Eglises et résistances en Tchécoslovaquie

L'église Saint-Cyrille-et-Méthode

Le 20 septembre dernier, l'ouverture des archives du Vatican a fait grand bruit. La période concernée est celle du pontificat de Pie XII, de 1922 à février 1939. La nouvelle laisse donc sur leur faim de nombreux historiens, qui s'intéressent à l'attitude de Pie XII face à la Shoah. L'occasion de vous parler aujourd'hui du rôle des Eglises tchécoslovaques sous l'Occupation et la période communiste.

Reinhard Heydrich,  photo: Bundesarchiv,  Bild 146-1969-054-16 / Hoffmann,  Heinrich / CC-BY-SA / Wikimedia Commons 3.0
Le 18 juin 1942, à Prague, sept parachustistes tchèques appartenant au commando qui a assassiné le redoutable Reinhard Heydrich, chef du Protectorat de Bohême-Moravie, sont délogés de l'église Saint-Cyrille-et-Méthode par les Allemands. De confession orthodoxe, les prêtres avaient caché les résistants. En septembre 1942 s'ouvre le procès des représentants de l'Eglise orthodoxe tchèque. Tous sont exécutés. Parmi eux, l'évêque de Gorazd, fondateur de l'église orthodoxe de Bohême, qui sera canonisé en 1987.

L'Eglise catholique fournira également son lot de héros. Citons ainsi le couvent des Capucines à Zilina, en Slovaquie, où les bonnes soeurs cachent plusieurs enfants juifs, de septembre 1944 jusqu'à la fin de la guerre. Quant à l'archevêque de Prague Monseigneur Beranek, opposant notoire aux nazis, il sera déporté à Dachau. C'est le même Beranek, qui, en juin 1949, sera arrêté par le régime communiste et placé en résidence surveillée jusqu'au début des années soixante !

La persécution de l'Eglise catholique par le nouveau régime commence, si l'on ose dire, par une mauvaise boutade. Avant même que le président Benes ne meurt, le 3 septembre 1948, Gottwald, premier président de la "démocratie populaire" tchécoslovaque, fait donner en son honneur un Te Deum à la cathédrale Saint-Guy. C'est sans doute avec une ironie non dénuée de cynisme que Gottwald utilisait une cérémonie religieuse pour sonner le glas de la démocratie. Quelques mois après, le régime entreprend une attaque en règle contre toutes les communautés religieuses.

L'Eglise catholique est étroitement surveillée. La forte proportion de catholiques en Moravie et la portée universaliste de la religion rendent celle-ci indésirable aux idéologues du régime. Comme d'autres catégories de la population, les membres de l'institution ecclésiale connaissent leur épuration.

Les autorités décident de mettre un terme à toute activité religieuse qu'elles ne contrôleraient pas. Quitte à offrir un semblant de continuité par l'intermédiaire d'hommes liges, soigneusement choisis. Pour les catholiques, ce sera Plojhar, un ex-prêtre, qui sera promu à la tête du Mouvement des prêtres pour la paix. Son objectif, non officiel : lutter contre l'influence des catholiques "de l'extérieur", en premier lieu le pape.

Parallèlement, l'organisation de l'Eglise est entièrement remodelée : des évêques sont arrêtés et remplacés par des prêtres choisis par le Parti. En 1950, la police arrête les religieux des couvents et des monastères, en tout plus de 2 000 personnes. L'enseignement du catéchisme est, on s'en doute, interdit au fur et à mesure, dans les établissements scolaires.

Parmi les protestants, un pasteur, Josef Hromadka, accepte de collaborer partiellement avec le régime. Il crée la Conférence chrétienne pour la paix, qu'il préside de 1958 à 1969. Habile paravent idéologique, le concept de paix fut, on le voit, largement exploité. Il permettait de mettre en scène, face à l'opinion internationale, la douce colombe soviétique contre les "impérialistes fascistes" !

Quant aux 24 000 Juifs de Bohême-Moravie qui avaient échappé à l'extermination nazie, ils ne seront plus que 6 000 après une première vague d'émigration en 1948-50. Celle-ci fut peut-être moins due à un simple rejet du régime qu'au retour d'un fort antisémitisme d'Etat. Après la mort du grand rabbin de Prague, l'institution rabbinique est dissoute.

Durant les années 60, le régime relâchera légèrement la pression tout en maintenant un étroit contrôle, qui s'affirme sous la normalisation, après l'écrasement du Printemps de Prague. En 1971, Le Mouvement des prêtres pour la paix est remplacé par le mouvement Pacem in Terris (la paix toujours !). Celui-ci contrôle l'hebdomadaire "Katolické noviny" (Nouvelles catholiques), la seule revue de l'Eglise dans le pays. Depuis 1948, le clergé n'est pas renouvelé et, en 1972, on compte 3 évêques pour les 13 diocèses de Tchécoslovaquie !

En 1978, un prêtre polonais, Jean-Paul II, accède au pontificat. Et c'est un tournant radical. Si l'influence du Saint-Père a des conséquences moins spectaculaires qu'en Pologne, il n'en pousse pas moins l'Eglise catholique tchécoslovaque à sortir de sa réserve. L'archevêque de Prague, Monseigneur Tomasek, condamne l'association Pacem in Terris et réclame plus de liberté. La perestroïka de Gorbatchev ne fait qu'amplifier le mouvement, qui prend par ailleurs une assise populaire.

A partir de 1985, on peut voir en Moravie, des pèlerinages rassemblant jusqu'à 100 000 personnes ! Ce n'est sans soute pas un hasard si le pape décide, en 1988, de faire canoniser Sainte-Agnès, grande dévote, soeur du roi Venceslas Ier et sainte-patronne de la Bohême.

La Révolution de Velours, en 1989, voit certaines personnalités religieuses poussées sur le devant de la scène. Le père Maly, qui avait signé la Charte 77, prononce de nombreux discours lors des événements de novembre. Parmi les protestants, le pasteur Milos Rejchrt et le philosophe Ladislav Hejdanek, également signataires de la Charte, sont tout aussi actifs. Evoquons enfin le cas original de Karol Sidon, expulsé en RFA suite à sa signature de la Charte, et qui revint après la Révolution de Velours, pour devenir, en 1992, le rabbin de Prague.