Jean-Daniel Magnin : « Je vous garantis qu’il y a encore des auteurs qui font rire et jubiler le public »

Jean-Daniel Magnin

« Je suis originaire de la Suisse qui vit en France depuis plus de trente ans. Je suis écrivain de théâtre et depuis dix ans je suis le directeur littéraire du Théâtre du Rond-Point à Paris. » C’est ainsi que se présente Jean-Daniel Magnin, homme de théâtre français qui a participé à la soirée théâtrale organisée le 19 mars dernier à l’Institut français de Prague. Le public de la soirée a eu l’occasion exceptionnelle d’entendre les textes du dramaturge français Samuel Gallet et de son collègue tchèque Roman Sikora. A la fin de la soirée, Jean-Daniel Magnin a évoqué au micro de Radio Prague son œuvre, a présenté sommairement les activités et le répertoire du Théâtre du Rond-Point des Champs-Élysées et aussi quelques idées plus générales sur les tendances actuelles de l’art théâtral en Tchéquie et en France. Il a parlé également de la troupe des frères Forman invitée par le Théâtre du Rond-Point pour présenter à Paris en 2011 une longue série de représentations de leur spectacle intitulé Obludárium.

Jean-Daniel Magnin
Vous êtes homme de théâtre, vous êtes dramaturge. Que pouvez-vous dire de vos pièces de théâtre ?

« J’ai plusieurs pièces qui ont été publiées pour la plupart chez un éditeur qui s’appelle ‘Actes Sud’ en France, mais j’ai publié aussi d’autres pièces chez d’autres éditeurs. Mes pièces ont été jouées entre autres au Théâtre de la Bastille, une pièce qui s’appelle ‘La Tranche ou le Retour de l’enfant prodigue’. La pièce a été montée par Philippe Adrien au Théâtre de la Bastille et aussi au Festival d’Avignon. C’était en 1993. Une autre pièce s’appelle ‘Opéra savon’. Elle a été montée par Sandrine Anglade en 2000 à la Comédie française. Je suis aussi auteur d’une pièce montée au Québec, à Genève et au théâtre du Rond-Point et dont la meilleure production a été présentée ici en janvier 2010 par Lucie Málková au studio Saint Germain. La pièce s’appelle Leviathan Coccyx, en tchèque Leviathan Kostrič. Voilà, mes pièces ont été traduites plutôt dans les pays de l’Est. »

Vous venez d’assister à la lecture de pièces de deux auteurs contemporains français et tchèque, des pièces de Samuel Gallet et de Roman Sikora. Quelle a été votre impression ? Qu’en pensez-vous ?

Samuel Gallet,  photo: www.desvoixfestival.com
« Je pense qu’on est tous européens et même mondialisés. D’abord, le public est assez universel. On sait bien qu’une pièce forte, qui a une portée universelle mais peut être une chose drôle et légère, va fonctionner devant toutes sortes de public, à la campagne, à la ville, à l’étranger, dans d’autres continents. Le public a donc une universalité. En plus, on est dans une époque après le postmodernisme. J’ai l’impression que chaque écrivain doit réinventer le théâtre à sa façon. En France, il y a mille formes de théâtre selon les pièces qui sont écrites, chaque fois c’est une autre forme de théâtre et cela doit être pareil en République tchèque. »

Les pièces de Samuel Gallet et de Roman Sikora présentées ce soir, c’était aussi une comparaison entre les théâtres contemporains français et tchèque…

Confession d'un masochiste par Roman Sikora,  photo: www.svandovodivadlo.cz
« Les pièces de ce soir avaient un point commun pour moi, plutôt que dans leur aspect formel, dans le fait qu’elles parlent des problèmes politiques qui soudain ont lieu chez nous. Evidemment, à vous qui avez traversé l’histoire de manière brûlante depuis la guerre jusqu’à aujourd’hui, cela semble normal. Mais en France, on ne parlait plus du tout de la politique, le théâtre était abstrait. La crise financière, le problèmes des banlieues, le problème de l’immigration, la violence sont des sujets qui deviennent moins familiaux mais plus politiques. Ce n’est pas le retour du théâtre tract, mais une dimension politique qui commence à occuper nos vies. Et c’est un grand bien. C’est la fonction du théâtre que les gens se reparlent surtout dans des sociétés très atomisées à l’occidentale, ce qui doit aussi faire ravage chez vous. Il ne faut pas oublier qu’il y a une partie de la population où l’on vit seul, sans famille en prenant des médicaments, on est gavé d’ordinateur et de télévision. Je fais un tableau très noir mais c’est une réalité. Et se parler, parler à son voisin, c’est un acte presque politique qui se fait très peu. Je pense que les gens vont au théâtre parce qu’ils en ont besoin. Et si le théâtre se met à parler de ce qu’on vit, c’est une bonne chose. On en a besoin. »

Vous travaillez au Théâtre du Rond-Point des Champs-Élysées, théâtre qui est ouvert aux tendances modernes. Qui a eu l’idée d’inviter dans votre théâtre la troupe des frères Forman ?

Théâtre du Rond-Point
« Le Théâtre du Rond-Point a plusieurs particularités. Il faut savoir que c’est un théâtre qui n’était pas prévu au programme des ministères. C’est un théâtre qui est né d’un mouvement inattendu il y a dix ans, d’une réunion des écrivains de théâtre qui ont décidé de taper du poing sur la table sur la scène culturelle française. Ces écrivains, dont je fais partie, ont réussi à animer un théâtre qui ne programme que des auteurs vivants dans une artère très importante de la ville où plus personne n’allait et qui était plutôt réservée aux touristes. On a un théâtre avec cinq spectacles différents chaque jour, des concerts, des débats politiques, des réunions avec des philosophes et des conférences un peu folles, et vous pouvez participer de cet esprit. On a une revue en ligne qui n’est pas une revue pour faire la promotion de nos spectacles, mais une revue qui propage cet esprit de rire et de résistance sur un site. C’est une revue collaborative où participent maintenant des gens de Budapest, de Séoul, d’Ethiopie, de France, de Belgique. On serait donc ravi que les Pragois francophones s’en mêlent. Ca s’appelle ventscontraires.net. C’est un endroit où on peut lire des textes courts, voir des vidéos courtes, des images, des BD, des sons, qui tournent un peu autour de cet esprit de rire et de résistance dont on a besoin aujourd’hui. »

Parlons encore quand même de cette production des frères Foman qui a été présentée au théâtre du Rond-Point.

« Oui, la pièce des frères Forman a été vue par certains membres de notre équipe qui est très à l’affût des textes et des spectacles contemporains très variés. On a l’idée que si l’on ouvre le concept des textes d’auteurs contemporains à tout ce qui s’écrit et s’invente de la parole aujourd’hui, on peut aborder certains cirques où l’on parle, on peut faire venir sur nos scènes, souvent à 18 heures 30, des comiques qui ont une vraie puissance poétique, des poètes du rire. On a donc une programmation autour des textes d’aujourd’hui qui s’élargit par les gens qui improvisent. C’est aussi une forme d’écriture. Donc, on a une tradition, surtout en fin de saison quand les gens ont envie d’aller au soleil, d’ouvrir le théâtre à des cirques. Et le cirque des frères Forman nous a semblé une évidence quand on l’a vu. C’était un grand succès, et ce qui était charmant, c’est que leur tente, puisqu’ils ont un cirque sous forme d’un chapiteau, ressemble beaucoup au bâtiment du Théâtre du Rond-Point qui est un ancien panorama. On avait donc l’impression que le Théâtre du Rond-Point avait fait un petit bébé en toile dans lequel vivaient et travaillent les frères Forman pour un spectacle qui a ébloui les Parisiens sur les Champs-Élysées. »

Aux XIXe et XXe siècles, le théâtre français était très populaire chez nous et très aimé par le public tchèque. Que pourrait-on faire pour renouer avec la tradition de la popularité du théâtre français dans les pays de langue tchèque et pour faire revenir des pièces françaises dans le répertoire des théâtres tchèques ?

« J`ai une proposition très simple : on vous envoie les pièces qui ont le plus de succès au Rond-Point par exemple. C’est ce que nous pouvons faire. On ne représente pas le théâtre français mais comme on lit plus de 1 200 pièces par an, on cherche des pièces qui ont une qualité artistique forte et en même temps une ouverture forte vers le public. Cela a été un peu négligé pendant quarante ans. Peut-être vous ressentez-vous aussi. Il y a eu pendant longtemps une déconnexion des auteurs parce qu’ils n’étaient pas tellement joués en France. Il y avait des lieux de résistance en France où l’on continuait à les faire entendre, et peut-être ces lieux de résistance avaient un public prêt à entrer en résistance et à soutenir ces auteurs qui, peut-être, ne représentaient pas tout le spectre du public. Mais je peux vous garantir qu’il y a des auteurs qui écrivent des pièces qui font rire, qui font jubiler, dans des formes tout à fait contemporaines, modernes, exigeantes, mais qui sont des spectacles, donc la dimension de spectacle existe aussi. On va vous les envoyer. »