En Tchéquie, le projet Genre et sciences pour faire bouger le « plafond de verre »

Depuis un peu plus de vingt ans, le projet Gender a věda (Genre et sciences) au sein de l’Académie des Sciences de la République tchèque s’efforce de réfléchir aux questions d’égalité hommes-femmes dans le domaine académique et universitaire scientifique. Et surtout d’apporter son expertise pour promouvoir cette égalité concrètement au sein de ces institutions. Avant de devenir assistante de recherche à l’Institut de sociologie de l’Académie des Sciences, Averil Huck a fait ses études à Lyon et Grenoble. Elle est revenue au micro de Radio Prague Int. sur son parcours qui l’a menée jusqu’à Prague et l’Académie des Sciences où elle travaille également au sein du projet Gender a věda.

Averil Huck | Photo: Institut de sociologie de l’Académie des Sciences

« J’ai fait des études de philosophie en licence à Grenoble, pendant lesquelles je me suis beaucoup intéressée aux questions de genre. Cela m’a amenée à continuer en master d’études sur le genre à Lyon pendant laquelle j’ai eu la possibilité de faire un Erasmus en Finlande. Pour valider le master, il fallait faire un stage. J’avais très envie de retourner à l’étranger après mon expérience finlandaise. J’ai réussi à trouver un stage à l’Institut de sociologie de Prague, au département Genre et sciences, dirigé par Marcela Linková. A la suite de ce stage, elle m’a proposé un poste et je suis restée. A ce jour, je travaille sur différents projets et notamment sur un projet de recherche européen qui se concentre sur les questions de prévalence de violences faites aux femmes au sein des universités et des instituts de recherche. »

Vous participez au projet « Gender a věda ». De quoi s’agit-il et quel est l’objectif principal de ce projet ?

« C’est un projet financé par le ministère tchèque de l’Education, de la Jeunesse et des Sports. Il est établi au sein du département Genre et sciences de l’Institut de sociologie de l’Académie des sciences. Ce projet a récemment fêté ses vingt ans : nous travaillons depuis 2001 à l’amélioration de l’intégration de l’égalité des genres  dans les politiques nationales de recherche, de développement et d’innovation en République tchèque. On se concentre vraiment sur les dimensions de genre en sciences. On a plusieurs chapeaux : on participe à des projets de recherche, mais on fait aussi du consulting et de la sensibilisation à travers des campagnes, des workshops, des conférences… On porte des recommandations tant au niveau national à travers le conseil gouvernemental pour l’égalité des chances, nous participons aussi à un groupe de travail au sein du conseil gouvernemental pour la recherche et l’innovation, et dans un autre groupe de travail au sein du ministère de l’Education. On fait aussi du travail au niveau international, notamment européen. Marcela Linková a notamment présidé le groupe de travail permanent sur le genre au sein du comité de l’espace européen de la recherche et de l’innovation. C’est un comité consultatif politique qui conseille la Commission européenne, le conseil de l’UE, et les Etats-membres sur ces questions. »

Le 11 février dernier, c’était la Journée internationale des femmes en sciences : peut-on donner quelques chiffres sur le nombre de femmes dans les disciplines scientifiques en Tchéquie ? Peut-on déterminer aussi dans ces statistiques leur statut hiérarchique ?

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« Les femmes tchèques en sciences, c’est environ 27% et la moyenne de l’UE c’est 34%, donc on est bien en-dessous. Quand on compare les étudiantes et les chercheuses, on est à 60% d’étudiantes en niveau master et ça tombe à 45% au niveau du doctorat. Cela descend encore plus au niveau de la carrière scientifique elle-même : dans les sciences techniques on est à 15% de femmes en République tchèque, en sciences naturelles 25%, en sciences humaines 42%, en sciences agricoles on est à 46%, en sciences sociales on est à 44% et en sciences médicales à 48%. Mais au niveau des statuts, en tant que chargée de cours on est à environ 50%, assistante aussi, mais ça descend plus bas dans la hiérarchie : on est à 16% de professeures d’université. Au niveau des postes décisionnels, on est à 7% de femmes qui sont directrices d’institutions scientifiques et 15% de rectrices, et 25% de femmes membres de comités d’experts. »

Comment expliquer ces déséquilibres ? C’est toujours dû à ce même problème de combiner vie professionnelle et vie privée ?

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« Oui, c’est la raison principale. C’est tout le phénomène du ‘leaky pipeline’ qui s’explique par le fait que beaucoup de femmes s’arrêtent pendant leurs études, ou après le doctorat ou le master, qu’il est très difficile d’avoir un équilibre entre vie professionnelle et vie privée en République tchèque comme la dans la plupart des pays. Une chose plus spécifique à la Tchéquie, c’est quand même la durée du congé maternité qui peut aller jusqu’à trois ou quatre ans. Avoir une grande pause comme cela dans une carrière de recherche c’est très compliqué. Les institutions de recherche ne sont pas encore prêtes à prendre cela en compte. Cela a un impact sur la possibilité de monter les échelons. Pour obtenir une bourse de recherche par exemple, ils vont prendre en compte toutes les années écoulées après le doctorat. Si vous prenez un congé maternité de trois ans, cela fait une grosse tache et les évaluateurs ne prennent pas du tout cela en compte. »

Concrètement comment le projet Gender a veda contribue-t-il à sensibiliser les institutions concernées et à promouvoir une meilleure égalité des genres ?

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« Plusieurs outils sont mis en place : on fait beaucoup de conférences ou de campagnes en ligne où on promeut des exemples de femmes en sciences. Mais une des grandes missions qu’on a c’est d’aider les institutions à mettre en place des plans d’égalité femmes-hommes. Depuis cette année en effet, pour obtenir des fonds de la Commission européenne pour un projet de recherche, il faut avoir un plan d’égalité femmes-hommes en place. Au sein de ces plans on peut mettre en place tout un tas de mesures pour améliorer l’équilibre vie professionnelle-vie privée. Une grande partie de mes collègues se concentrent sur ces questions. Concrètement, cela peut être des mesures comme l’instauration de crèches sur le lieu de travail, autoriser des emplois du temps plus flexibles, avoir un temps de télétravail plus important si les femmes le souhaitent, et dans l’obtention de fonds, cela peut être aussi de prendre en compte les pauses dans une carrière. Comme les hommes n’ont pas ce genre de pauses, les femmes se retrouvent en général avec moins de publications à leur actif. »

Si l’on compare la situation des chercheuses tchèques à celles d’autres pays : y a-t-il des modèles vertueux dont on pourrait s’inspirer ?

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« Oui, je pense notamment à l’Irlande qui a des lois très détaillées et des incitations très fortes pour la mise en place de ces mesures, tant au niveau des étudiantes que des chercheuses. Toute université ou institut de recherche doit mettre en place un plan pour l’égalité, peu importe que ce soit pour des fonds européens ou autres. Une de leurs stratégies nationales recommande fortement que les comités de décisions aient au moins 40% de femmes. Ce n’est pas un quota mais une forte recommandation. Ils ont aussi une certification où chaque institution, pour bénéficier de plus de fonds nationaux, doit mettre en place des mesures sur des sujets liés à l’égalité femmes-hommes. Cela marche très bien et cela a des conséquences directes. »

Dans quelle mesure la pandémie de Covid-19 a-t-elle mis à mal les avancées en Tchéquie en termes d’égalité ? Notamment dans le monde académique…

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« Clairement, le milieu de la recherche n’a pas été en-dehors de tout cela. Cela s’est ressenti fortement : les charges additionnelles de tâches domestiques et de soins ont eu un impact. Il a été démontré que pendant la première vague de 2020 les femmes chercheuses avaient publié moins d’articles scientifiques que leurs collègues hommes. La situation de télétravail a plutôt été un avantage pour les chercheurs hommes. Cela a un impact sur les trajectoires futures des carrières des femmes. En outre, les écoles ont été fermées plus longtemps en République tchèque que dans d’autres pays ce qui a eu un impact fort sur la capacité de travail professionnel des femmes. »

Y a-t-il, du côté des institutions et organes d’Etat, une ouverture et une volonté de coopération sur ces thématiques ?

« Il y en a de plus en plus. Notamment des institutions qui accordent des subventions mais aussi le ministère de l’Education qui assez à l’écoute. On doit dire que l’impact de l’Europe et de ses nouvelles directives, comme celui d’avoir un plan pour l’égalité, cela a un gros impact sur l’ouverture de ces institutions. »

Y a-t-il des institutions qui sont spontanément demandeuses de votre expertise ?

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« On a un groupe mis en place, Community for Change. Ce sont des personnes de différentes institutions qui sont intéressées par ces questions, qui ont un poste de Gender Equality Officer au sein d’universités, qui se rassemblent et échangent sur les bonnes pratiques à mettre en place qui sont demandeuses de workshops et de conférences sur ces sujets. »

https://genderaveda.cz/