Jean-Gabriel Périot : « La plupart des gens qui sont en prison ne devraient pas y être. » (2e partie)

Jean-Gabriel Périot, photo: YouTube

Les détenus de la maison d’arrêt d’Orléans ont et font des rêves. Le réalisateur Jean-Gabriel Périot leur a demandé de les raconter face à la caméra. En compagnie de Xavier Thibault, qui signe la musique de ce moyen-métrage, Jean-Gabriel Périot était présent au Festival international du film de Karlovy Vary pour montrer son œuvre au public. Radio Prague a rencontré l'auteur d’un documentaire qui rompt avec les clichés véhiculés sur l'univers carcéral. Dans cette deuxième partie d’entretien, Jean-Gabriel Périot répond tout d’abord à des réactions de spectateurs, après la projection du film.

Jean-Gabriel Périot,  photo: YouTube
Il y a une réaction qui est revenue par deux fois de gens qui voulaient savoir pourquoi les prisonniers avaient été condamnés…

« Pour moi, ce n’est pas le sujet. A partir du moment où ces gens sont en prison, ils sont déjà en train de payer. Ils sont punis, ils ‘font leur sentence’… Après si moi je postule que je m’intéresse à eux en tant qu’être humain et pas en tant que criminel, la question de ce qu’ils ont fait ne m’intéresse pas. Et puis il faut ne jamais avoir été en prison pour ne pas savoir que c’est le moyen-âge. Il faut y être allé pour le savoir. Donc le jugement à priori sur ce qu’ont fait les gens est quelque chose qui me dérange beaucoup. La plupart des gens qui sont en prison ne devraient simplement pas y être. On est dans une justice de classe et ces gens ne peuvent pas se défendre, ils parlent mal le français, ils n’ont pas de bons avocats ou ils n’en ont pas du tout. Alors que pour les mêmes délits, moi je sors tout de suite. Voilà, ce n’est pas dans le sujet du film. La question de savoir ce qu’ont fait les gens n’est pas le sujet et ce n’est pas le sujet de la relation que je crée avec eux. »

Le jour a vaincu la nuit - un film de Jean-Gabriel Périot
Il y a eu aussi la question de savoir pour quel public le film était destiné. Et la chose intéressante, c’est que votre film ne peut pas être diffusé à la télévision ni sur Internet en France. Pourquoi ?

« Parce qu’en France, il y a une protection très drastique du droit à l’image pour les détenus. Déjà, on a eu la chance, exceptionnelle, de pouvoir les filmer, de pouvoir montrer le film, dans des espaces de cinémas, festivals, salles, etc. Mais dès le début, j’ai demandé à ce qu’il n’y ait pas de télévision car je savais que la réponse serait non. Le problème de la télévision, c’est que ces gens-là quand ils y passent dans un tel film, tout le monde sait qu’ils sont des taulards, ou des anciens taulards quand ils vont sortir. Tandis qu’un festival à Karlovy Vary, il n’y a pas leur cousin ou leur futur employeur qui va les voir. Ou même dans une salle en France, il y a peu de chance qu’il y ait ce type de hasard. Donc, c’est une manière, peut-être de les surprotéger, mais en tous cas de les protéger. Ensuite, l’administration a vu le film, est plutôt enthousiaste à son sujet donc si à un moment une télévision veut le diffuser, peut-être que cela sera possible. Mais en tous cas, c’est très compliqué. »

Photo: Kristýna Maková
Il y a une chose qui a interpellé le public. En tous cas, il y a une question sur la réaction des prisonniers qui ont pu voir ce film ensuite. Quelle a été cette réaction ?

« La réaction a été en deux temps, comme je l’ai dit durant le débat. La première fois, ils ont été très surpris par la forme du film : leur référence c’est la télévision ou le cinéma hollywoodien. Donc le fait qu’il n’y ait pas de montage… Je les avais prévenus de ce que c’était. Mais entre décrire un film, faire un tournage et ensuite le voir, il y a quand même une différence. Donc la première fois, certains ont sans doute été un peu désarçonnés par la forme. Mais après quand je les ai revus, ils aiment vraiment beaucoup le film et ils sont très fiers de l’avoir fait. »

Nos jours,  absolument,  doivent être illuminés
Quelles étaient les réactions lors de votre première expérience en prison, un film, intitulé Nos jours, absolument, doivent illuminer la nuit, où les détenus donnaient un concert depuis la prison vers l’extérieur ?

« La réaction sur le film précédent avait été très forte, pendant le concert et en salle. Mais aussi parce que c’était des images de gens qui écoutaient les détenus donc il y avait une espèce de rapport de projection. On se demande si c’est la mère, si c’est la femme. Qu’est-ce que moi je ferais si j’avais quelqu’un en prison ? Il y avait un rapport de projection qui était très différent dans ce film-là. On ne se projette pas face à des gens qui nous regardent. Là, on est dans un dialogue alors que dans le film précédent on était comme dans une projection. »

Est-ce que vous comptez travailler à nouveau dans une prison ?

« Non, pas tout de suite. »

Vous avez été interviewé par Anna Kubišta parce que vous étiez membre, en 2008, du jury du festival Jeden Svět (One World) à Prague. A l’époque vous faisiez plutôt des films qui traitaient de sujets historiques, s’appuyant notamment sur des archives. Vos films à présent traitent de sujets contemporains. Y-a-t-il eu un changement dans les thèmes auxquels vous voulez vous intéresser ?

Photo illustrative: Filip Jandourek,  ČRo
« Non, il y a beaucoup de hasard. Il y a beaucoup de hasard dans la façon dont on va d’un sujet à l’autre, dans la façon dont tout à coup on change de forme. Si je n’avais pas eu cette expérience d’aller en prison, si je n’avais pas eu cette invitation, je n’aurais jamais fait de film en prison. Je ne suis pas timide, mais je ne suis pas assez courageux pour me dire que je vais aller faire un film en prison. C’est un espace qui est violent. Mais, c’est parce que j’ai eu la chance d’y aller, que cela se passe d’abord mal, d’avoir eu cette invitation, que du coup j’ai appris que je pouvais le faire. Mais jusque là je ne le savais pas. »

Le jour a vaincu la nuit
La première fois, selon vous, cela ne s’est pas très bien passé parce que vous n’aviez pas assez de temps. Qu’est-ce qui vous a surpris dans la façon dont les détenus parlaient avec vous ? Quelles questions posaient-ils ?

« C’était comme parler avec des enfants. C’était des gens qui forcément ont eu un rapport très mauvais à l’école, qui n’ont aucune connaissance en termes de culture générale. Comme on montrait un film sur les tontes à la libération en 1945, c’est des questions par exemple : « Mais il y a avait déjà des caméras à l’époque ? ». C’est des gens qui n’avaient aucune idée de l’histoire du cinéma. Il aurait fallu que je passe du temps avec eux pour leur montrer des films, d’où venait le cinéma, comment cela a commencé. Il aurait fallu que je leur fasse un résumé de l’histoire du cinéma depuis le début. Parfois, je vais présenter des films à des sixièmes, c’est le même type de réponse mais là ce sont des adultes, des gens qui sont sortis du système et pour lesquels aucun effort n’est fait pour les y réintégrer. »

Le jour a vaincu la nuit
Et vous vouliez parmi les rêves qui apparaissent que l’un soit un rêve érotique…

« J’ai eu beaucoup de chance… Ils appellent ça des rêves roses. Ils me disaient que forcément, ils faisaient tous des rêves roses en prison. J’ai demandé si quelqu’un voulait faire un truc là-dessus. Evidemment, c’est très intimidant de parler de ses rêves érotiques. Et il y a ce garçon Dimitri qui a dit qu’il était d’accord pour le faire. Il nous a raconté son rêve. Je pensais qu’on serait dans l’ordre de la pornographie et qu’il faudrait sans doute réécrire. Mais quand il nous a raconté son truc, c’était vraiment comme Arlequin, quelque chose de très érotique de jeune fille ou de jeune garçon. Du coup, c’était super, il l’a porté jusqu’à la fin mais c’était assez drôle parce que la fille dans son rêve est blonde et sa copine est brune. Donc, au début il ne voulait pas que je l’envoie à sa copine parce que c’était un peu dérangeant pour lui ! »

Le festival de Karlovy Vary,  photo: Kristýna Maková
J’aurais une dernière question, plutôt sur votre rapport à la République tchèque. C’est la deuxième fois que vous venez après avoir été une première fois au festival One World, un grand festival de film documentaire à Prague. Quelles sont vos impressions ?

« Les deux choses peut-être qu’ont en commun ces deux festivals, One World et Karlovy Vary, qui sont très différents, c’est qu’il y a beaucoup de public et de vrai public dans les salles. Ce que l’on ne voit pas dans tous les festivals. Il y a quand même des festivals très professionnels ou bien il y a des endroits où les festivals de documentaires de type One World à Prague se passent dans des petites salles parce que cela n’intéresse strictement personne. Tandis qu’à One World, c’était plein tout le temps dans des grandes salles pour voir des films plutôt exigeants. Ici [à Karlovy Vary], toutes les salles sont pleines. Pour une large majorité, c’est du vrai public, pas des accrédités et ça c’est toujours un peu réjouissant quand on fait des films. »