František Listopad, poète tchèque et écrivain portugais

František Listopad

"Tout ce que j'ai jamais fait et vécu, comment et avec qui j'ai jamais vécu, avait toujours la même origine, et c'était la poésie," a dit le poète František Listopad (1921-2017). L’écrivain a vécu dans trois pays, écrivait en trois langues mais ne pouvait écrire de la poésie qu'en tchèque. František Listopad est né le 26 novembre 1921, il y a tout juste un siècle.

Le poète face à la cruelle réalité

"La poésie est quelque chose qui est en moi et en même temps en dehors de moi," constatait František Listopad et on pourrait en déduire que le monde s'ouvrait à lui comme un espace douillet et accueillant dans lequel il pouvait librement développer son talent poétique. Cependant, la réalité dans laquelle il lui fallait vivre était très souvent épineuse et dramatique. L'écrivain et journaliste Karel Hvížďala évoque les épreuves au travers desquelles le sort a obstrué le chemin de ce jeune adepte de la littérature :

"Il s'appelait Jiří Synek et il a choisi son pseudonyme artistique selon le mois de novembre - listopad, mois de sa naissance. Même son prénom Jiří lui semblait trop poétique, trop lyrique, trop parfumé. Alors il est devenu František Listopad. Sa mère est morte quand il avait 11 ans, son père Emil Synek et son oncle Karel ont été déportés dans un camp de concentration où les deux frères sont morts. Mais Jiří Synek, alias František Listopad, a refusé de se faire déporter et est entré dans la clandestinité."

La clandestinité, la libération et les nouveaux élans

Photo: United States Holocaust Memorial Museum,  Washington,  DC,  public domain

Presque toute la famille, de confession juive, de František Listopad finit dans des camps d'extermination mais le jeune homme qui se doute qu'il s'agit d'un chemin sans retour, cherche et trouve une issue. Il écrit une lettre d'adieux dans laquelle il annonce son intention de se suicider et disparaît. On le recherche en vain. Porté disparu, il passe la période de l'occupation en se cachant chez des amis et c'est de cette façon qu'il échappera à l'Holocauste et survivra jusqu'à la libération. Karel Hvížďala rappelle la courte période au lendemain de la guerre qui a permis au jeune poète de s'imposer dans la vie culturelle et littéraire tchèque :

"Vers la fin de l'occupation il a adhéré au groupe de résistance Za svobodu - Pour la liberté. Le 9 mai 1945 il est entré avec ses amis, l'arme à la main, à la rédaction du journal allemand Prager Tagblatt et il a fondé, avec ses amis, le journal Mladá fronta. C'était le premier journal libre en Tchécoslovaquie dans l'après-guerre.Son premier numéro aurait été vendu à 150 000 exemplaires. "

Le premier recueil de poésies

Photo: Éd. Jos. R. Vilímek Praha

Après la libération František Listopad s'efforce de rattraper le retard des années de la guerre et se lance dans plusieurs activités simultanées. Il étudie à la faculté des lettres l'esthétique et l'histoire de la littérature, dirige la rubrique littéraire du journal Mladá fronta, travaille dans la maison d'édition ayant appartenu à son oncle Karel Synek et écrit de la poésie. Son premier recueil, qui réunit surtout des poèmes rédigés sous l'occupation, paraît en 1945 et est salué par une partie de la critique comme l'œuvre d'un jeune poète prometteur.

Le jeune homme travaille fiévreusement comme s'il savait que l'optimisme d'après-guerre ne ferait pas long feu et que les événements ultérieurs entraineraient une fin brutale de cette heureuse étape de sa vie.

Le départ en exil

Dans la biographie sommaire de František Listopad, Karel Hvížďala résume ainsi les jours où la vie du jeune poète a de nouveau basculé :

Paris dans les années 1950 | Photo: Albert Monier,  whatsthatpicture/Wikimedia Commons,  CC BY 2.0

"En 1947 il est parti à Paris pour devenir correspondant de son journal. En France, il a travaillé par la suite comme rédacteur de la revue franco-tchèque Parallèle 50. Il m'a dit à propos de cette période : 'Après février 1948, après le coup d'Etat communiste,  je suis encore retourné à Prague mais ce n'était qu'un saut pour me convaincre de ce dont j'étais déjà profondément convaincu et j'ai regagné Paris un seul dollar dans la poche avec lequel j'ai généreusement payé un chauffeur de taxi. C'est ainsi que j'ai commencé ma nouvelle vie.' "

C'est une évidence, la dictature communiste ne permettra pas aux jeunes de vivre et de travailler librement. František Listopad désire vivre libre et l'existence incertaine de même que les épreuves du destin ne sont pas pour lui des phénomènes nouveaux. La mort prématurée de sa mère, la fuite pour échapper à la déportation et les années passées dans la clandestinité lui ont appris à comment se comporter dans des situations qui semblent sans issue. Il prend la décision douloureuse de quitter son pays et une fois de plus il réussit à échapper de justesse aux forces du mal. Karel Hvížďala rappelle les circonstances dangereuses de cette fuite :

"Il a passé la frontière grâce à un faux tampon qu'il avait fabriqué la veille à partir d’une moulure en plâtre dans un laboratoire de dentiste déserté. Il tremblait beaucoup à la frontière craignant que les douaniers ne découvrent la supercherie mais il n'ont rien vu. Par la suite il a vécu dix ans à Paris où il a travaillé à la radio et à la télévision."

František Listopad | Photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo

Entre la France et le Portugal

C'est donc à Paris que commence la nouvelle vie de František Listopad qui devient un éternel exilé. En France, il a d'abord l’impression d'avoir perdu sa langue, d'être devenu muet et cherche à s'exprimer d'une façon différente, par l'image, par le théâtre et la télévision. Il entre en collaboration avec le réalisateur Jean-Christophe Averty, il devient cofondateur de la RTF – Radiodiffusion-télévision française - et il signe plusieurs pièces radiophoniques et télévisées.

Porto dans les années 1960 | Photo: Daniel VILLAFRUELA,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

Il pourrait sans doute rester en France mais c'est le Portugal qui devient finalement sa nouvelle patrie. Il se marie avec une Portugaise et en 1958 il part avec sa famille à Porto. Il trouve une nouvelle énergie pour apprendre la langue et pour s'établir au Portugal. Et comme partout, il finit par réussir. Il se découvre un talent de pédagogue. Il dit : "J'enseigne très intensivement, avec presque la même intensité que celle avec laquelle j'écris de la poésie. Je suis un assez bon organisateur. Ce n'est que ma vie qui est organisée d'une façon déplorable."

La brillante carrière portugaise d'un émigré tchèque

František Listopad | Photo: Básník František Listopad/ČT

La carrière portugaise de František Listopad est brillante. Il enseigne d'abord à l'Université technique de Lisbonne, puis devient directeur de l'Institut des sciences sociales et politiques et finalement directeur de l'Ecole supérieure de théâtre et de cinéma. Metteur en scène renommé, il monte toute une série de productions théâtrales très applaudies. Le portugais est désormais sa langue d'usage au quotidien dans laquelle il écrit des articles, des essais, des critiques de théâtre, des nouvelles. Il devient écrivain portugais mais la source de sa poésie se tarit. Beaucoup plus tard il constatera :

Photo: Český spisovatel

"Au Portugal je n'ai écrit que quelques petits poèmes, peut-être une demi-douzaine, mais c`était toujours tout à fait exceptionnel. Je suis un poète tchèque et je ne peux écrire de la poésie qu'en tchèque. Je peux exprimer ce qui est poétique par d'autres formes, par le théâtre ou par la prose. Je suis poète dans tout ce que je fais mais je ne peux écrire des vers et des poèmes qu'en tchèque."

L'éveil des sources

Photo: Éd. Cherm

C'est la chute du régime communiste dans son pays qui constituera encore un grand tournant dans l'existence de František Listopad. En 1989 il accompagne le président portugais Mario Soares lors de sa visite à Prague. Il retrouve sa vieille patrie et doit beaucoup se retenir pour ne pas pleurer. Le poète, que les circonstances de la vie ont réduit au silence, reprend la parole. Pendant le reste de sa vie il se rendra souvent dans sa patrie tchèque et écrira de nouveau de la poésie. Comblé d'honneurs et de prix littéraires, il s'éteindra en 2017 à Lisbonne à l'âge de 95 ans après avoir publié plusieurs recueils de poésies tchèques. Ses derniers livres lui auront finalement permis de traduire en poésie les sensations, les souvenirs, les chagrins, les espoirs, les regrets, les élans et les beautés qui se sont accumulés en son for intérieur au cours de sa longue vie.

Auteur: Václav Richter
mots clefs:
lancer la lecture