Entretien avec Harry Pollak - 1ère partie
Première partie de l’entretien réalisé avec Harry Pollak, dont le livre autobiographique vient de sortir à Prague aux éditions Mladá fronta. Harry Pollak est né en 1923 dans une famille juive de Bohême, dont il est resté le seul survivant après la guerre. Parti en France juste après les Accords de Munich de 1938, il s’est engagé très rapidement dans l’armée tchécoslovaque en exil.
« Oui, c’était un peu étonnant. Nous avons pu partir mais avec un mois de retard, l’année scolaire avait déjà commencé. Il y avait des difficultés politiques et on croyait que les étudiants n’auraient peut-être pas l’opportunité de venir. Ce retard a accentué la chaleur de la réception à Nîmes, où il y avait une foule de gens pour recevoir les Tchèques. Ce fut un accueil très cordial, même si nous qui étions là pour la première fois avions des difficultés à tout comprendre, parce que nous n’avions eu qu’un an de cours de français en classe. »
Vous comprenez déjà beaucoup mieux le français quand la guerre éclate. Vous décidez, âgé seulement de 17 ans, de vous engager dans l’armée tchécoslovaque en exil en France.
« Vous savez, à ce moment-là l’atmosphère politique était telle qu’on pensait que la guerre serait finie en trois ou six mois. Alors je voulais contribuer un peu à l’effort contre l’Allemagne avant la fin de cette guerre. Même si j’avais seulement 17 ans on m’a accepté dans cette armée tchécoslovaque constituée en France et dont les membres étaient d’une part les réfugiés de Tchécoslovaquie – dont des officiers de l’armée – et d’autre part, la majorité, des résidents tchécoslovaques en France qui ont choisi de rejoindre l’armée tchécoslovaque, qui comprenait au début environ 3000 soldats et deux régiments. Le centre de cette armée tchécoslovaque en France était à Agde. C’est là où on faisait l’entraînement avant d’être envoyé vers le Nord de la France. Moi, j’ai seulement fait l’entraînement et la France a capitulé. Alors on nous a évacué d’Agde à Sète, où on nous a fait embarquer sur un navire qui transportait du charbon. Le bateau était prévu pour un équipage de 12 personnes et on a embarqué 1 500 soldats dessus. On nous a transporté pendant trois jours jusqu’à Gibraltar. Trois jours terribles ! Sans nourriture, sans eau, c’était en juin, il faisait chaud. A notre arrivée à Gibraltar nous étions noirs de charbon. »On vous embarque à ce moment-là sur un autre bateau de Gibraltar aux côtes anglaises et vous arrivez à Liverpool…
« Oui, mais nous ne le savions pas parce que toutes les pancartes et directions avaient été enlevées en perspective d’une invasion... On nous a ensuite transporté en train vers Cholmondeley, un grand parc où l’armée tchécoslovaque se réorganisait avec des gens qui arrivaient de différents ports. On a reçu des uniformes anglais, des couvertures, et trois repas par jour, ce qui n’était pas le cas en France… »On a parlé de conflits au sein de cette armée tchécoslovaque en exil, avec des divisions assez sérieuses entre soldats. Quelle est votre explication de ces tensions ?
« Vous savez, dans cette armée il y avait un grand nombre d’officiers. En Angleterre, en tout l’armée comprenait environ 2500 personnes, dont 800 officiers de profession. Ces officiers avaient une culture spéciale. Ils avaient dû fuir la Tchécoslovaquie parce qu’ils ne pouvaient pas trouver d’emplois. En arrivant en France puis en Angleterre ils avaient une existence assurée mais n’avaient pas de but. Seule une toute petite partie était employable dans l’armée, parce qu’il y avait trop peu de soldats et trop d’officiers. Le niveau culturel de ces gens-là n’était pas très élevé et je crois qu’ils enviaient les gens qui savaient écrire et avaient appris l’anglais. Alors ils ont rendu la vie des gens comme moi la plus difficile possible. Le pire est qu’ils le faisaient sans en tirer aucun avantage, le faisaient juste de mauvaise foi et avec haine. C’était une très mauvaise période. Mais j’ai pu compléter mon éducation française. J’ai trouvé le moyen de passer mon bac au lycée français de Londres, avec la seule mention bien de cette session. C’est à ce moment-là que je me suis pris d’amitié pour la famille d’un certain Monsieur Smeyers, qui était dans l’appareil du gouvernement français en exil. Ils avaient deux filles, dont l’aînée est devenue ma bonne amie. J’ai été invité dans cette famille pendant un certain temps, avant qu’elle me rejette, ce qui était un bon réconfort par rapport aux conditions dans l’armée. »A quel moment entendez-vous les premières rumeurs concernant le sort des Juifs dans les territoires conquis par les nazis?
« On avait pas beaucoup de renseignements là-dessus et je crois que personne n'a vraiment insisté pour en savoir trop parce qu'on avait peur d'apprendre la vérité. Et la vérité aurait été beaucoup plus difficile que ce que l'on pouvait imaginer... »