Jan Kapr, des chants de propagande à la musique aléatoire

Jan Kapr

Partons à la découverte de l’œuvre de Jan Kapr (1914-1988), un compositeur tchèque du XXe siècle oublié, mais dont le nom a récemment refait surface grâce à l’opéra documentaire KaprKód de Lucie Králová – meilleur film tchèque au festival international du film documentaire Ji.hlava 2022.

Né en 1914 à Prague, dans une famille de musiciens, Jan Kapr montre des talents pour la musique dès l’enfance. Mais c’est la gymnastique qui est sa première passion. Il se consacre intensément aux agrès ; néanmoins, en 1930, lors d’un entraînement aux anneaux, ceux-ci se brisent et Jan Kapr tombe sur le dos. Une chute qui le rend inapte à la gymnastique et qui constituera un handicap à vie…

A 16 ans, Jan Kapr se tourne alors vers la musique et étudie la composition au Conservatoire de Prague. Entre 1939 et 1946, Kapr travaille comme directeur musical pour la Radio tchécoslovaque à Prague. Son talent de compositeur attire l’attention : en 1948, son scherzo symphonique Maratón remporte la médaille olympique au concours de composition de Londres.

En 1945, Jan Kapr adhère au parti communiste et, après le coup d’Etat de février 1948, il consacre son œuvre à l’édification du nouveau régime socialiste. Il séjourne à Moscou, où il travaille sur la musique du film Nouvelle Tchécoslovaquie, pour laquelle il reçoit le prix Staline 1951. Durant cette période, Jan Kapr a écrit plus de 60 chants de propagande, dont le flamboyant En terre soviétique...

Jan Kapr: V sovětské zemi / In the Soviet Country (1950)

Jan Kapr: V sovětské zemi / In the Soviet Contry (1950)

Un enthousiasme douché

Mais en 1953, la vie et l’engagement de Jan Kapr prennent un tournant fondamental. Après la mort de Staline et de Gottwald, Kapr cesse de s’engager politiquement et socialement. Il demande la révocation de son adhésion au parti communiste, ce qui ne lui est pas accordé, sous prétexte qu’un lauréat du prix Staline ne peut pas rendre sa carte du parti. Il se retire alors de la vie publique. C’est une période au cours de laquelle il compose des œuvres de nature plus intime, comme le Quatuor à cordes n° 3 op. 68 (1955), et des symphonies.

Des œuvres pas tout à fait avant-gardistes, mais parfois très progressives

A partir des années 1960, il commence à développer une technique de chiffrage créant une forme rythmique différente du motif de base, et ayant recours à la musique aléatoire ainsi qu’à des composantes vocales sans paroles, un peu à la manière du Sprechgesang. Dans les années 1960 aussi, il reçoit plusieurs récompenses nationales et internationales.

Jan Kapr / Symphony No.7 Childhood Country 1968

Jan Kapr / Symphony No.7 Childhood Country

En 1968, nouveau tournant dans la vie de Jan Kapr : alors qu’il terminait son travail sur la partition de sa Symphonie n° 7 Krajina dětství (Paysage d’enfance), dont nous venons d’entendre un extrait, les troupes du pacte de Varsovie envahissent la Tchécoslovaquie. Jan Kapr répond en publiant une lettre ouverte à Dmitri Chostakovitch et en rendant son prix Staline à l’ambassade soviétique. Une prise de position qui lui a coûté cher, car après cette lettre, Jan Kapr est totalement réduit au silence pendant la période de « normalisation » : exclu du parti communiste, il n’est plus autorisé à enseigner et ses œuvres ne peuvent être jouées – du moins en Tchécoslovaquie.

Muet comme une carpe… ou presque

Malgré sa mise à l’écart dans son propre pays, Jan Kapr continue à composer dans la solitude de son appartement pragois. Sa dernière œuvre est le Concerto en mi-sol pour piano et orchestre (1985), écrit en mémoire du pianiste soviétique Emil Gilels. Jan Kapr décède en avril 1988, trop tôt pour assister, en novembre de la même année, à la première de son Monologue pour piano composé en 1983.