Didier Montagné, de l’atelier culturel Kairos : « Il y a des problèmes généraux des politiques culturelles en République tchèque »

Photo: Kairos

Cette fin de semaine est organisé à Prague un cycle de séminaires de philosophie sur le cinéma. Pour ce « Cinémonde : l’univers du cinéma », des philosophes de plusieurs pays européens sont accueillis dans des appartements privés – dans la tradition des séminaires de philo qui se sont tenus dans la capitale tchèque sous le communisme – pour discuter du rapport entre philosophie et cinéma. A l’Institut français de Prague seront projetés ce vendredi et ce samedi des œuvres cinématographiques choisies et commentées par les philosophes invités. Cet évènement est organisé par la société Kairos, atelier culturel – une société qui organise des manifestations culturelles en République tchèque. Son directeur, Didier Montagné, répond aux questions de Radio Prague.

Didier Montagné
Dans cette rubrique économique, nous allons parler des relations entre la culture et le monde de l’économie. Didier Montagné, vous êtes le directeur de la société Kairos, que vous avez créée l’année dernière. Vous avez aussi été directeur de l’Institut français de Prague il y a quelques années. Je vous laisse nous présenter votre parcours ainsi que votre société, Kairos.

« Je suis, si tant est qu’on peut l’être, un professionnel de la culture, de l’évènement culturel. Il est vrai que les liens entre culture et économie n’apparaissent pas immédiatement, surtout aux tenants du monde économique traditionnel. Alors que chacun sait, surtout dans les sociétés élaborées, où il y des classes moyennes, que l’économie de la culture est une partie très importante de la vie économique tout court. Elle est une activité économique comme une autre, qui demande des investissements, qui offre des emplois. Elle est aussi facteur de développement économique sous un angle plus subtil, un peu plus impondérable, car elle est facteur d’image, d’une plus-value symbolique qui elle-même est facteur de développement économique.

Photo: Kairos
Sinon, on ne comprendrait pas pourquoi des villes investissent dans des festivals, pourquoi des Etats soutiennent des institutions culturelles. Bien sûr, il y a toute la partie conservatoire, toute la partie maintien de tradition et de patrimoine, mais il y a aussi cette propension à aider l’émergence de nouveaux secteurs économiques en lien avec les forces créatrices d’un pays. »

La société Kairos a pour objectif de monter des évènements culturels. Quels sont ses objectifs et ses modes de travail ?

« La première idée, c’est qu’il y a en République tchèque et dans les pays environnants, un besoin d’accueillir des formes contemporaines venues d’ailleurs, de les échanger, y compris que les esthétiques tchèques ou d’Europe centrale puissent aussi aller à l’étranger. Donc il y a d’abord un positionnement d’échanges, en vue d’accroître les échanges.

La deuxième idée est que Kairos voudrait se situer dans une optique de production d’évènements ou de spectacles, donc évènements au sens très large, parce que je pense que là encore, il y a une nécessité en termes de production, donc de création de nouvelles formes, ou bien de propulser des formes qui restent un peu traditionnelles ici. Il y a donc un besoin d’innovation et je me situe un peu là-dessus. Je me situe plus sur la création que sur la diffusion de spectacles parce que je pense c’est le plus aisé, le plus facile et qu’il y a des gens très bien équipés pour faire ça, mieux qu’une petite société à statut associatif – même si je serai peut-être amené à le faire pour des raisons économiques.

Photo: Kairos
Troisième point que je veux développer, c’est le travail sur mesure. Je suis parfois assez frappé de voir combien, par exemple des entreprises, quand elles ont des évènements pour leur client, quand elles lancent un produit etc., restent un peu conventionnelles, traditionnelles, paresseuses. Elles regardent autour d’elles et choisissent un spectacle assez terne, pensant récompenser les clients par un peu de démagogie, assez plat en soi. Et donc je m’étais dit, et je sais, qu’il y a des besoins dans ce domaine, avec un peu d’ambition, un peu d’innovation. Mais c’est aussi pouvoir se situer sur le cœur de métier de l’entreprise et raisonner en termes d’évènements qui nourrit le cœur de métier de l’entreprise. Par exemple, je suis en train de préparer un colloque et une exposition sur l’architecture durable pour deux entreprises de Prague qui sont des investisseurs immobiliers et qui aimeraient bien faire valoir leur excellence et leur volonté stratégique de s’impliquer dans le domaine de l’architecture durable. Là, l’évènement culture vient pour prouver, démultiplier auprès du public leur savoir-faire, à titre d’image, et en même temps pour leur permettre de donner à tous leurs clients des clés de compréhension de l’orientation stratégique. »

Avec ce type de démarche, ne se retrouve-t-on pas à la limite du marketing ?

Photo: Kairos
« Peut-être, mais je dirais que le positionnement de la culture est ambigu, il est paradoxal. Je ne veux pas non plus galvauder mais je dirais qu’aujourd’hui, il y a des secteurs où nous sommes vraiment à la frange de plusieurs domaines, comme dans la création artistique d’ailleurs. Alors quand je prépare ce colloque et cette exposition, de fait on est dans la vulgarisation, on est dans la diffusion de savoirs, de bonnes pratiques, en l’occurrence, là, architecturales. On est plus dans la relation publique que dans la vente, même si bien sûr, c’est un peu teinté de ça. Mais après tout, c’est plutôt la question des commanditaires. Je ne sais pas si Michel-Ange, quand il répondait à une commande des Médicis, je ne sais pas si c’était du marketing. Ça l’était sans doute, pour les Médicis, mais il dépassait la commande en quelque sorte. Mais je ne me compare en aucun cas à Michel-Ange (rires). »

Créer une société privée qui entend produire des évènements culturels créatifs et innovants, si je vous suis bien, est-ce un moyen de combler un vide que l’Etat tchèque à votre avis ne remplit pas ?

Photo: Kairos
« Il faut garder toutes proportions. Je me situe par force dans des niches. Il est vrai qu’il y a des problèmes généraux des politiques culturelles en République tchèque. Il y a des problèmes de politique privée en faveur de la culture en République tchèque de telle sorte que la création contemporaine, la production de formes d’aujourd’hui, leur circulation en Europe et en République tchèque, sont problématiques. Il y a des enjeux qui sont éminemment importants, c’est la question du patrimoine de demain. Certains se parent derrière le patrimoine du passé, mais il y a le patrimoine de demain qui est de fait aujourd’hui, dans le soutien à la création contemporaine. Pour moi, il y a aussi un problème lié à la création contemporaine. Très simplement, les créateurs sont marginaux, marginalisés. Ils sont condamnés à une sorte d’underground de fait. Les procédures pour leur passer commande, pour les honorer, pour les soutenir, y compris dans leur expansion à l’étranger, sont minimales, pour ne pas dire parfois inexistantes. Il y a donc un vrai problème !

Photo: Kairos
On pourrait prendre plusieurs exemples. Je le prendrais dans un domaine qui est évidemment peut-être plus difficile, qui est le domaine de la musique contemporaine. Il est clair qu’ici il y a une dizaine de compositeurs importants, certains très jeunes, qui sont joués à l’étranger, qui reçoivent des commandes de l’étranger, et qui sont parfaitement inconnus en République tchèque. »