František Kriegel, incorrigible communiste ou héros du Printemps de Prague ?
Il y a 46 ans, en août 1968, le mouvement réformateur du Printemps de Prague était écrasé par l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie. Vingt-six dirigeants communistes tchécoslovaques, emmenés de force à Moscou, furent contraints de reconnaître la légalité de cette agression. Tous signèrent le fameux document sauf un, František Kriegel, dont la mémoire est actuellement ravivée à la faveur d’un débat sur la question de lui attribuer ou non le titre de citoyen d’honneur de l’arrondissement de Prague 2.
« František Kriegel a vécu une grande partie de sa vie à Prague 2 et c’est une personne très intéressante, l’une des plus fortes, des plus fascinantes dans le passé de la Tchécoslovaquie. »
Un rapide aperçu de sa fiche biographique suffit à confirmer ces dires. Né dans une famille juive pauvre en 1908 aux confins est de l’ancienne Autriche-Hongrie, František Kriegel rejoint Prague à la fin des années 1920. Après des études de médecine et son engagement au sein du parti communiste, il s’engage dans les Brigades internationales pour combattre les franquistes en Espagne, puis participe à la Seconde Guerre mondiale sur différents fronts asiatiques.
Revenu en Tchécoslovaquie, František Kriegel participe au Coup de Prague qui voit les communistes prendre le pouvoir. Victime des épurations antisémites des années 1950, il reprend du galon au sein du parti la décennie suivante où il est l’un des meneurs des communistes réformistes favorables aux événements du Printemps de Prague, mouvement arrêté par la force des armées du Pacte de Varsovie en août 1968. František Kriegel s’illustre alors :
« František Kriegel a sauvé l’honneur de la Tchécoslovaquie en août 1968. Il a été le seul à ne pas signer les protocoles de Moscou, c’est-à-dire la capitulation de la Tchécoslovaquie à Moscou quand les tanks du Pacte de Varsovie sont arrivés en République tchécoslovaque. »Après cet acte de bravoure, František Kriegel entre en dissidence dans les années 1970 puisqu’il est l’un des premiers signataires de la Charte 77. Ce riche parcours n’a cependant pas trouvé grâce aux yeux du conseil municipal de Prague 2, qui avec 14 voix contre, 7 voix pour et 6 abstentions, a refusé de lui accorder la citoyenneté d’honneur. Son passé communiste, notamment en février 1948, au moment du Coup de Prague, où il dirigeait des milices populaires, ne passe pas, surtout auprès des conseillers municipaux issus de la droite :
« Si quelqu’un avait proposé Frantisek Kriegel au début des années 1990, il n’y aurait pas eu de débat, il aurait eu cette citoyenneté d’honneur. Mais le temps passe et il y a une réinterprétation du passé. Souvent on parle de la Charte 77 avec un certain mépris car il y avait beaucoup de communistes, c’est vrai. Les communistes, les vrais communistes qui étaient expulsés du parti, rentraient dans l’opposition, dans la Charte 77, et jouaient un rôle démocrate. Beaucoup d’eux étaient des communistes authentiques. Il y a un jeu politique qui essaie d’utiliser le passé pour des objectifs politiques contemporains. »
Michal Uhl regrette ainsi le discours manichéen qui entoure la période communiste et qui empêche de l’analyser de façon réellement critique. Aussi, il se félicite de l’ouverture du débat sur cette question grâce à la figure complexe de František Kriegel :
« A mon avis, c’est un grand succès parce que c’était une occasion, une opportunité de parler du passé. Normalement nous n’en parlons pas. On a parlé de František Kriegel. Les jeunes générations ne le connaissent plus. Tous les médias ont parlé de lui, de cet événement. Gagner ou perdre un vote dans une petite mairie de Prague n’est pas important, ce qui est important c’est que le débat dans la société ait bien résonné. »