Faire découvrir la création théâtrale francophone à Prague
Jeudi dernier, dans le cadre de la Semaine du théâtre français à Prague, le théâtre Disk a présenté en tchèque des extraits de pièces de théâtre de six auteurs francophones. Cinq de ces auteurs étaient d’ailleurs présents pour préparer, avec les comédiens tchèques, cette soirée qui visait à donner une idée de ce qui agite les auteurs de théâtre francophones à l’heure actuelle. Parmi les thèmes qui semblent particulièrement toucher ces auteurs, le problème des migrants vers la France, le désespoir de ces réfugiés climatiques ou économiques qui trouvent porte close à l’arrivée, si tant est qu’ils arrivent jamais et survivent à leur voyage. Mais aussi la question du racisme, vue à travers le prisme de l’histoire de Jeanne Duval, muse haïtienne de Baudelaire. Rencontre avec quelques uns des auteurs présents à Prague pendant la semaine. Ils évoquent leurs pièces et le travail de mise en scène accompli, côté tchèque, par Lucie Málková et Michal Lázňovský.
« Moi je suis Joséphine Serre, je suis comédienne, metteur en scène, j’ai écrit deux textes de théâtre. Et c’est le deuxième, Volatiles, qui est présenté ici à Prague. J’ai une compagnie de théâtre à Paris. »
« Je suis Elvire Maurouard. J’ai publié une dizaine d’ouvrages. Là, c’est mon baptême, car c’est ma première pièce de théâtre. Je viens d’Haïti. En fait, c’est une pièce tirée de mon ouvrage : Les beautés noires de Baudelaire. Cette pièce sera à nouveau jouée à Paris, à la mairie de Surennes, au profit de mon pays suite au séisme. Je ne veux pas terminer mon propos par quelque chose de négatif, donc j’aimerais encore dire que j’ai une autre pièce en route : elle raconte comment Haïti à accueilli des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. »
« Je suis Driss Ksikes. Je suis dramaturge, j’ai écrit six pièce de théâtre, je viens du Maroc. Je suis venu à Prague avec un extrait de mon dernier texte, ‘180 degrés’, une pièce qui s’attaque de manière réflexive à la question de la burqa. J’ai été très heureux de voir comment les deux metteurs en scène ont réussi à construire une unité, une cohérence entre tous ces textes, la manière dont ils conçoivent la lecture de ces textes comme un spectacle et pas seulement comme une juxtaposition de moments différents. Concernant mon texte, je suis très heureux de voir qu’un texte parlant de la burqa, une question très marginale dans un pays comme celui-ci, leur parle. Ce que j’ai essayé de faire dans ce texte, c’est essentiellement la rencontre un photographe libertaire et une femme portant la burqa. Ce n’est pas une approche sociale de la burqa qui est obsessionnelle aujourd’hui, mais plutôt la question suivante : qu’est-ce qu’on cache, qu’est-ce qu’on voit quand on veut voir, qu’est-ce qu’on ne veut pas voir ? Ca leur a parlé, ça m’a paru intéressant de voir qu’un texte comme celui-ci pouvait voyager. Je pense qu’Ecritures du monde a un sens si les textes peuvent ainsi voyager entre les cultures. »Egalement présente à Prague cette semaine pour soutenir ce projet théâtral, Françoise Allaire, la présidente d’Ecritures du Monde, anciennement Ecritures vagabondes, qui revient sur les objectifs de l’association :
« C’est une association d’écrivains qui s’est fixée pour objectif de faire circuler les écrivains et leurs oeuvres. L’acte d’écrire est souvent un acte solitaire et contrairement à ce qui se fait fréquemment, c’est-à-dire des résidences d’écriture d’écrivains, nous organisons nous des résidences d’écriture pour des groupes d’écrivains que nous transportons ailleurs, à la rencontre d’autres cultures pour que de nouvelles oeuvres naissent. Depuis les dix ans de notre existence, nous avons été à l’origine d’une centaine d’œuvres dont un nombre significatif se joue dans le monde entier. Par exemple, je signalerais Terre Sainte de Mohamed Kacimi, qui se joue à Prague. Il est un des membres fondateurs d’Ecritures du Monde. Evidemment, nos démarches varient et nous construisons à chaque fois des projets différents. Ici en République tchèque nous avons construit ce projet avec l’Institut français. Nous avons été merveilleusement secondés sur le fond par les deux metteurs en scène qui ont construit à partir des textes qui leur ont été proposés un spectacle qui a beaucoup d’unité. Nous préparons l’opération retour en France. Ce sera soit à l’automne 2011 ou au printemps 2012. Nous sommes en train de négocier avec des salles parisiennes la présentation d’auteurs de théâtre tchèques. Nous allons les choisir. Nous avons demandé à différents experts tchèques de nous envoyer des textes, nous avons déjà quelques pistes. On a d’ailleurs rencontré un jeune auteur qui a eu un prix important. C’est Jiří Homola qui a eu le Prix Radok en 2009. Mais nous allons encore lire beaucoup de textes et nous allons les choisir en fonction des attentes du public français. »
Parmi les auteurs représentés lors de cette soirée théâtrale, David Lescot. Molière 2009 de la révélation théâtrale pour sa pièce Commission centrale de l’Enfance présentée mercredi dernier à l’Institut français de Prague, un autre opus de cet auteur était également présenté jeudi au théâtre Disk : un extrait de la pièce L’Européenne qui traite du grand brouhaha linguistique qui règne au sein de l’Union européenne. Présenter une pièce qui tourne en dérision cet aspect de l’Europe dans un pays comme la République tchèque dont le président est un farouche eurosceptique a évidemment quelque chose de piquant :« Tout le monde est plus ou moins eurosceptique. Il y a des eurosceptiques et des eurofanatiques un peu partout, et c’est un peu de cela que parle la pièce. Moi qui étais plutôt ‘euroégaré’, je me suis plongé dedans et ça m’a vraiment intéressé. J’ai imaginé des personnages assez fanatiques de l’Europe et aussi des gens complètement allergiques à l’Europe. Quand j’ai commencé à penser à la pièce, c’était le lendemain du référendum en France en 2005. Ca a été une sorte de cataclysme, puis ça s’est reconstruit, de façon d’ailleurs assez discutable, avec le Traité de Lisbonne. C’est vrai que le président tchèque a tenu tout le monde en haleine en disant : ‘moi je ne signe pas’. Le spectacle a été créé à ce moment-là : on attendait de savoir si le Traité de Lisbonne allait être signé ou pas. En tout cas, Klaus a réussi son coup ! »
L’Européenne, ça sonne un peu comme un hymne...
« C’était l’idée, oui. Parce qu’il est question d’hymne dans la pièce. On essaye de remplacer les vieux symboles, dont l’Hymne à la joie de Beethoven, qui est l’hymne officiel. Un compositeur essaye de le remplacer par quelque chose de plus nouveau parce qu’il a été trop galvaudé, récupéré par les nazis, les staliniens et par l’Apartheid... Il dit qu’on ne peut pas construire l’Europe là-dessus. Ca devient finalement l’hymne d’un tout petit pays qui n’a en fait même pas besoin d’hymne parce qu’il n’obtient pas son indépendance. Entre temps cet hymne est devenu un jingle de supermarché ! On raconte toutes ces choses-là, on joue avec les emblèmes politiques, les symboles et cet espèce de grande machine fumante qu’est l’Europe, dans laquelle on est censé vivre et qui rentre très lentement. »Vous n’êtes pas très pro-européen alors...
« Si... Je ne suis pas anti-européen, bien au contraire. Je crois qu’il y a une vraie aventure à mener. Mais je ne peux que constater qu’elle est menée de manière chaotique, cahotante. Quand j’ai une conviction, je sais bien que le meilleur moyen de la discréditer serait de la porter comme un mot d’ordre sur une scène de théâtre. Ca serait la desservir. Donc j’essaye de la regarder depuis le point de vue l’adversaire, j’essaye de la châtier pour voir si elle résiste bien. »