Jakub Vágner, l’homme qui embrasse les poissons
Vivre de nouvelles aventures en découvrant des poissons - telle est la philosophie de vie de Jakub Vágner. Le plus célèbre des pêcheurs tchèques voyage depuis plusieurs années aux quatre coins du monde pour admirer la faune aquatique. Ses expéditions s’orientent la plupart du temps vers des régions éloignées et souvent peu explorées de la planète. Ces derniers temps, son intérêt s’est porté sur le bassin de l’Amazone en Amérique du Sud ainsi que sur l’Afrique, où il se consacre notamment à l’exploration du Congo. Avant cela, Jakub Vágner a travaillé comme guide de pêche en Australie et dans de nombreux pays en Europe et mené des expéditions vers les pays de l’ex-URSS. Portrait de cet aventurier tchèque hors norme, qui semble ignorer ce qu’est la peur.
« Nous n’avons que très peu d’informations pour ne pas dire aucune sur les fonds des océans. Nous n’avons que des estimations très approximatives. Mais il n’est absolument pas nécessaire de plonger jusqu’à des profondeurs de 10 000 mètres. Par exemple, la profondeur du fleuve Congo atteint par endroits 500 mètres. On pourrait donc certainement y trouver des poissons que personne n’a encore vus, comme dans d’autres fleuves. J’ai moi-même découvert dans le lac Tanganyika (un des Grands Lacs d’Afrique) un poisson qui n’était pas encore répertorié. Mais plutôt que des poissons de grande taille, je crois que ces nouvelles découvertes se rapporteront à des dizaines et même à des centaines de poissons de petite taille. »
Tout petit déjà, Jakub Vágner se passionne pour la pêche. Et sans le savoir alors, le silure de cinq kilos qu’il a pêché à l’âge de 8 ans a peut-être bien déterminé sa vocation. Fils du musicien et compositeur Karel Vágner, rien ne le prédestinait pourtant à faire partie du royaume aquatique. Malgré les réticences de sa famille, il quitte le lycée pour l’Australie, où il est confronté aux premières réalités de la vie. Mais c’est sa rencontre fortuite avec Rex Hunt, personnalité médiatique australienne et grand passionné de pêche, qui lui donnera le virus. Rex Hunt devient son guide, un mentor qui ne dissuade pas le jeune Jakub de poursuivre ses rêves. Et peu importe que la République tchèque n’ait pas de mer. Après toutes ces années d’expériences, Jakub Vágner reste-t-il fidèle à sa philosophie de relâcher les poissons dans les eaux de tous les pays qu’il traverse, après son traditionnel rituel de bisou sur les écailles ?
« Je ne tue pas les grands poissons pêchés. Bien sûr, je ne prétends pas que le poisson n’ait pas sa place dans une assiette. Mais il est vraiment tout à fait inutile de tuer les poisons de grande taille. »Mais y a-t-il de sa part une inquiétude quant à la disparition de ces animaux vertébrés à branchies, qui jouent un rôle fondamental pour les hommes?
« D’une certaine façon, oui, j’ai bien évidemment peur pour les poissons, qu’ils s’agissent des poissons du pays ou des poissons étrangers. Nous devrions nous comporter avec bien plus d’égards vis-à-vis du royaume animal, car nous avons perdu une quantité énorme d’espèces au cours des vingt dernières années. Il y a vingt ans, l’abondance des espèces était nette, tandis qu’à l’heure actuelle, certaines sont en pleine extinction, comme par exemple l’esturgeon d’Europe ou le bélouga (le plus gros poisson d’eau douce, ndlr). Le bassin de la Volga, par exemple, en comptait des milliers il y a vingt-cinq ans. Aujourd’hui, si vous vous rendez en mer Caspienne à la période de la pêche, avec un peu de chance, vous allez peut-être en voir un. Mais on ne parle ici que d’un laps de temps de deux décennies. C’est tout à fait alarmant. »
Si on aimerait tous percevoir un avenir plus avenant réservé à la nature, Jakub Vágner est plus pessimiste à l’égard d’un éventuel inversement de cette “tendance”, touchant à la disparition d’espèces. Jakub Vágner explique :« Il n’est pas possible de remédier à cela. Je crois qu’il y a des choses qui sont irréversibles. Détruire quelque chose met plusieurs secondes, mais réparer quelque chose peut durer des siècles. A vrai dire, je n’approuve pas les atteintes faites à la nature. Qu’elle ait été créée par Dieu ou par une autre force supérieure, je crois que la nature a été conçue dans un but précis et de façon juste. Nous n’avons aucun droit de porter atteinte à cette évolution qui dure depuis plusieurs millénaires. Le genre humain s’empresse toujours de perfectionner quoi que ce soit. Mais les conséquences qui en découlent, et que nous ne sommes pas capables de voir dès à présent, peuvent s’avérer fatales. »
En Amazonie, région qui est pratiquement devenue le deuxième « chez lui», Jakub Vágner continue de tisser de nombreuses relations amicales. Il se dit à chaque fois très heureux de revoir au complet ses amis indiens, même s’il a souvent le cœur noué lorsqu’il s’y rend. Grand nombre d’entre eux décèdent chaque année, que ce soit à cause de morsures de serpent, d’autres maladies ou même de vieillesse, malgré leur relative jeunesse, par rapport à la conception occidentale de la vieillesse.
« Je peux me permettre de dire que j’ai vraiment de bons amis en Amazonie. Les indiens amazoniens font partie d’une toute autre civilisation que celle que l’on pense connaître à travers notre point de vue européen. Lorsque l’on dit quelque chose là-bas, ça compte vraiment. C’est complètement une autre planète. »
Jakub Vágner a également dévoilé la naissance très particulière d’une amitié, qui s’est approfondie avec le temps, avec un amazonien inégalable dans les connaissances de la nature, prénommé Guinto. Il vivra de nombreuses aventures avec cet excellent chasseur, doté seulement d’un javelot et d’une sarbacane, et qui sait imiter et retrouver la trace de n’importe quel animal.« Au début, il n’arrivait pas du tout à comprendre pourquoi je m’étais retrouvé là-bas, qui j’étais et comment je pêchais ces poissons. Je crois que la vraie amitié est née lorsque j’ai voulu prendre en photo ces grands arapaïmas (gros poissons d’eau douce sud-américains appelés aussi pirarucu, ndlr). Une fois que j’en avais attrapé un, je lui ai tendu la canne à pêche. Il ne savait absolument pas quoi faire avec, car il n’en avait jamais tenue auparavant. Et normalement la tribu ne fait que chasser, elle ne pêche même pas. Mais ce n’est qu’une fois que l’on a sauté dans la lagune et qu’on serait bien fort ce poisson long de près de 2,5 mètres, que j’ai vu dans ses yeux qu’il pensait déjà aux steaks qu’il pouvait en faire. Alors je lui ai dit qu’on allait le relâcher, comme les autres poissons. Lorsque le poisson lui a quitté les bras, il a ébauché un sourire, et je crois que c’est à cet instant-là qu’il avait compris pour la première fois pourquoi je m’étais retrouvé là. A partir de ce moment, notre amitié a été incroyable. »
En tant que premier Tchèque, Jakub Vágner obtient son propre programme sur National Geographic. Il est également le premier Tchèque à avoir été invité dans le fameux talk-show américain de Jay Leno. Vu qu’il parcourt le monde entier, et dans la plupart des cas avec des équipes de télévision, il affirme qu’il ne se repose qu’en pêchant en République tchèque. Mais Jakub Vágner veut utiliser de manière efficace, cette notoriété médiatique de plus en plus importante, pour changer le cours des choses. Lesquelles ?
« A l’avenir je voudrais principalement tourner mes efforts sur les jeunes pêcheurs. Afin que les nouveaux pêcheurs fassent preuve de prudence, de délicatesse à l’égard de la nature. Car qui d’autres que les pêcheurs devraient avoir des comportements exemplaires face à la nature. Pourtant, lorsque je me retrouve près des courants d’eau tchèques, j’ai l’impression de m’être retrouvé sur une décharge. Et malheureusement la plupart de ces déchets sont générés par des pêcheurs. C’est très triste et inutile. Cela ne devrait vraiment pas être comme cela. »
Effectivement, Jakub Vágner reçoit des milliers de lettres de jeunes gens voulant suivre un parcours similaire, et s’orienter vers la pêche sportive, reposant sur un esprit du respect son adversaire. Notons néanmoins cet invraisemblable absence de peur chez Jakub Vágner, dans la mesure où il recherche lui-même des situations extrêmes. Alors pourquoi s’est-il rendu en Syrie et en Irak il y a deux ans ?« C’est justement parce que ces régions ne sont vraiment pas calmes et que pas grand monde y va, que j’ai envie d’y aller. On a donc la possibilité de voir un pays pas encore touché par le tourisme ou par notre monde occidental. Bien évidemment, on peut ne pas avoir de chance, et se retrouver là où il ne faut pas. Mais chaque pays est un peu comme ça. En Amérique du Sud ou au Congo, on peut trouver beaucoup d’endroits similaires à ceux du Moyen-Orient. Je crois que dans tous ces pays le comportement de chacun est important, ainsi que le respect porté à l’égard des personnes qui y vivent. »
Afin de cartographier la population des perches du Nil, Jakub Vágner et son équipe réalise, au mois de janvier 2010, une expédition au lac Turkana, situé au nord du Kenya, qui est un des plus grands lacs permanents en milieu désertique et qui contient probablement les plus grandes perches du monde. Lors de cette expédition, il réussit à pêcher une perche dorée du Nil extrêmement rare, le Barbus esocinus, dont la dernière ‘apparition’ a été enregistrée il y a trente ans. C’est peut-être bien à cause de cette passion démesurée pour les poissons, que les succès internationaux de Jakub Vágner ne se sont pas laissés attendre.