Entretien avec Harry Pollak - 2è partie

Deuxième partie de l’entretien réalisé avec Harry Pollak, dont le livre autobiographique vient de sortir à Prague aux éditions Mladá fronta. Harry Pollak a 21 ans quand il débarque en Normandie, en juin 1944. Après le terrible siège de Dunkerque, direction la Tchécoslovaquie natale, où la vie ne reprendra pas son cours normal.

Débarquement à Arromanches
« Nous débarquons à Arromanches avec du retard à cause du mauvais temps sur la Manche. Je ne me rappelle pas de la date exacte mais c’était en juin, environ dix jours après les premiers bateaux. On voyait aux alentours les restes des batailles. C’était surtout l’armée polonaise qui avait combattu là. Ils avaient les mêmes chars que nous et on pouvait voir un grand nombre de ces chars détruits parce que les canons allemands étaient plus efficaces que nos canons. Ce n’était pas très encourageant…Nous avons passé le reste de la guerre dans le Nord de la France en faisant le siège de Dunkerque, où était enfermée l’armée allemande, à peu près cinq fois plus nombreuse que nous. La brigade tchèque devait faire le siège. Le plus grand danger à Dunkerque, c’était les mines, qui causaient les plus nombreuses blessures. Je n’ai évité la mort que par hasard…»

Cet épisode est très bien décrit dans votre livre…Vous poursuivez vers l’Est et découvrez les horreurs laissées par la guerre pour arriver finalement sur le territoire tchécoslovaque…

Photo: Archives de Harry Pollak
« Oui, nous sommes arrivés en Tchécoslovaquie où on nous a reçus en libérateurs, avec des drapeaux et des jeunes filles en habits traditionnels. Nous avons paradé à Prague, nous sommes arrivés avec nos chars dans le quartier de Vypich et l’accueil était très chaleureux. »

Cela dit vous racontez dans votre livre qu’on vous a bloqués dans une petite ville pendant trois jours en soi-disant quarantaine, mais apparemment parce que vous étiez trop bien équipés et que les Soviétiques voyaient cela d’un assez mauvais œil.

« C’était le bruit qui circulait, on ne nous a jamais dit pourquoi. Mais je dois vous dire que c’était une vraie déception, en arrivant à la frontière, d’être enfermés pendant trois jours. Je ne me souviens pas du nom de la commune, mais c’était entre la frontière et Plzeň. »

On reparle beaucoup ici en ce moment des atrocités commises contre les Allemands à la fin de la guerre et du tabou dont elles ont fait l’objet sous le communisme. Avez-vous été témoin de ces atrocités pendant cette période que vous décrivez dans votre livre, avec de nombreuses personnes qui ont très facilement ‘retourné leur veste’ ?

« Non, ou indirectement. On a traité les Allemands qui étaient en Tchécoslovaquie à ce moment-là à peu près de la même façon que les Allemands ont traité les Juifs... On les a mis dans des trains et envoyés en Allemagne. C’est une question de justice de guerre. Ce n’était pas ‘fair’. »

C’est à ce moment-là que vous apprenez petit à petit que toute votre famille a été déportée, souvent via Terezín, et assassinée dans les camps d’extermination…

« Oui, on ne savait jamais vraiment, car des gens réapparaissaient parfois trois ou six mois après… J’ai essayé de regagner ma propriété pour faire en sorte que si quelqu’un revenait, il trouve une base pour recommencer sa vie. Mais malheureusement, ça ne s’est pas passé... »

Harry Pollak avec son épouse,  photo: Archives de Harry Pollak
Après le Coup de Prague en 1948, comme de nombreux soldats qui avaient servi dans des armées occidentales, vous n’êtes pas bien vu par les autorités communistes. Cela vous pousse à un deuxième exil, cette fois-ci avec votre épouse, avec laquelle vous repartez en direction de l’Ouest, à pied.

« Lorsque les communistes ont pris le pouvoir, ils ont tout d’abord confisqué mon diplôme d’ingénieur et rendu ainsi impossible la recherche d’un emploi. Je suis retourné à la ferme, où pendant un an j’ai été fermier, mais avec beaucoup de difficultés et les habitants locaux qui me mettaient des bâtons dans les roues. C’était très difficile de survivre, et finalement le conseil local du parti m’a confisqué la ferme en disant que j’étais un ingénieur, donc pas capable de gérer une ferme, ce que j’avais pourtant fait pendant un an. A ce moment-là, j’ai su qu’il n’y aurait pas moyen de vivre en Tchécoslovaquie et il fallait trouver une façon de partir, sans passeports, à travers les montagnes, ce que nous avons fait à la fin du mois de novembre 1949. Vingt kilomètres dans les montagnes de la Šumava, avec dix centimètres de neige. C’est un petit miracle que nous ayons réussi en échappant à tous les obstacles. Nous sommes finalement arrivés en Allemagne, contre laquelle j’étais en guerre pendant cinq ans, pour demander l’asile. Psychologiquement, ce n’était pas facile. »

Vous êtes hébergés dans un camp de réfugiés et vous demandez un visa pour la Grande-Bretagne. C’est juste après la création de l’Etat d’Israël, est-ce qu’à un moment vous songez ou vous avez l’opportunité de partir en Israël ?

« Non, vous savez, notre famille était juive et nous n’avons pas renoncé à être juifs, mais nous n’étions pas une famille religieuse. Je n’avais pas de velléité d’aller en Israël, même si à chaque fois que j’ai essayé d’obtenir du secours on me proposait souvent de me payer le voyage pour aller en Israël. Je voulais aller en Angleterre, parce que j’avais le sentiment qu’après avoir fait la guerre pendant cinq ans je serais mieux là-bas et aussi que la culture me convenait davantage et que je pourrais y appliquer mon savoir plus facilement qu’en Israël. »