Festival de Karlovy Vary : road movie franco-perse et drame chilo-canin

'Avant la fin de l'été', photo: Film Service Festival Karlovy Vary

Le festival international du film de Karlovy Vary s’est achevé le weekend dernier avec la consécration d’un film tchèque, Křižáček, (Le Petit croisé en français), le premier à remporter la compétition principale depuis quinze ans. Mais il n’y avait pas que du cinéma tchèque au programme. C’est même plutôt le contraire : on pouvait ainsi par exemple découvrir un road movie aux accents farsis au cœur de la France, avec Avant la fin de l’été, ou bien un drame psychologique sur le Chili contemporain au prise avec les fantômes de la dictature de Pinochet, avec Los Perros. Les deux réalisatrices de ces films, Maryam Goormaghtigh et Marcela Said vivent à Paris mais c’est à Karlovy Vary que Radio Prague les a rencontrées.

Les amis d’Arash parviendront-ils à le dissuader de quitter Paris pour Téhéran ?

Maryam Goormaghtigh,  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
Ils sont trois amis iraniens, Arash, Hossein et Ashkan, autour de la trentaine, et ils vivent à Paris. Manque de pot pour Hossein et Ashkan, Arash n’est pas totalement satisfait de sa vie en France et souhaite retourner en Iran, où il a l’idée de poursuivre des études de droit. Avant son départ, avant la fin de l’été, ils se lancent donc dans un ultime voyage tous ensemble à travers l’Hexagone, vers la Méditerranée, pour convaincre leur acolyte de renoncer à son projet. Il s’agit du premier long métrage de Maryam Goormaghtigh, projeté d’abord à Cannes dans la programmation ACID, puis en République tchèque, début juillet, au festival de Karlovy Vary :

« C’est une première internationale déjà, et c’est une première fois en République tchèque. Je trouve le festival extrêmement accueillant. »

Comment avez-vous rencontré les trois acteurs de ce film, Arash, Hossein et Ashkan ?

« J’ai rencontré ces trois garçons dans un café, à Paris, un soir d’hiver, tout à fait par hasard. Il neigeait comme ce n’est pas permis, on s’est réfugié dans le café avec des amis parce qu’on avait froid. Je les ai vus, ils parlaient leur langue, le persan. C’est une langue pour laquelle j’avais un grand intérêt, parce que j’étais en train de l’apprendre à l’INALCO, qui est l’Institut des langues orientales à Paris. Je suis iranienne, et je ne connaissais pas cette langue, donc j’avais besoin de renouer avec ma culture. On a tout de suite sympathisé. Très peu de temps après, on s’est revu, puis revu. Très vite j’ai amené ma caméra et j’ai commencé à les filmer. C’est un processus qui a duré trois ans, on est devenu très amis pendant cette période, très intimes. La durée du tournage pour le film, par contre, c’est deux semaines et demie. On l’a vraiment fait dans l’urgence, parce que l’enjeu, c’est qu’Arash veut rentrer dans son pays, il ne s’est pas fait à la vie française, il ne se sent pas accueilli. Ses deux amis espèrent l’en dissuader en lui faisant voir autre chose de la France que Paris. »

A Karlovy Vary, Avant la fin de l’été était projeté dans la catégorie des documentaires. Maryam Goormaghtigh, elle, ne s’embarrasse pas trop de ces soucis de catégorisation, entre le réel et la fiction :

'Avant la fin de l'été',  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
« Ce qui se passe est en fait très spontané. Je savais que j’avais envie qu’on se retrouver un 15 août dans le village de Noirétable, parce qu’il y avait un défilé en grande pompe avec des miss de la Région. J’avais envie de les confronter à cette France-là. J’avais organisé par exemple la rencontre avec les filles. Ces deux amies à moi, je leur ai dit : ‘J’aimerais que vous participiez à mon projet de film. J’ai trois copains qui font un road-trip et j’aimerais que vous les rencontriez et on va voir ce qu’il se passe.’ En réalité, j’ai choisi Charlotte et Michèle, parce que je savais que Charlotte avait un faible pour les garçons un petit peu enveloppés. Je me suis dit qu’avec Arash, qui est pour le coup très enveloppé, ça allait peut-être marche, qu’ils allaient se plaire. J’avais l’idée d’un happy end en tête. J’ai organisé cette rencontre, je l’ai filmée et ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé. Les personnages m’ont amenée vers une autre direction. C’est très agréable, parce que finalement, c’est aussi eux qui m’ont entraînée vers leur histoire. C’est un film qui se sert du réel pour construire un récit, et vice et versa. »

Au final, Arash retourne en Iran, est-ce que vous aviez réellement cet espoir qu’il puisse rester ?

« Non. En réalité, je ne suis pas naïve. En deux semaines et demie on ne peut pas dissuader quelqu’un de partir. C’est une décision très importante, qui va bien au-delà de cela mais je trouvais que c’était un enjeu suffisamment dramatique et aussi rigolo pour construire un film. Le film ce n’est pas cela en fait. C’est avant tout raconter cette amitié et surtout parler de l’entre-deux dans lequel se situent les gens qui vivent à cheval entre deux pays. »

« Ce qui va me manquer le plus, c’est le rayon alcool du Carrefour », affirme Arash dans le film. C’était sans doute effectivement trop peu pour le persuader de rester en France. D’alcool et de thèmes très variés, il est question dans le long-métrage, à l’occasion de nombreuses discussions philosophico-rigolotes entre les protagonistes. Ce sont elles qui rythment Avant la fin de l’été :

'Avant la fin de l'été',  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
« Je me suis servie pour le tournage de nos discussions, qui étaient très récurrentes quand on se voyait avec les trois personnages. Par exemple pour pouvoir caractériser le personnage d’Arash, qui a pris du poids pour être exempté de service militaire ; ou bien le personnage de Hossein, qui est dans une situation complexe, parce qu’il doit choisir entre partir faire son service militaire et se couper de sa vie en France ou rester mais se couper de sa vie en Iran, parce que si on n’a pas fait son service on ne peut plus y rentrer.

Ce sont des choses dont je me suis servie pour mieux caractériser les personnages pendant le tournage. Par exemple je leur disais : ‘Voilà, j’ai envie qu’on parle de cela’, et ils ré-abordaient les sujets, mais sans regarder la caméra, entre eux. Quand j’avais besoin qu’Arash raconte comment il a fait pour prendre du poids pour pouvoir être exempté, je disais à Hossein : ‘Est-ce que tu peux lui poser la question ?’ Je construisais ainsi. Ce sont des discussions qu’on a eues en amont, qui m’ont servies pour écrire le film. »

Comment cela s’est-il passé dans la voiture, sur un si long trajet ? Il se passe toujours des choses dans un road trip. Il y a Arash qui fume beaucoup par exemple, cela ne doit pas être toujours très agréable...

« Pour moi c’était dur, parce qu’il y avait aussi Hossein qui fumait dans la voiture, donc ça sentait la clope. Parfois je leur disais : ‘Stop, maintenant on arrête de fumer’. Et puis ce n’est pas toujours facile d’être avec trois garçons, même si c’était très agréable, parfois j’en avais marre. On était dans un huis clos, on était fatigués. Dès qu’on arrivait quelque part il fallait monter les tentes, ranger les tentes, c’était épuisant pour tout le monde. Par ailleurs c’était une expérience un peu folle.

Maintenant que j’y pense, j’ai l’impression que j’étais dans une sorte de transe. Je dormais très peu, je filmais tout le temps, je ne mangeais quasiment pas. J’étais tout le temps en train de faire le film, je finissais de dé-rusher très tard dans la nuit, je dormais quelques heures et le lendemain on repartait. C’était très prenant, comme si j’avais fait corps avec la caméra et le dispositif, parce que je gérais le son, l’image et l’organisation du tournage. Avec du recul, je me dis que c’était une aventure complètement folle. »

Mariana, quadragénaire et bourgeoise chilienne, parviendra-t-elle à se libérer ?

Marcela Said,  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
Mariana prend des cours d’équitation et son professeur est un personnage pour le moins intriguant, dont elle apprend qu’il est poursuivi par la justice pour des faits remontant à l’époque de Pinochet. Mariana est intriguée et prend le parti de se rapprocher de cet homme plus âgé qu’elle, au risque de mettre en péril l’équilibre de sa famille, dont le passé ne semble pas non plus très net… Avec Los Perros, (Les Chiens, en français), la réalisatrice Marcela Said, qui revendique aussi une visée féministe, propose une virée au cœur des tourments de la bourgeoisie chilienne. Nous l’avons rencontrée après la projection de son film, à l’hôtel Pupp de Karlovy Vary…

Marcela Said, pouvez-vous me dire quelle est la signification de ce titre, ces chiens, Los Perros, Qui sont-ils ?

« Il y a les vrais chiens, et il y a aussi les militaires. C’est-à-dire, ceux qui ont fait le sale boulot, le boulot des chiens, comme on dit au Chili. On peut dire aussi qu’il y a tous ces hommes, qui entourent les personnages principaux. »

En l’occurrence dans le film, le militaire c’est un colonel qui est poursuivi pour des exactions qu’il aurait commises sous la dictature de Pinochet. Cette histoire est en partie autobiographique, est-ce-que vous pouvez nous raconter ?

« Il y a quelque années, j’ai tourné un documentaire, qui s’appelle El mocito, (The Young Buttler, en anglais). C’est l’histoire d’un jeune homme, qui travaillait pour le chef de la police secrète. Il faisait le ménage, il servait le café. Un colonel le rencontre alors, dans la maison de Contreras (ndlr : Manuel Contreras, directeur des renseignements chiliens sous Pinochet), et qui l’emmène dans son centre de répression, pour faire la même chose. Par exemple, il sert le café pendant les séances de torture. Quand la police l’a retrouvé, trente ou quarante ans plus tard, il se rappelait de tout. Il a tout dit. Grâce à son témoignage, ils ont mis 70 personnes en prison. Après avoir témoigné, il est allé se cacher dans la forêt. C’est à ce moment-là que j’ai commencé le film.

El Mocito, c’est un portrait psychologique de ce personnage, où il raconte ce qu’il a vécu. On y voit un peu son procès. C’était très compliqué, parce qu’il racontait tellement de choses affreuses qu’il fallait rencontrer quelqu’un d’autre qui puisse témoigner de leur véracité. Dans la foulée, j’ai retrouvé le colonel, c’est-à-dire son chef. Il était devenu professeur d’équitation pour familles bourgeoises dans un petit centre de Santiago. Il ne voulait pas témoigner. A ce moment-là, j’ai commencé à prendre des cours d’équitation avec lui pour avoir une interview. J’ai pris des cours avec lui pendant deux ans, jusqu’à ce qu’il aille en prison. C’est lors de mon expérience avec ce personnage que j’ai eu cette idée d’écrire le film. »

Dans le film, on suit une femme de la bourgeoisie chilienne qui suit des cours d’équitation, avec le colonel pour professeur. Pourriez-vous nous décrire le personnage de cette femme qui évolue dans la bourgeoisie chilienne ?

'Los Perros',  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
« Je voulais faire le portrait d’une femme bourgeoise qui appartient à cette classe qui a profité de la dictature, avec un père complice. Je voulais montrer comment la vie fait qu’elle tombe sur quelqu’un qui a commis des exactions à cette époque, et comment elle va gérer tout cela. Elle va gérer son passé, son mari, la justice, elle-même. Ce qui m’intéressait, c’était de faire le portrait d’une femme qui, du jour au lendemain, est confrontée à tout cela. Elle est très curieuse mais, en même temps, elle ne sait pas trop quoi faire. Elle essaye de se libérer, mais elle a un comportement très erratique. Elle n’y arrive pas finalement. »

Vous avez à l’instant assisté à la projection du film. Comment s’est passé ensuite le débat avec le public tchèque ? Est-ce-que les questions vous ont surprise ?

« Non, mais j’étais très curieuse de voir comment il allait régir, je voudrais en savoir d’avantage d’ailleurs. Par contre, la petite discussion que j’ai eue avec quelques jeunes adolescents, juste après le film, a été intéressante. Ils m’ont expliquée que les femmes tchèques ne sont pas du tout comme les femmes chiliennes, qu’elles n’ont pas les mêmes problématiques, et sont beaucoup plus libérées par rapport à la femme du film. Je me demande vraiment dans quelle mesure elles sont plus libres. Je suis très curieuse de cela. Il faudrait peut-être vivre un tout petit peu plus dans le pays pour savoir si elles ont vraiment gagné leurs droits, si elles sont dans une relation horizontales avec les hommes, si elles gagnent les mêmes salaires, si elles partagent le travail domestique à la maison, si ce sont des femmes libérées sexuellement, c’est-à-dire qu’elles peuvent suivre leurs désirs et avoir des amants. Dans quelle mesure sont-elles vraiment libres ? Je suis très curieuse de le savoir. »

Vous êtes en train de me dire que vous allez vous installer en République tchèque pour le savoir ?

'Los Perros',  photo: Film Service Festival Karlovy Vary
« Ou investiguer davantage, oui. »

Une dernière question, vous nous disiez que vous ne connaissiez pas du tout la République tchèque auparavant. Quelle idée on s’en fait au Chili ?

« On s’en fait peut-être une mauvaise idée. On vivait sous le gouvernement Pinochet, qui détestait les communistes, déjà. On nous présentait les pays communistes comme quelque chose qui n’était pas forcément une réussite mais un échec total. C’est bizarre parce qu’en arrivant dans le pays, j’ai été étonnée. C’est très beau, la nature est très belle. Ce n’est peut-être pas très représentatif, il faut que j’aille à Prague, que je voyage plus. Je vois un pays moderne, j’ai l’impression que les gens s’en sortent mieux que les Chiliens. Je ne connais pas les chiffres de l’économie, du chômage, mais ce n’est pas le plus intéressant. Il faudrait plutôt savoir comment les Tchèques se sentent, s’ils sont heureux, s’ils arrivent à avoir une famille, s’ils ne galèrent pas trop. Au Chili, la vie est très difficile. Pour les Chiliens qui ne connaissent pas, je dirais qu’ils ont pas mal de préjugés. »