Dior et Moi : parler de mode différemment avec Raf Simons

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Projeté le 6 juin au cinéma de l’Institut français de Prague, le film Dior et Moi (Dior a já) sort sur les écrans tchèques ce jeudi. Le long-métrage retrace les débuts dans la maison parisienne du couturier belge Raf Simons, après sa nomination en mars 2012 au poste de directeur artistique, et les huit semaines intenses de création de sa première collection. Depuis New-York où il réside, son réalisateur Frédéric Tcheng a expliqué sa démarche pour Radio Prague.

Frédéric Tcheng,  photo: Artcam
« Je suis tombé dans le monde de la mode un peu par hasard. J’ai toujours été passionné de cinéma et la mode n’a jamais été vraiment quelque chose que je regardais plus que cela. Mais à la sortie de l’école de cinéma, j’ai commencé à travailler sur un film sur le grand couturier italien Valentino. J’ai commencé tout en bas de l’échelle. J’ai commencé comme assistant de production et puis au fur et à mesure, je me suis impliqué dans le montage, dans la production, j’ai même tourné derrière la caméra. C’est un peu comme cela que cela a commencé, le film a eu pas mal de succès aux Etats-Unis et il a été beaucoup remarqué, surtout dans le milieu de la mode mais aussi auprès du grand public. Il a été présélectionné aux Oscars. Certaines portes se sont ouvertes avec notamment un documentaire sur l’éditrice de mode Diana Vreeland, que j’ai coréalisé. Ensuite il y a eu la rencontre avec quelqu’un de chez Dior... »

Toujours dans le milieu de la mode donc…

« Je sais pas, je suis peut-être un peu feignant ! Il y a des choses qui se présentent à moi et parfois les occasions sont trop belles pour pouvoir les refuser. J’ai quand même fait attention à ne pas m’engager sur n’importe quel projet. A chaque fois il faut que j’ai un petit peu un coup de foudre pour le sujet. C’est ce qui s’est passé pour Diana Vreeland et également avec Rafs Simmons. »

Vous pouvez nous en dire plus sur ce coup de foudre avec Raf Simons ?

« Je crois que c’était vraiment un coup de foudre. Le choix de sujet est toujours de l’ordre amoureux, c’est très passionnel. J’étais en contact avec quelqu’un chez Dior et je sentais qu’ils étaient intéressés pour documenter l’arrivée d’un nouveau designer. J’ai vu que Raf Simons était l’un des candidats pressentis et j’ai commencé à faire des recherches à son propos. J’avais un manteau Rafs Simmons d’ailleurs, que j’avais acheté il y a longtemps, mais je ne le connaissais pas plus que ça. Je ne connaissais pas la personne et son processus créatif et je me suis rendu compte en lisant des articles que c’est quelqu’un de complètement unique dans le milieu de la mode. Il a une façon de travailler qui est vraiment complètement à lui, il fait confiance à ses collaborateurs, il essaie d’intégrer la collaboration dans son travail, que ce soit avec ses designers ou avec ses mannequins. Il faisait des castings sauvages dans les rues d’Anvers pour trouver ses mannequins et il travaillait ensuite vraiment avec eux. Sa façon de travailler était donc vraiment intéressante. Il y avait aussi le fait qu’il ne se définissait pas comme un styliste de mode. Il se définissait plus par rapport à la musique ou à l’art contemporain. Il est complètement obsédé par l’art contemporain. J’aimais bien ce côté outsider dans la mode parce que c’est quelque chose dans laquelle je me retrouvais un petit peu. J’ai toujours un pied dans la mode et un autre dans le cinéma. J’ai un rapport un peu ambivalent avec la mode. Quelque part j’adore la mode parce que j’y ai trouvé des personnages incroyables pour faire des films. En même temps je suis conscient de tous les stéréotypes que la mode colporte en termes d’image, qui ne correspond pas aux artistes que j’ai rencontrés. Et j’avais là quelqu’un qui était vraiment un artiste et qui justement veut travailler sur une image complètement différente de la mode. J’avais l’impression qu’avec lui on pouvait parler de mode différemment. »

'Dior et Moi',  photo: Artcam
L’un des intérêts du film est de permettre de découvrir le travail concret qui est opéré à tous les niveaux dans les ateliers. Comment avez-vous fait pour vous fondre dans les décors avec votre caméra ?

« Dans les ateliers, ils étaient un peu sceptiques quand nous sommes arrivés. Je pense qu’ils sont un peu habitués aux caméras de télévision qui viennent faire des petits sujets courts pour le journal de 20h00 ou pour la semaine de la mode. Mais les gens ne leur parlent pas en général. Ils sont là pour faire quelques petites images de leurs mains qui travaillent, des images illustratives. Nous avons voulu très vite les connaître. Le premier jour, nous avons fait le tour des tables. Il y a une centaine de personnes qui travaillent dans les ateliers, donc nous sommes allés de table en table pour se présenter, pour dire que faisions un film pour essayer de savoir comment fonctionne la mode. C’était un processus pour apprendre à se connaître, quelque chose d’humain, de parler avec les gens, de savoir d’où ils viennent… C’est comme cela qu’au bout d’une semaine ou deux, ils se sont dits : « ils sont là et ils ont l’air d’avoir envie de rester…». Il y a une sorte de confiance qui s’est instaurée. »

Comment a fonctionné ce processus avec Raf Simmons ? Il a été remarqué qu’il était lui-même assez timide face aux caméras…

'Dior et Moi',  photo: Artcam
« Pour lui, cela a été aussi un processus « d’apprendre à se connaître ». Au début, il a dit non. Cela s’est fait par petites étapes. Après son refus, je lui ai envoyé une lettre pour lui expliquer ce que j’avais l’intention de faire, le film que j’imaginais, qui n’était pas seulement sur lui, mais plutôt sur la rencontre entre son univers et l’univers de Dior à travers les couturières de l’atelier, l’idée d’une rencontre entre la modernité et les traditions. Suite à cette lettre, il m’a invité pour une semaine en période d’essai. Cette semaine a été cruciale, on a vraiment cherché à se connaître. Il est très curieux en fait. J’ai découvert quelqu’un qui n’était pas du tout comme il est souvent décrit dans les médias. Je ne l’ai pas trouvé timide ou réservé mais au contraire très curieux, très ouvert et très chaleureux dès le départ. Il a vraiment cherché à me connaître, en me posant des milliers de questions. C’est comme cela qu’on s’est un peu apprivoisés quelque part. On a évidemment parlé du film. Il avait peur que cela change un peu sa manière de communiquer avec les gens. Il avait peur que les gens le perçoivent d’une manière différente une fois qu’il serait devenu quelque part un personnage public, une célébrité. Le star system, la célébrité, ce n’est pas quelque chose qui l’attire, ce n’est pas quelque chose qu’il comprend. Il trouve cela absurde et donc il m’a dit qu’il ne voulait pas être sur un piédestal. A la suite de tout cela, il m’a demandé de rester pour les huit semaines. »

Dans le film vous avez tenté de dresser un parallèle entre Rafs Simmons et Christian Dior. C’est une idée que vous aviez à l’origine ou qui est apparue sur le tournage ?

'Dior et Moi',  photo: Artcam
« C’est venu sur le tournage. J’ai relu l’autobiographie de Christian Dior. Cela m’avait beaucoup touché la façon dont il parlait de son travail, de manière assez simple, assez humble. Il parle des gens autour de lui, de ses collaborateurs et pas trop de la vie mondaine. Il parle surtout de son travail, ce qui m’avait plu. Il parle évidemment aussi de son rapport à son image public. Je me suis déjà rendu compte de certains parallèles. Cela a duré un peu pendant tout le tournage et à la fin de ce tournage, j’ai cherché assez longtemps un monteur qui me correspondait et qui correspondrait au projet. Je voulais quelqu’un qui vienne un peu de la fiction. Cela m’intéressait d’avoir un regard un peu différent, quelqu’un qui ne vient pas de la mode. J’ai commencé à travailler avec Julio Perez, un monteur super talentueux qui vit à Los Angeles (il est par exemple monteur sur le récent It Follows, ndlr). Quand je lui ai décrit l’histoire et les parallèles entre Raf et Christian Dior, il m’a dit que c’était bien joli mais qu’il fallait aller plus loin. Dramatiquement, la vraie histoire c’est la façon dont Raf vit ces parallèles qu’on lui réfléchit et la façon dont il peut se libérer de l’emprise de Christian Dior ou de son fantôme, la façon dont il peut sortir de l’ombre. Donc c’est devenu quelque chose de l’ordre du film de fantôme, avec quelqu’un qui doit s’émanciper d’un passé avec lequel il a beaucoup d’affinité. On a un peu orienté le film de ce côté-là en gardant en tête le film d’Alfred Hitchcock qui s’appelle Rebecca. C’est un peu la même histoire. C’est la nouvelle femme qui arrive dans une maison et tout le monde lui parle de la première femme. Il y a cette espèce de présence qui hante la maison. »