issue du bloc de l’Est, l’autre moitié des pays occidentaux. Quelques temps avant d’aller à Prague, on a appris l’arrestation et l’incarcération de Václav Havel. On a été quelques uns, dans un premier temps, à vouloir annuler notre venue, avant qu’on se dise que c’était peut-être plus efficace de venir et de protester sur place, de manifester pour sa libération. On est arrivés à la mi-février 1989. Dès le premier jour, il y avait une réception. Une de nos très bonnes amies, une écrivaine italienne, Laura Grimaldi. Publiquement, devant tous les gens rassemblés pour ce colloque, dans les locaux de l’Union des écrivains, en face du Théâtre national, elle a rendu hommage à Václav Havel. A notre grande surprise, sur les 250 personnes triées sur le volet, il y en a 200 qui se sont levées et qui ont applaudi pendant dix minutes. C’était très fort... »

Les écrivains ont applaudi ?

« Non, c’était vraiment le public, convoqué par le ministère de la Culture. Chez les écrivains, il y avait beaucoup de personnes qui nous critiquaient. Des écrivains de l’Est, bien sûr, mais on ne peut pas leur en vouloir, mais aussi des écrivains de l’Ouest qui nous disaient : on ne se comporte pas comme cela quand on est invité. »

Comment ont réagi les autorités tchécoslovaques ?

« Ça a été un coup de tonnerre ! Ils avaient envie que ce colloque soit une sorte de soutien, dans le style : ‘regardez, il y a des écrivains de l’Ouest qui viennent, c’est qu’on n’est pas aussi méchant qu’on le dit !’ D’un coup, cette opération politique explosait totalement. Ils ont tout annulé. Ils nous ont emmenés dans un château qui appartenait à l’Union des écrivains, au Sud de Prague, à Dobříš. Là, une sorte de comédie de congrès sans objet s’est jouée. On était deux, trois écrivains à interrompre les travaux toutes les deux minutes, en disant qu’il était hors de question de parler de littérature, que la seule chose à faire était de rédiger une motion demandant la libération immédiate du plus grand écrivain vivant du pays qui nous accueillait. On voulait aller porter cette pétition, en délégation au Château. Pendant deux, trois jours, l’atmosphère a été d’une tension extrême. »

Ils ont voulu vous expulser du pays ?

Château de Dobříš
« La tension était à son paroxysme. Moi, je suis intervenu au bout de cinq jours une dernière fois, en disant ce que je pensais de l’attitude des gens qui étaient là. Avec un ami, Jean-François, on a commencé à visiter tout le château de Dobříš parce qu’une bonne partie du bâtiment nous était interdite. On a ouvert toutes les portes, et finalement on est tombés sur une salle où il y avait tout le système d’écoute du château. Là, on a vu trois personnes dans cette petite pièce. »

Cela signifie évidemment que vos chambres et tout le château étaient sur écoute...

« Oui, c’était tout le système d’écoute. Mais heureusement que j’étais avec mon ami, qu’on était deux, sinon j’ai l’impression que je n’arriverais pas à croire, aujourd’hui, que ça m’est vraiment arrivé. »

La suite des aventures de Didier Daeninckx en Tchécoslovaquie, dimanche dans Culture sans frontières. Où l’on apprendra comment les autorités tchécoslovaques ont essayé de le corrompre pour le museler, et comment bien plus tard, il a croisé Václav Havel par hasard dans la rue...