Handa Gote : à la recherche de l’imperfection
Handa Gote est un groupe d’artistes qui prônent l’imperfection, évitent l’illusion et effacent la distinction entre le devant et le derrière de la scène. Le vrai nom de l'ensemble est Handa Gote Research & Development et c’est par la recherche et le développement de différentes techniques qu’il cherche à déconstruire le spectacle et de le défaire de tout ce qui est « théâtral ». Auteur de plus d’une dizaine de créations, Handa Gote a présenté en avant-première la saison 2014, « Le Sacre du printemps » (Svěcení jara), une nouvelle pièce qui repousse encore plus loin les limites de ce qui peut se faire sur une scène.
« Nous sommes un théâtre un peu bizarre, je suppose, parce que nous essayons de le faire différemment. Nous ne créons pas de genre spécifique, pas de tragédies ou de comédies. Ce qui nous a rassemblés, c’est l’envie de tout fabriquer nous-mêmes. Au départ, on n’a pas eu d’autre choix. De là vient aussi le nom de notre groupe, Handa Gote en japonais veut dire fer à souder, parce que nous avons dû tout souder nous-mêmes. »
Ils s’inspirent aussi des éléments de la philosophie japonaise et plus spécifiquement de l’esthétique « Mono no aware » qui signifie en japonais « la sensibilité pour l’éphémère ». En effet, Handa Gote vénère la beauté de tout ce qui se dégrade et recherche l’imperfection dans ses spectacles.« Notre société a mis en place un culte de la perfection qui avoisine un perfectionnisme total. Cette logique a toujours était très lointaine pour nous. En revanche au Japon, on aime les choses telles qu’elles sont avec leurs imperfections, cela nous a fasciné. »
Avec sa recherche délibérée de l’imperfection, Handa Gote propose donc une approche différente du spectacle. Le groupe ne crée pas d’illusion, au contraire, elle installe sur la scène tous les instruments qui sont normalement cachés dans les coulisses.
« Nous ne jouons rien au sens propre du terme, nous ne créons pas d’illusions. Nous montrons les choses comme elles sont. Dans mon autre spectacle, « Les Nuages » (Mraky), qui porte sur le passé de ma famille, tout ce que je dis est vrai. Tout est vrai dans la mesure où j’ai puisé des notes de mes grands-parents sans penser qu’il s’agit d’un récit objectif du passé. Mais après le spectacle, les gens me demandent si j’habite vraiment dans la maison dont je parle parce qu’ils ne sont plus habitués à entendre la vérité. »
La recherche d’authenticité et le refus du culte de la perfection se traduisent aussi par le refus d’un timing parfait et d’organisation minutieuse du spectacle. Bref, tout ce qui est « théâtral » dans le théâtre est voué à être décomposé et à disparaître de la recherche et du développement de Handa Gote.Pour tout fabriquer devant les yeux du public, la scène est remplie des objets pour projeter de la vidéo ou pour créer des sons, un mélange des câbles et du bric-à-brac. Les avancées technologiques ne sont pas au rendez-vous, les artistes aiment le retro et éprouvent une nostalgie pour les cassettes plus qu’une admiration vis-à-vis des iPod.
« Nous ne nous servons pas du tout des ordinateurs, nous créons la musique de façon analogique notamment à l’aide de tourne-disques. Cette façon de faire de la musique nous permet d’exprimer notre amour pour tout ce qui vient du passé. Dans notre époque, tout vieillit beaucoup plus vite. Le magnétophone est aujourd’hui un artefact archéologique et c’est pour cela que nous l’utilisons. »
Pourquoi cette admiration du passé ? Pourquoi faire de l’archéologie médiatique sur scène aujourd’hui ? Cela relève en effet d’une vision plutôt sinistre du sort de notre civilisation.« Nous pensons que notre civilisation va droit dans le mur. Nombreux sont nos spectacles qui reflètent cette conviction. Par exemple notre création Métal music traitait d’un monde post-catastrophe avec seulement quatre survivants sur Terre qui doivent se nourrir et tout recréer pour survivre. Nous réfléchissons sur l’avenir de l’humanité dans nos pièces. »
Les membres de Handa Gote sont aussi des passionnés d’anthropologie et s’intéressent aux cultures des peuples indigènes, notamment à un aspect presque disparu de nos sociétés, le rituel. Leur spectacle le plus récent, « Le Sacre du printemps » s’interroge sur la place du rituel dans nos vies et essaie de concevoir un rituel pour notre époque.
« Nous avons fait une recherche sur ce qu’est un rituel afin de le revivre et essayer d’en créer un à nous. Toutes les sociétés anciennes ou non-européennes célèbrent l’arrivée du printemps, qui est un temps crucial pour le reste de l’année en termes de fertilité des femmes comme des terres. Ce que ces rituels ont en commun, c’est que l’hiver doit mourir pour que le nouveau puisse naître. »
Le résultat est une pièce dans laquelle joue Veronika Švábová et un performeur finnois Pasi Mäkelä. Tout au long du spectacle ils ne se parlent pas du tout, ils ont toujours des visages cachés sous des masques en tissu. Ils changent plusieurs fois d’habits et des sexes. Ils vénèrent des symboles de la fertilité et s’engagent dans les danses rituelles.Veronika Švábová évoque ce qui lui a apporté la coopération avec Pasi Mäkelä, qui est familier des projets de Handa Gote parce qu’il travaille régulièrement avec son fondateur, Tomáš Procházka.
« Pasi Mäkelä a apporté au spectacle ses connaissances musicales. Il a introduit les nouveaux effets retro. Il est aussi un grand improvisateur même si on a quand même délimité une structure pour ce spectacle. Il nous a appris sa version d’une ancienne danse japonaise et il nous a fait part de son expérience avec les danses rituelles de la Zambie. La rencontre entre les deux mentalités, la tchèque et la finnoise, m’a aussi beaucoup appris. »
Le nom du spectacle, Le Sacre du printemps, fait penser à l’opéra d’Igor Stravinsky, réalisée avec la chorégraphie de Vaslav Nijinski en 1913, mais dont le spectacle éponyme de Handa Gote s’inspire peu. Veronika Švábová souligne que les artistes ont pris connaissance de cet original célèbre, mais ils ne l’ont pas pris comme un modèle.
Le rituel de Handa Gote apparaît dans sa brutalité et sa cruauté. Veronika Švábová estime que pour qu’un rituel remplisse sa fonction, il doit défier l’individu, il doit s’agir d’un moment difficile, presque destructeur. Tel peut-être notamment l’effet de leur spectacle.
« Aujourd’hui, nous manquons d'un sentiment d’appartenance à la communauté. Nous n’avons plus de rituels, tout semble avoir été vidé de son contenu. En revanche, quand les gens vivaient dans une société bien soudée, cela a aussi dû être difficile, chacun avait son rôle à remplir, ils ont dû faire des sacrifices pour le bon fonctionnement de l’ensemble. Dans cette optique, le rituel a dû être un moment difficile, sinon il n’aurait pas eu son pouvoir. »Avec ses spectacles, Handa Gote voyage souvent à l’étranger, notamment dans des festivals en Bulgarie, en Roumanie, en Allemagne ou encore en Corée du Sud. Pour les spectateurs en République tchèque, la pièce expérimentale « Le Sacre du printemps », qui est sans barrières linguistiques, mais pas pour autant accessible à tout le monde, est toujours à voir sur la scène du théâtre Alfréd ve Dvoře à Prague.