55 ans depuis le Protocole de Moscou entérinant l’occupation soviétique
Il y a 55 ans le Protocole de Moscou entérinait l’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie. Un document signé par tous les dirigeants de l’époque à l’exception d’un seul homme.
21 août 1968. L’espoir suscité par le Printemps de Prague, très courte période de libéralisation de la vie politique et culturelle tchécoslovaque, est écrasé par les chars soviétiques. Dès la première nuit d’occupation, plusieurs hommes politiques comme le dirigeant communiste Alexander Dubček, le Premier ministre Oldřich Černík, le président du Parlement Josef Smrkovský, le dirigeant du Front national František Kriegel et Josef Špaček sont internés et emmenés manu militari hors du territoire tchécoslovaque.
Toutefois, les autorités d’occupation ne parviennent pas à obtenir le soutien du président Ludvík Svoboda et à instaurer un « gouvernement ouvrier-paysan » de collaboration, pour asseoir la légitimité politique de l’intervention. Pendant ce temps-là, dans les rues, Tchèques et Slovaques expriment leur soutien inconditionnel aux artisans du Printemps de Prague.
Dans cette situation, le Kremlin accepte l’offre de Ludvík Svoboda de venir négocier à Moscou en échange du retour des hommes politiques internés. Outre le président, Gustáv Husák, Martin Dzúr, Bohuslav Kučera, Milan Klusák, Jan Piller, Alois Indra, Jozef Lenárt et Vasil Biľak s’envolent pour Moscou le 23 août. Les autres hommes politiques captifs se joignent ensuite aux pourparlers de Moscou et la délégation tchécoslovaque s’élargit encore, avec Zdeněk Mlynář et Miloš Jakeš.
Soumis à une pression terrible, les dirigeants tchécoslovaques finissent par céder et signent le protocole de Moscou, un document qui les oblige à revenir sur les réformes lancées depuis le début de l’année et à restaurer le régime autoritaire dans leur pays. Le seul membre de la délégation tchécoslovaque qui refuse de signer ce document de la honte est František Kriegel. Pour cet ancien des brigades internationales, médecin, vieux routard de la lutte communiste, ce protocole s’apparente à un test de foi comme le disait à notre antenne le réalisateur Petr Nikolaev, auteur d’un biopic sorti récemment en salles :
« Je pense que ses origines jouent un rôle. Il n’était ni tchèque ni slovaque, mais galicien de confession juive. En tant que jeune homme, il a dû affronter les difficultés de l’exil. Il s’est forgé dans des situations différentes que ce que les autres avaient vécu. Il a assumé la responsabilité de milliers de vies sur le front espagnol durant la guerre civile. Il était obligé de prendre des décisions et avait le pouvoir de les prendre. D’après moi, il ne manquait pas de confiance en lui. Et je pense que c’est en cette confiance ferme que résidait sa force. C’était un idéaliste, et en ce sens on ne pouvait marchander avec les idéaux. »
Les exigences des Soviétiques étaient claires : les dirigeants tchécoslovaques étaient sommés d’accepter l’occupation et de déclarer invalide le 14e congrès extraordinaire du Parti communiste tchécoslovaque, réuni en secret à l’usine ČKD du quartier de Vysočany à Prague le 22 août, et qui rejetait, entre autres, la violation de la souveraineté du pays et exigeait le retrait immédiat et sans condition des troupes étrangères.
En signant le protocole de Moscou, les dirigeants tchécoslovaques ont toutefois entériné la fin du processus de libéralisation du Printemps de Prague. Ce texte contient déjà le mot de « normalisation » qui deviendra le terme pour désigner toute la période jusqu’à la révolution de Velours en novembre 1989. Le protocole déclare le Congrès de Vysocany nul et non avenu et ne mentionne pas la date de départ des troupes qui ne quitteront le sol tchécoslovaque que plus de deux décennies plus tard, en 1991.
Les mois suivant la signature du Protocole sera une longue suite de compromissions et d’espoirs déçus, marqués par le sacrifice de Jan Palach en janvier 1969, la victoire des hockeyeurs tchécoslovaques contre l’URSS en mars de la même année, puis la chute d’Alexander Dubček.
Quant à František Kriegel, il est déchu de ses fonctions, exclu du Parti communiste, et ne pourra même plus travailler comme médecin. Sa vie devient une suite d’interrogatoires, de surveillance et de représailles par la StB. Il sera l’un des premiers signataires de la Charte 77, document qui appelle le régime à respecter les droits de l’homme et ses engagements internationaux. Personnalité respectée de la dissidence tchèque, František Kriegel meurt des suites d’un infarctus en décembre 1979. Pour beaucoup et aussi pour Ivan Fíla, auteur d’une biographie sur l’homme politique et son parcours, František Kriegel est et restera celui qui a sauvé l’honneur :
« Son comportement à Moscou en août 1968 est tout à fait exceptionnel dans notre histoire moderne. Il nous a montré le chemin. František Kriegel a prouvé qu’il était possible de ne pas courber l’échine et de se battre pour la liberté. Malheureusement personne n’a suivi son exemple et il est resté seul. »
Depuis 1987, la Fondation de la Charte 77 décerne un prix à son nom récompensant le courage de ceux et celles qui luttent pour les droits de l’homme, les valeurs démocratiques, l’impartialité et l’indépendance.