Face au retour des migrants syriens, les pays d’Europe centrale renforcent le contrôle de leurs frontières communes

En raison d’une forte augmentation du nombre de migrants clandestins, majoritairement d’origine syrienne, sur son territoire, la République tchèque a rétabli, depuis jeudi dernier, des contrôles le long de sa frontière avec la Slovaquie. Une décision d’abord plutôt mal perçue à Bratislava, mais que depuis, l’Autriche, et désormais la Slovaquie au niveau de sa frontière avec la Hongrie, ont, elles aussi, mise en œuvre.

Ces deux dernières semaines, il a bien évidemment été davantage question de l’accueil, ou plus précisément du refus d’accueillir les « déserteurs » de l’armée russe.

Très rapidement, toutefois, le ministère des Affaires étrangères tchèque a fait savoir que ceux-ci n’étaient pas les bienvenus. Prague, qui ne délivre déjà plus de visas touristiques depuis le début de l’agression en Ukraine, n’accordera ainsi pas davantage de visas humanitaires, sauf cas de figure exceptionnels, aux ressortissants russes qui fuient leur pays pour éviter la mobilisation décrétée par Vladimir Poutine.

Depuis cette prise de position a priori inflexible, un autre type de migrants est réapparu sur le devant de la scène. Des migrants majoritairement d’origine syrienne qui empruntent la route dite des Balkans depuis le sud de l’Europe dans le but de rejoindre l’Allemagne, et que ni le gouvernement tchèque ni les autorités des autres pays d’Europe centrale ne souhaitent voir entrer et se déplacer sur leurs territoires.

Photo: Václav Šálek,  ČTK

Lundi dernier, la Police tchèque a publié un communiqué dans lequel elle informait avoir arrêté près de 12 000 migrants clandestins depuis le début de l’année, soit un chiffre supérieur à celui de la période de la crise migratoire en 2015. Suite à quoi, le ministère de l’Intérieur a annoncé le renforcement des contrôles policiers à vingt-sept points de passage essentiellement routiers et ferroviaires, à compter du 29 septembre. Présent à la frontière tchéco-slovaque dans la nuit de mercredi à jeudi derniers, le ministre Vít Rakušan a justifié la mise en place de ces restrictions par une volonté de « chasser » plus efficacement les migrants et leurs passeurs :

Vít Rakušan | Photo: Václav Šálek,  ČTK

« Le but de cette mesure, qui ne réjouit personne, n’est bien évidemment pas de compliquer la vie des citoyens tchèques et slovaques. Il ne s’agit pas non plus d’une manifestation de force de la République tchèque vis-à-vis de la Slovaquie. L’unique objectif est de faire comprendre aux groupes de passeurs, qui sont les véritables criminels dans cette affaire car ils profitent du malheur d’êtres humains, qu’il y a là un obstacle à leur trafic. »

Alors que Tchèques et Slovaques commémoreront prochainement le 30e anniversaire de la partition de l’État commun tchécoslovaque, la décision de filtrer les passages tout le long des quelque 250 kilomètres de frontière qui séparent désormais les deux peuples, a d’abord été différemment interprétée à Bratislava. Tandis que le ministère de l’Intérieur a fait preuve de compréhension, le Premier ministre, Eduard Heger, a, lui, critiqué la position tchèque, estimant qu’il s’agissait là d’un problème qui concernait l’ensemble de l’espace Schengen et qui, par conséquent, se devait d’être débattu à l’échelle de l’Union européenne (UE). Et puisque la République tchèque a accueilli plus de 300 000 réfugiés ukrainiens depuis février dernier, un commentateur du grand quotidien slovaque SME a même estimé qu’il était « inutile et déraisonnable » de procéder à tous ces contrôles pour quelques milliers de Syriens.

Photo: Dalibor Glück,  ČTK

Entretemps, toutefois, l’Autriche, officiellement dans une volonté de réagir à la décision tchèque, a renforcé elle aussi le contrôle de sa frontière avec la Slovaquie, tandis que cette dernière, pour qui le nœud du problème se trouve plus au sud, au niveau de la frontière entre la Serbie et la Hongrie, autrement dit aux frontières extérieures de l’espace Schengen, en fait de même avec sa voisine hongroise depuis samedi. Pour l’heure, toutes ces mesures n’ont encore qu’un statut temporaire, la suppression des contrôles entre la République tchèque et la Slovaquie étant ainsi prévue à compter du week-end prochain.

En attendant de voir ce qu’il en sera réellement, le chef de la diplomatie tchèque, Jan Lipavský, a reçu son nouvel homologue slovaque, Rastislav Káčer, à Prague ce lundi, et cette rencontre a bien évidemment été l’occasion d’éclaircir quelques incompréhensions, comme l’a reconnu le ministre tchèque :

Rastislav Káčer et Jan Lipavský | Photo: Michal Krumphanzl,  ČTK

« Cette question des frontières plombe effectivement quelque peu les relations, pour le reste comme toujours excellentes, entre nos deux pays. Ce que je peux dire, c’est qu’en tant que ministres des Affaires étrangères, nous sommes sur la même longueur d’ondes et que nous nous efforçons de considérer les choses sous un angle positif. Cette migration ne provient ni de Tchéquie, ni de Slovaquie, mais du sud de l’Europe. Nos deux pays se trouvent sur la route de ces gens et il convient donc de trouver une solution tant d’un point de vue sécuritaire que pour l’ensemble de l’Europe de manière à ne pas entraver le fonctionnement de l’espace Schengen. »

Comme en 2015, lors d’une crise qui les avait fait passer aux yeux des autres États membres de l’UE comme des partenaires bien peu coopérants en matière de répartition des réfugiés de Syrie et d’accueil des migrants d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud, les pays d’Europe centrale servent essentiellement de transit sur la route vers l’Europe de l’Ouest. Les migrants souhaitant s’y installer sont peu nombreux, et c’est aussi une des raisons pour lesquelles le chef de la diplomatie slovaque, Rastislav Káčer, souhaite qu’une solution autre que le contrôle des frontières intérieures soit trouvée le plus rapidement possible :

« Nous mettons tous les moyens en œuvre pour maintenir ce qui fait la force et l’unité de l’Europe et préserver tous les acquis dont nous bénéficions à l’intérieur de celle-ci. Un nombre invraisemblable de gens traversent quotidiennement la frontière entre la Slovaquie et la Tchéquie. Et je ne parle même pas des frontières avec l’Autriche et la Hongrie, où compte tenu de la proximité de Bratislava, le phénomène est encore plus important. Les gens n’ont plus conscience de tous les avantages que représente cette liberté de circulation d’un pays à l’autre. Ce lundi, les ministres de l’Intérieur tchèque, autrichien, slovaque et hongrois sont réunis à Bratislava pour discuter des solutions envisageables. Mais nous devons aussi discuter avec les pays d’origine et de destination de cette migration ainsi qu’avec ceux qui se trouvent en bordure de l’espace Schengen, précisément pour que nos frontières communes puissent rester ouvertes. »

Photo: Martina Odehnalová,  ČTK

Dimanche matin, la Police tchèque a informé avoir contrôlé près de 19 000 personnes en provenance de Slovaquie durant la journée de samedi et avoir arrêté, parmi elles, 240 migrants et trois passeurs. Des chiffres légèrement inférieurs à ceux des jours précédents, mais qui, s’ils n’évoluent pas davantage d’ici la fin de la semaine, auront probablement pour conséquence le maintien des contrôles.