Envol 72 : Nouveaux faits inédits sur le détournement d’avion en Allemagne par dix jeunes Tchécoslovaques, il y a 40 ans

Il y a tout juste 40 ans, en juin 1972, un groupe de dix jeunes gens a contraint les pilotes d’un petit avion sur la ligne Prague-Mariánské Lázně à changer de direction. Leur but : passer en Allemagne de l’Ouest. L’un des deux pilotes a été tué par balle par le leader du groupe qui s’est donné plus tard la mort dans une prison allemande. « Mimikry », un épisode de la série télévisée Les Trente Affaires du Major Zeman, inspiré de la scène du détournement d’avion, a servi dans les années 1970 la propagande politique du régime communiste. L’objectif était de dénoncer la culture underground et les jeunes groupes de rock dont plus particulièrement The Plastic People of The Universe. 40 ans plus tard, une exposition intitulée « Envol 72 » proposée par le centre d’art contemporain praguois DOX, a apporté des témoignages inédits prouvant qu’il ne s’agissait pas d’un meurtre prémédité du pilote, mais d’un homicide involontaire.

L’idée de reconstituer l’affaire vieille de 40 ans est venue au plasticien Petr Vrána. Installé depuis 1981 à Kassel en Allemagne où il a fait la connaissance de plusieurs acteurs de l’affaire, il a jugé indispensable d’aller chercher la vérité et de la faire connaître au public. Six dossiers originaux des archives des services de sécurité tchécoslovaques apportant des témoignages inédits sur la manipulation du procès, ont été présentés à l’exposition. En les publiant, Petr Vrána a souhaité lancer un débat sur un sujet tout aussi controversé que le cas des frères Mašín dans les années 1950 :

Petr Vrána
« Les recherches effectuées dans les archives des services de sécurité, consistant dans la lecture de plusieurs milliers de pages, nous ont permis de reconstituer le déroulement réel du détournement d’avion. J’ai collaboré avec deux anciens colonels de la police criminelle et un médecin légiste. Dans les archives, nous avons retrouvé un compte-rendu d’autopsie dont on ignorait complètement l’existence. En réalité, deux autopsies du corps du pilote tué, Jan Mičica, ont été effectuées : une en Allemagne dont s’est servie le tribunal, une autre jusqu’à présent secrète, en Tchécoslovaquie où le corps du pilote a été transféré trois jours après l’incident. Le professeur Šňupárek de l’Hôpital militaire de Prague qui a effectué cette autopsie a prouvé que la balle a pénétré la partie latérale du dos du pilote, et donc qu’elle n’a pas été tirée dans le cou, par derrière : preuve indubitable qu’il ne s’agissait pas d’un meurtre prémédité, conçu à l’avance, mais d’un homicide involontaire. Le pilote a tenté d’arracher le pistolet de la main du ravisseur et c’est ainsi que le coup est parti. »

Le détournement a eu lieu le 7 juin 1972. L’avion L-410 de la compagnie SlovAir, sur la ligne Mariánské Lázně-Prague-Lučenec, a été pris en otage par un groupe de dix jeunes gens, dont trois filles. Armés de deux pistolets, ils ont forcé les pilotes à atterrir à Munich. Un représentant de la compagnie SlovAir présent à bord de l’avion, du nom de Klementis, a essayé d’intervenir contre eux. Un accrochage s’est produit ensuite dans le cockpit. Le capitaine de l’avion, Jan Mičica, s’en est mêlé. Atteint d’une balle partie du pistolet de Lubomír Adamica, il meurt. Le deuxième pilote Dominik Chrobák a ensuite atterri à l’aéroport de Weiden, en Bavière.

Lubomír Adamica
Les ravisseurs, dont l’âge moyen était de 21 ans, ont été jugés et incarcérés en Allemagne. Les peines prononcées allaient de 3 à 7 ans. Le principal acteur du détournement, Lubomír Adamica, accusé de meurtre, s’est suicidé dans sa cellule. Un autre membre du groupe, Milan Trčka, a commis une tentative de suicide manqué.

Le détournement de l’avion de la compagnie SlovAir en juin 1972 a largement servi la propagande politique du régime communiste tchécoslovaque qui a manipulé les faits à sa guise. Le cas des ravisseurs a été utilisé pour présenter la culture underground en tant que culture de toxicomanes, de hippies et de criminels et pour déclencher des représailles contre ses représentants et les opposants au régime.

En 1990, le président Václav Havel a accordé la grâce à tous les condamnés. L’un d’entre eux, Jaromír Kerbl alias Johny Heaven, qui a passé plus de 20 ans en établissement psychiatrique, explique que le groupe s’est décidé de détourner un avion après le refus réitéré des autorités de leur délivrer un permis de voyager – document nécessaire sans lequel il n’était pas possible de passer légalement la frontière sous le régime communiste :

« La vie ici, ce n’était pas notre mode de vie : sincèrement, nous étions convaincus qu’on pourrait vivre, librement, dans une communauté hippie. »

Pour un autre membre du groupe Jaromír Dvořák, la tragédie aurait pu être évitée si le représentant de la compagnie SlovAir ainsi que le pilote n’étaient pas intervenus contre eux, d’autant que les règlements l’interdisaient. On l’écoute :

« A l’époque, les Tchèques avaient signé un accord selon lequel, en cas de détournement d’avion, le pilote ne devait pas s’opposer à ses ravisseurs. »

Dominik Chrobák
Arrivé à Prague de Munich où il vit, Jaromír Dvořák s’est dit choqué par les nouveaux témoignages rendus publics et dont il découle que le deuxième pilote, Dominik Chrobák, ainsi que l’employé de SlovAir, Klementis, ont donné de faux témoignages contre les membres du groupe et que le procès a également été manipulé du côté allemand. Explications par Petr Vrána :

« La presse ouest-allemande, tout comme d’ailleurs l’ensemble des médias, se sont alors basés sur le rapport d’autopsie du médecin légiste allemand Latka, or ce médecin a fait une chose incroyable : après avoir prélevé les tissus à l’endroit de l’entrée et de la sortie de la balle, il a caché l’uniforme du pilote tué, empêchant d’examiner les traces de la poudre noire. On ne sait pas pourquoi il a fait cela. En tout cas, le procureur allemand, Wilhelm Meier, a porté plainte pour assassinat. A l’aide des documents d’archives nous prouvons les manipulations de Meier et son lien avec les services de la police secrète tchèque, la StB. »

Ivo Pejčoch
La question qui se pose est de savoir pourquoi le rapport d’autopsie effectué à Prague a été tenu secret, pourquoi le tribunal allemand n’en a pas tenu compte? Une explication probable est donnée par Ivo Pejčoch de l’Institut d’histoire militaire et auteur de livres sur les fuites au-delà du rideau de fer :

« La société ouest-allemande, inquiète des détournements d’avion et des actes terroristes commis par des extrémistes de gauche, comme le groupe Fraction armée rouge du duo Baader-Meinhof, désapprouvait vivement ce type de violences. Ceci dit, on ne peut pas s’étonner que les peines prononcées contre ces jeunes Tchécoslovaques aient été relativement sévères. A en juger d’après la presse de l’époque, la réaction de l’opinion ouest-allemande à cet acte a été nettement négative. »

Petr Blažek
En 1972, ce n’était pas le premier détournement d’avion tchécoslovaque en Allemagne : en avril de la même année, un groupe de deux récidivistes avait déjà pris en otage les pilotes d’un même avion. Un tribunal allemand les avait alors condamnés à 7 ans de réclusion. Compte tenu de l’activité croissante du terrorisme aérien, le monde occidental condamnait sévèrement les détournements d’avion, y compris ceux motivés par l’émigration, souligne pour sa part l’historien Petr Blažek :

« Bien que cet acte ait eu pour conséquence la mort tragique du pilote ce qui est une perte énorme et irrémédiable notamment pour sa famille, il convient de rappeler, d’un autre côté, que ces gens fuyaient un monde qui n’était pas libre. »

Jaromír Kerbl
Cette tentative tragique de fuir à l’Ouest, il y a 40 ans de cela, a complètement changé la vie de ses acteurs. La moitié d’entre eux ne sont plus en vie, aujourd’hui. L’un des deux hommes venus à l’exposition, Jaromír Kerbl, souffre de troubles psychiques graves et ne peut plus se passer de médicaments. La peinture et la musique au sein du groupe « Mimikry Band » l’aident à oublier la tragédie dont il ne cesse de ressentir un sentiment de responsabilité. Les nouveaux témoignages sur l’incident, il les a accueillis avec soulagement :

« C’est un grand soulagement pour moi, d’apprendre que c’est désormais sûr et prouvé qu’il ne s’agissait pas d’un meurtre commis dans l’intention de donner la mort au pilote. Pour moi, ça a été une grande satisfaction de voir la vérité éclater au grand jour, nous attendions cela depuis plus de 30 ans. »